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Chronique de Noël

Chronique de Noël« Revoilà déjà ce foutu Noël » pesta Jimmy en jouant des coudes pour se frayer un chemin à travers les allées du supermarché. Jimmy Virgin Storm, Daniel Lonesome de son vrai nom, n’était pas du genre à s’extasier à l’approche des fêtes de Noël. Et pour tout dire, s’il était présent dans ce supermarché bondé à la veille du réveillon, c’était seulement pour se ravitailler en bières. C’est en effet en compagnie de six blondes bien mousseuses qu’il comptait passer les fêtes, ni plus ni moins et tous ces gens hystériques qui se bousculaient pour un bloc de foie gras au rabais lui hérissait le poil du torse. Intérieurement, il fusait, extérieurement il piétinait et il ne put s’empêcher de lancer un juron en voyant la file d’attente interminable à la caisse. Vingt-cinq minutes plus tard c’était la libération. Il rejoignit enfin sa « petite chérie » qui l’attendait sagement devant le magasin dans le froid de décembre. A sa seule vue, il s’apaisa, il prit le temps de la caresser délicatement du bout des doigts avant de la chevaucher et de donner un violent coup de poignée qui élança sa Honda CB 500 comme un boulet de canon à travers les rues de la ville.

Le lendemain au soir, alors que dans tous les foyers résonnaient la joie de célébrer Noël en famille, Jimmy lui se contentait de quelques bières et de son écran de télévision. Plutôt que de passer la soirée à regarder les programmes festifs navrants des chaînes de télévision, il avait lancé un enregistrement vidéo du Hell’s Rider Club, sa vieille bande d’amis motards avec qui il avait fait les quatre cents coups dans sa prime jeunesse. C’était étrange de revoir tous ces vieux visages perdus de vue et Jimmy ressentit comme un pincement au cœur lorsqu’il comprit que jamais plus il ne revivrait ça, désormais il roulait et ne roulerait plus qu’en solitaire. Il remonta ainsi le temps une bonne partie de la soirée avant de s’endormir lourdement sur le canapé.

L’horloge du salon indiquait minuit trente lorsque soudain un bruit sourd vint ébranler le pesant silence qui régnait dans la maison. Jimmy ne fit qu’un bond en reconnaissant le son familier du grondement du moteur de sa Honda et quelle ne fut sa surprise lorsqu’il constata que la moto semblait s’être mise en marche toute seule. Aussitôt il coupa le moteur et examina sa machine de plus près pour percer ce mystère.

- Tu n’as pas changé sacré Jimmy, lança une voix caverneuse. Toujours aussi amoureux de ta bécane. 
Quelle ne fut pas la surprise de Jimmy en remarquant assis dans un coin du garage cette silhouette reconnaissable parmi tant d’autres.
- Yves ? C’est toi ? demande Jimmy en plissant les yeux.
- Bien sûr que c’est moi vieille branche. 

Yves fut l’un des piliers du Hell’s Rider Club avant de décéder tragiquement en heurtant un pilier justement, de bar d'ailleurs. Un décès qui endeuilla lourdement Jimmy et qui fut le premier d’une longue liste. Un à un tous les membres du club furent victimes de chutes, collisions et autres accidents qui leur coûtèrent la vie ou un membre ou deux dans le meilleur des cas.

Certains y virent un signe et décidèrent de se retirer du club avant que les choses n’empirent, c’est ainsi que la fin du Hell’s Rider Club sonna.

Mais le fait est qu’en ce soir de réveillon de Noël, Yves était revenu et il était là, près de la Honda devant les yeux ébahis de Jimmy.
- Comment est-ce possible ? Tu es mort, j’étais à ton enterrement !
- Plutôt que de te poser des questions inutiles, viens donc faire un tour avec moi, comme au bon vieux temps, lança Yves en enfourchant la Honda.
Autant dire que Jimmy hésita un moment, on ne monte pas facilement à moto avec un macchabée, aussi vivant semble-t-il être, mais après tout, qu’avait-il vraiment à perdre ? Et puis tant qu’à passer un Noël pourri, autant le faire en compagnie d’un de ses vieux potes motard.

La Honda 500 roulait à tombeau ouvert à travers les rues désertes de la ville et bientôt, elle s’arrêta devant le cimetière où reposaient les anciens membres du Hell’s Rider Club. Dans un mélange indescriptible d’angoisse et de mélancolie, Jimmy et son pilote fantôme pénétrèrent dans le cimetière. Un tel lieu à une telle heure de la nuit ne semble pas être un endroit recommandable et chaleureux, eh bien détrompez-vous. En cette nuit du 24 décembre, tous les membres du Hell’s Rider étaient réunis et ici point d’âmes en peine munies de lourdes chaînes pour l’éternité, non, seulement une bande de motards morts mais heureux. Ils étaient tous là, à rire et à bavarder autour de leurs machines sorties d’une autre époque. Les mains dans le cambouis, Bruno dit « le Kid », une clef à la main, redonnait une seconde jeunesse à sa Godier-Genoud, à grand renfort de synchro sur les conseils du doyen Jacques. Pendant ce temps-là, Jimmy et Yves se livraient à une bataille de qui ferait le plus hurler le moteur. Tous prêts à souffler les bougies.
- C’était le bon vieux temps, souffla Jimmy.
- Oui, le bon vieux temps en effet, continua Yves d’un ton solennel. Regarde toi à cette époque tu rayonnais, tu étais un motard comblé, passionné, vivant.
Et Jimmy vit le spectre de son passé et se sentit honteux d’être devenu ce motard si solitaire et égoïste.
- Viens, nous avons encore beaucoup de route à faire cette nuit, dit Yves tout en rejoignant la Honda.

