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Havre de paix

Il en faut peu pour être heureux : un café et un bout de toit pour me protéger du déluge.

Je devrai pourtant repartir

Il en faut peu pour être heureux : un café et un bout de toit pour me protéger du déluge. Je devrai pourtant repartir.

Havre de paix (c) photo : Jim Wellington
Havre de paix (c) photo : Jim Wellington

Je ne me suis pas fait surprendre, ce coup-ci. Je l'ai vue arriver de loin : une barre noire à l'horizon qui a avalé le soleil tout à l'heure. Dans un orage, je redoute deux choses : les brusques rafales de vent et les types persuadés qu'une guirlande d'acronymes (ABS, ESP, TCS, LED) rend immortel (RIP, DTC).

Le plus drôle, c'est que j'ai rendez-vous à Tonnerre. Délaissant l'autoroute, je me suis engagé dans une des trois vallées qui pointent vers le nord-nord-ouest. J'ai choisi la plus sauvage, la moins fréquentée, pour rouler à mon rythme.

Le ciel a jeté un voile gris au fond de la vallée. Encore quelques tours de roue et j'entre dans la pluie. Flic-flic... frouuutch ! J'y suis. J'ai baissé la tête dans les épaules et serré les coudes. Je ne crains rien : je porte ma meilleure veste de pluie.

Pourtant, la pluie est froide. Je ne m'y attendais pas après les chaleurs de ces derniers jours. Oui, en fait ça caille bien ; j'aurais dû garder mon blouson d'hiver. La pluie change de bruit sur le casque. Zut : de la grêle. Des petits bonbons, blancs et fous, rebondissent sur le pare-brise. La chaussée devient grumeleuse. Coup d'oeil dans le rétro : toujours personne. Je coupe un peu les gaz. On peut faire de l'aquaplanning sur des grêlons ? Sans doute pas.

Dans un village, une femme traverse en courant, un sac en plastique sur la tête pour se protéger. Avec le raffut de la grêle, elle ne m'a pas entendue arriver ; je me méfie des piétons sous la pluie qui ne veulent pas se mouiller les cheveux : un peu comme les chats, ils filent droit devant eux sans regarder.

P*tain ! Mais ça caille grave, en fait. Ma petite virée-sous-la-flotte-pour-rire-parce-que-prout-la-bagnole est en train de tourner à l'hivernale de poche. J'ai eu beau ajuster mon tour de cou au mieux en m'habillant tout à l'heure, l'eau a fini par trouver le chemin de mon cou : beurk !

Allez ! Je m'arrête au prochain bled pour laisser passer le plus gros de l'orage.

Ah ! Le havre de paix d'une station-service de centre commercial de province ! Comme quoi, tout est une question de point de vue. Je n'ai pas mis d'essence : j'ai largement de quoi faire l'aller-retour. J'ai filé au distributeur de jus chaud et mis le sucre à fond. Non pas que j'en ai besoin : j'imagine que je consomme plus de sucre pur en un gobelet qu'un indien d'Amazonie en une semaine.

Je sors sous l'auvent et me réchauffe les mains au carton de ma boisson. Il pleut toujours, mais ne grêle plus. Je voudrais avoir un intégral qui me permette de boire un jus sans avoir à l'enlever, pour garder la tête au chaud.

A quelques pas de moi, un môme patiente. J'imagine que le 50 à vitesses béquillé là-bas est à lui. Il ne m'a pas regardé, tout entier à l'écran de son téléphone. Dommage : à dix ans près, on aurait échangé quelques mots sur le temps qu'il fait, sur la route qui reste, sur d'où il vient... toutes ces banalités qui font un peu l'esprit de la moto, surtout quand les conditions météo se gâtent.

C'est le problème des cafés de station-service : toujours trop court quand on les boit, toujours trop longs quand il faut les pisser quelques bornes plus loin, empêtré dans les couches de tissus mouillées. Oui, la pluie me rend philosophe, mais aussi poète...

L'orage se calme un peu. C'est l'avantage de ne pas avoir d'horaire : je peux lui laisser encore cinq minutes. Hmmm... Non : j'en ai marre. Mon gobelet en carton est refroidi. J'ai envie de renfiler mon casque et de partir. Cette station-service n'est plus un havre de paix, c'est un endroit malodorant et bruyant où les gens ne font que passer. Un endroit piégeux, aussi : il faudra que je fasse attention dans le premier rond-point à la sortie et prendre bien à l'intérieur du virage pour éviter une éventuelle trace grasse.

- Bonne route ! me lance le môme en 50.

Surpris, je lui réponds d'un geste de la main.

Comme quoi, je suis une foutue mauvaise langue, parfois. Souvent ? Hmmm... oui, souvent. Je suis souvent mauvaise langue.

Tip-tip-tap fait la pluie sur mon casque. Tu as remarqué le petit temps qu'il faut pour reconstituer l'ensemble moto-motard quand tu repars ? Quelques secondes pour reprendre ta place au guidon, pour te remettre en mouvement.

Je roule de nouveau. Le mono pout-poute tranquillement.

Sur l'horizon, là-bas, une barre plus claire : l'orage se termine.

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Attention Kronik ! 100% mauvaise foi ! Ceci n'est pas un article ni une brève (voir historique si nécessaire). L'abus de kronik peut être dangereux pour la santé de certains. Ne pas abuser.

