english

Entrevue avec Bruno Langlois, vainqueur à Pikes Peak

"C'est un endroit magique !"

Rencontre avec un pilote éclectique qui s'est imposé aux Etats-Unis

Jeune cinquantenaire et pilote éclectique ayant couru dans presque toutes les disciplines mécaniques, Bruno Langlois est, avec Sébastien Loeb, “l’autre français” à avoir gagné à Pike’s Peak cette année. Après une première participation l’an dernier couronnée par le trophée du Rookie de l’année, le pilote Corse en Ducati Multistrada 1200 a battu cette année tous les ténors de la discipline en devançant de 10 secondes l'américain Michaël Henao avec un temps de 10:21.323 et a profité de la chute de son principal adversaire Micky Dymond.

Nous sommes allés à sa rencontre à l’occasion de sa visite dans les locaux de Ducati France, quelques heures à peine après avoir débarqué de l’avion le ramenant des Etats-Unis. L’occasion de découvrir ou redécouvrir un pilote attachant, aussi discret (pour un Corse…) dans la vie de tous les jours que généreux au moment de tourner l’accélérateur. Attention, interview fleuve…

Bruno Langlois au départ de Pikes Peak 2013

Comment s’est déroulée ta préparation à Pikes Peak ?

 Je suis venu 15 jours avant l’épreuve pour apprendre le tracé et régler la machine. Tous les jours, je me pointais à 7H00 du matin et je payais 12 dollars pour accéder à la route à raison de cinq montées par jour ce qui fait quand même pas loin de 200 km de roulage quotidien. Et ça pendant dix jours.

Le problème, c’est que durant cette période, il faut respecter la limitation de vitesse de 25 mph (40 km/h). L’an dernier, je me suis fait attraper deux fois. La première fois par un Ranger alors que je roulais à 65 mph et la deuxième par le directeur de course. Je suis pas passé loin de me faire exclure de l’épreuve mais finalement tout s’est arrangé. En même temps c’est difficile de rouler à 40 quand tu sais que le jour de la course tu vas passer sur la même portion à 200. Ca demande une certaine gymnastique mentale mais l’an dernier j’étais déjà dans les chronos des vieux de la vieille qui ont participé plus de 10 fois à l’épreuve. Et cette année j’ai recroisé le même Ranger, pas rancunier et on a fait une photo ensemble ! 

Retour de la Ducati Multistrada qui s'est imposée à la Pikes Peak

L’an dernier, tu as fini Rookie de l’année sur une Ducati Streetfighter. Cette année tu es revenu avec une Multistrada. Pourquoi ce changement ?

En 2011, j’y suis allé avec ma moto personnelle qui en plus était strictement d’origine. Cette année, j’ai bénéficié de l’appui de la concession Corse Ducati Moto Prestige et vu qu’on avait le choix, la Multistrada semblait la machine la plus adaptée pour l’épreuve vu que c’est avec elle que Carlin Dunne a battu le record de la piste l’an dernier, record qui tient toujours d’ailleurs… En plus, ma Multistrada était équipée d’un système Power Commander pour compenser la perte de puissance en altitude.

Avec ma Streetfighter stock, la dernière portion était pénible parce qu’elle perdait trop de puissance sur la dernière portion. Là, l’injection se recalibre tous les trois dixième de seconde et même si le manque d’oxygène en altitude bride fait chuter le rendement, j’étais logé à la même enseigne que les autres concurrents. Après il faut aussi composer avec les aléas de l’électronique. Normalement je devais avoir une semaine de "vacances" sur place comme je connaissais déjà le tracé, mais le système ne voulait pas fonctionner correctement, je suis même tombé en panne sur une de mes montées. Du coup j’ai passé une semaine complète à tester plusieurs cartographies et ça n’a marché que deux jours avant la course !

Bruno Langlois sur Ducati Multistrada 1200 à la Pikes Peak 2013

Pikes Peak a la réputation d’être le Saint Graal des courses de Cotes. Sa réputation est-elle usurpée ?

Pikes Peak est un endroit très spécial. L’ambiance est unique ! Tu débutes dans la forêt et puis le paysage change progressivement au fur et à mesure que tu grimpes. En haut, sur la dernière portion, il n’y a plus de végétation, tout devient minéral et tu enquilles des virages à 200 km/h au raz du ravin sans point de repère. A certains endroits, tu ne vois plus que la route et le ciel et tu ne vois plus du tout où tu vas…

A part sur Macao ou au Tourist Trophy, je ne vois pas d’autre endroit au monde où tu peux te faire plus de sensations. C’est tout simplement la plus belle route du monde. D’ailleurs tous les pilotes qui font Pike Peak pour la première fois n’ont qu’une seule envie, c’est d’y revenir, qu’ils finissent premier ou dernier.

Quels sont les pièges à Pikes Peak ?

Le manque de grip. Il fait très froid là-bas et sur le haut, ça devient difficile de chauffer les pneus. Ensuite il y a la terre en bord de piste qui est régulièrement renvoyé sur la route à cause du vent. Ensuite il y a des mouvements de terrain. D’une année sur l’autre, des ondulations se forment sur la route. Tu ne le vois pas forcément en reconnaissance en roulant tranquillement mais en course, la moto travaille sur toute la longueur des suspensions, ça bouge beaucoup et j’ai fait quelques bonds impressionnants en reconnaissance. On ne peut pas partir les yeux fermés sur ses repères de l’an dernier et se dire que ça va passer.