Commentaires

Bee Loo

Du vécu, joliment exprimé comme toujours !

10-05-2022 12:45 
fift

Oh purée que j'aime cette chronique .
C'est probablement pour la poésie de ces moments que j'aime le plus la moto.


Sinon, y a une semaine, j'étais par là-bas, entre Dijon et Châtillon, sans doute dans une des trois vallées que tu mentionnes.
Même avec du beau temps, tout seul sur la route ou peu s'en faut. C'est un joli coin.

10-05-2022 12:57 
38GiB

Salut
Tu fais bien le bruit de la pluie...ange

10-05-2022 14:51 
Nounours48

Ce petit moment de "bonheur" quand tu sens que l'eau a vaincu ton équipement anti-pluie et commence à rentrer dans cette zone si stratégique ...

10-05-2022 18:24 
anguille37

Pas même un arc en ciel pour dissiper ta pensée négative ? Savoir trouver la pluie quand d'autres te prédisent la sécheresse à venir, ne pas dévoiler ses bons plans...

10-05-2022 20:29 
Paracelse

Quand ton intégral commence à prendre l'humidité par en dessous, que les cuirs se gorgent et que la couche gore-tex finit par ne plus faire son travail... La pluie, quel plaisir.
Les jeunes en 50 ne sont pas méchants, ils sont cons en groupe avec leurs copains mais seuls c'est simplement des motards trop jeunes qui rêvent d'une "vraie" moto

11-05-2022 07:36 
Paracelse

Quand ton intégral commence à prendre l'humidité par en dessous, que les cuirs se gorgent et que la couche gore-tex finit par ne plus faire son travail... La pluie, quel plaisir.
Les jeunes en 50 ne sont pas méchants, ils sont cons en groupe avec leurs copains mais seuls c'est simplement des motards trop jeunes qui rêvent d'une "vraie" moto

11-05-2022 09:10 
RE31

Aller vers un jeune qui roule en 50,toujours le même problème.Est ce qu'on va passer pour un vieux con? Est ce qu'on va sembler être condescendant envers ce gamin sur sa petite cylindrée? Pourtant ,pour moi,il faut plus de courage et d'abnégation pour tailler la route sur un 50 qui mouline que sur une bécane digne de ce nom.En tous cas un petit salut "V" ne fait pas de mal et peut leur donner l'envie de franchir le pas le moment venu et de passer le permis A2 au lieu de basculer vers le coté "caisseux" de la route.

11-05-2022 09:27 
Pas sérieux

Citation
Paracelse
...Les jeunes en 50 ne sont pas méchants, ils sont cons en groupe avec leurs copains...

N'est-ce pas le propre d'un groupe, quel qu'il soit, de mettre en évidence la connerie spécifique, résultant de la somme d'icelles individuelles ?
La notion d'âge n'étant, au final, qu'une nuance subjective, non ?...

11-05-2022 09:31 
Paracelse

Quand ton intégral commence à prendre l'humidité par en dessous, que les cuirs se gorgent et que la couche gore-tex finit par ne plus faire son travail... La pluie, quel plaisir.
Les jeunes en 50 ne sont pas méchants, ils sont cons en groupe avec leurs copains mais seuls c'est simplement des motards trop jeunes qui rêvent d'une "vraie" moto

11-05-2022 16:32 
tom4

ça me rappelle des souvenirs ton récit Kpok, les nuages qui approchent, on passe un pont en se disant "c'est bon, ça le fait", pis un 2e, pis une station, pis on se retrouve sous la douche au milieu de nulle part en se disant "merde, si j'avais su" :)


tom4

11-05-2022 17:08 
Tortue Ninja

Parfois certaines autos sont si proches des motos que les motards en viennent à les saluer... V

[attachment 38275 On_the_road_again_.PNG]

Serait-ce parce que l'on a (presque) les mêmes soucis qu'en moto en cas d'intempéries ? question

50CC, "A2" ou "vraie" machine... Peu importe. La fraternité "motarde" peut aller bien au-delà du strict milieu. Même deux roues de plus ne suffisant pas à "bannir" le conducteur de Seven.
A moins que ce ne soit plutôt une fraternité de "poètes de la route" ?
clin d'oeil

11-05-2022 22:40 
Tortue Ninja

Et pour ceux qui regarderaient l'image à la loupe :
OUI, le nouveau compteur de vitesse en KM/H ne fonctionnait pas (le câble était introuvable).
NON ce n'est pas un problème. On sait rapidement à quelle vitesse on est en fonction du rapport engagé et des tours-minute.

Comme quoi le compteur de vitesse est un concept très surfait cool

11-05-2022 22:44 
KPOK

quand j'avais des sous, j'avais été à ça de m'acheter une 170.

11-05-2022 23:14 
Tortue Ninja

Celle-ci était une "vraie" clin d'oeil Une Seven SIII de 1969 qui avait reçu un moteur Lotus TwinCam.
Le fait que notre cher KPOK (loué soit son avatar ange ) ait un été tenté par un tel engin irait donc dans mon sens : Celui d'une certaine connivence de ceux qui prennent la route poétiquement.
Et ne sont pas des sectaires bornés tire la langue

12-05-2022 20:28 
 

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