Après il y a le côté mémorisation du tracé mais je suis avantagé de ce côté-là. Je suis quelqu’un de très travailleur, plus que doué et j’ai bossé dur pour tout intégrer. Ensuite il y a la peinture sur les bords et au milieu de la route. Elle est très glissante et même avec un antipatinage il faut être prudent à l’accélération. Micky Dymond, mon principal rival cette année, est tombé deux fois à cause de la peinture…

Bruno Langlois, vainqueur à Pikes Peak 2013

Comment sont les Américains ? Pas trop énervés qu’un Frenchy vienne gagner dans leur jardin ?

Pikes Peak c’est leur terrain de jeu, il ne faut pas trop leur marcher sur les pieds. (NDR : la moto électrique en exhibition pilotée par un américain a été intégrée à la dernière minute au classement final, privant Bruno Langlois d’une victoire au “scratch”). Aux essais, certains en gardent sous le coude pour ne pas dévoiler leur jeu, d’autres se mettent en queue de peloton pour ne pas dévoiler leurs trajectoires… Bref, on joue au chat et à la souris mais c’est de bonne guerre.

J’ai sympathisé avec les piliers américains et c’est certain que je vais revenir l’an prochain. L’idéal serait d’intégrer une structure américaine l’année prochaine. J’ai commencé les démarches avec un team local mais rien n’est encore fait, on verra bien ce que ça donne l’année prochaine. En attendant je compte bien me tenir en forme d’ici à l’édition 2014 : En plus de Pikes Peak, je fais le championnat de France Protwin et le championnat d’Europe d’Endurance Classic.

Bruno Langlois et Sébastien Loeb, vainqueurs à Pikes Peak

Tout le monde a parlé de la victoire de Loeb. As-tu l’impression d’être passé sous le radar des grands média qui couvraient l’événement ?

Non, Loeb c’est un plus pour moi et tous les pilotes français. Aujourd’hui, tous les gens qui s’intéressent un peu aux sports mécaniques savent ce qu’est Pikes Peak. Si jamais je dois chercher un sponsor pour rouler là-bas l’année prochaine, ce sera plus facile parce tout le monde a entendu parler de la victoire de Loeb. Ceux qui m’ont sponsorisé aujourd’hui, comme Continental, sont très content du rayonnement que Loeb a donné à l’épreuve chez nous.

Bruno Langlois : Une carrière éclectique !

Rencontre avec Bruno Langlois, vainqueur à Pikes PeakLe natif d’Ajaccio débute la compétition à l’âge de 16 ans : cross, course de côte, rallyes… Après un break pour cause de Service Militaire, il devient à 21 ans Champion de France de Courses de Côte (1985 en 500 cc). Cinq ans plus tard, il décroche un nouveau titre en Promosport 750 dans une édition particulièrement relevée où cinq pilotes pouvaient prétendre à la couronne le jour de la finale.

Trois ans après, grosse frayeur après une chute à 260 km/h dans la  courbe Dunlop aux essais des 24 Heures du Mans. Un petit coma et une vilaine fracture au pied le poussent à raccrocher le cuir. Mais le démon de la course le reprend et il se remet à la compétition en 1998, cette fois en jet ski.

L’année suivante, il gagne l’Open d’Oléron -grosse course qui se déroule sur deux jours avec 170 pilotes engagés- devant le gratin de la discipline. L’année suivante, il se classe 10ème aux championnats du monde. En 2002, Bruno lâche le jet ski pour s’essayer à l’automobile et participe au Championnat de Corse des rallyes de 2002 à 2009 et ajoute à son palmarès un titre de vice-champion avec une BMW M3 Groupe A. Suit une période de jachère : « Pendant un an je me suis calmé parce que ça commençait à rouspéter à la maison » explique-t-il, mais à peine un an plus tard, il revient à la moto.

Après 18 ans de break en compétition moto, je voulais faire un peu de rallye avec les potes, tranquille… C’est une discipline où il y a une bonne ambiance et je m’y suis remis doucement avec un 690 KTM. L’idée était de se faire plaisir, pas de se faire mal… Et puis je gagne dès mon troisième rallye et fini vice-champion de France. Du coup je suis revenu à la compétition à plein temps !

Bref, l’âge de la retraite n’a pas encore sonné pour Bruno Langlois. Gageons que nous le recroiserons dans les paddocks pendant encore de nombreuses années.

Pikes Peak, pourquoi c’est un Mythe 

La première édition de Pikes Peak remonte à 1916 ce qui en fait est la deuxième plus ancienne épreuve de course automobile organisée aux Etats-unis, juste derrière… les 500 Miles d’Indianapolis (1911). Ensuite il y a le tracé : pas moins de 156 virages étalés sur un peu moins de 20 kilomètres (19,93 km exactement). Enfin il y a l’altitude. Avec un départ donné à 2.865 mètres et une arrivée au sommet à 4.305 mètres, soit un dénivelé de 1.440 m, les moteurs sont soumis à rude épreuve et le manque d’oxygène fait qu’ils perdent en moyenne 30 % de leur puissance lorsqu’on attaque la dernière portion “dans les nuages”, autrefois en terre et désormais bitumée depuis l’an dernier.

Notez que ce petit changement a permis à tous les records d’être radicalement améliorés lors des deux dernières éditions. Le record “scratch” en moto a été réalisé en 2012 par Carlin Dunne sur une Ducati Multistrada 1200 avec un chrono de 9 :52.819. Un temps qu’essayera sûrement de battre Bruno Langlois lors de l’édition 2014…

Plus d'infos sur la Pikes Peak