Leur virée surnaturelle les conduisit chez le concessionnaire Honda que Jimmy avait l’habitude de fréquenter. Dans l’atelier de réparation, Yves et Jimmy regardèrent les mécaniciens inspecter la Honda sous toutes les coutures, effectuer des branchements dans tous les sens et bidouiller des tas de boutons.
- C’est fou comme l’entretien d’une moto peut être compliqué de vos jours. Tu te souviens, à notre époque il suffisait de quelques outils pour faire ronronner la bête. Et puis ça sert à quoi tous ces trucs électroniques là dont les noms incompréhensibles heurtent mes valseuses ? Sincèrement je ne sais pas comment tu fais pour rouler avec ça, moi un moteur et une selle ça m’allait très bien.
- Il ne faut pas être si réfractaire à l’électronique Yves, il y a eu de gros progrès en matière de sécurité grâce à elle.
- Tsss, tu parles. Il y a toujours autant de motards qui crèvent sur le bitume et crois moi je sais de quoi je parle j’en rencontre tous les jours. Non, sincèrement tout ça c’est qu’un prétexte pour être obligé de passer chez le concess, te donner une facture un peu plus salée et te faire casquer un peu plus souvent. Crois-moi, l’électronique ça n’a pas que des bons côtés et je 'va' te le prouver. Allez en route, j’ai une dernière chose à te montrer.

La dernière escale de leur voyage les mena devant la maison de Jimmy, à ceci près qu’elle ne ressemblait plus vraiment à celle qu’il avait toujours connue. Et que sa Honda non plus ne ressemblait plus tellement à celle sur laquelle il était en ce moment-même assis. D’ailleurs ce n’était même pas une Honda mais un véhicule cubique au nom imprononçable bardé de capteurs et d’électroniques... on distinguait à peine les deux roues et le guidon. Et Jimmy se demandait comment on se posait là-dessus.
- Regarde bien, c’est ce qu’il t’attend dans quelques années. Google avait commencé avec l'auto de ton temps... ils ont continué avec la moto.

Soudain, un vieillard fit son apparition sur le pas de la porte et en une fraction de seconde, l’engin se mit en route de lui-même et se dirigea automatiquement vers un Jimmy ridé et chétif.
- Au supermarché, lança le vieux de sa voix fragile.
Et la moto s’élança toute seule, suivant des données préétablies sur des serveurs informatiques, choisissant son itinéraire en fonction des préférences précédemment constatées de son pilote sans même que l'homme ait eu à toucher quoi que ce soit.
- Tu vois, ce que l’électronique va faire à la moto ? Il ne restera des bécanes que la forme et encore. On est de plus en plus vieux. On a même plus la force de lever encore les deux doigts pour saluer, d'ailleurs tout le monde a oublié sa signification. Fini l’esprit motard, fini les virées sauvages (les sorties en groupe sont interdites car trop dangereuses), fini les morts sur les routes, tout ça appartiendra au passé. Et tu ne connais pas encore le plus drôle. Tiens-toi bien, réparer sa moto par ses propres moyens a été déclaré illégal ! Maintenant, si tu essaies de desserrer quoi que ce soit, il y a une alarme qui sonne au poste de police le plus proche et t'as le fourgon qui rapplique en 2"22 chrono. Question de sécurité qu'ils disent ! Mais je t’assure que ce sont les constructeurs qui se frottent les mains. Une chose est sûre, on s’amusait plus de notre temps. Regarde ce vieux Jimmy sur sa moto, il a l’air de s’ennuyer comme un rat mort. D’ailleurs je préfère être mort dignement sur une bécane, une vraie, plutôt que de vivre ça, pas toi Jimmy ?

A son réveil, Jimmy resta un moment sonné. Avait-il vraiment vécu tout ça ou n’était-ce qu’un rêve dû à une surconsommation de bières de basse qualité ? Après une telle histoire, la plupart des gens auraient eu tendance à se remettre en question, à réfléchir un peu à sa propre situation, mais Jimmy n’était pas comme tout le monde. Il alluma son écran de télé, s’installa confortablement dans son canapé et se repassa le dernier grand prix de motoGP. Il saisit une bière blonde posée non loin de là et la leva en disant :

- Santé aux Hell’s Riders et joyeux Noël !

Attention Kronik ! 100% mauvaise foi ! Ceci n'est pas un article ni une brève (voir historique si nécessaire). L'abus de kronik peut être dangereux pour la santé de certains. Ne pas abuser.

Commentaires

Le Modérateur

Joyeux Noël !

14-12-2012 12:05 
fift

Toujours aussi gai l'ami KPOK pipeau

14-12-2012 13:21 
KPOK

S'pô du KPOK, ça.

15-12-2012 20:43 
CoolRider

Sûr que ça ferait un court métrage génial.
KPOK, t'as pas une veille caméra dans un coin ?
Cool pour Noël

16-12-2012 14:55 
fift

KPOK> Voui, El Moderator me l'a signalé aussi timide.

Rectif : "Florine, aussi gaie que du KPOK dernière mouture"

18-12-2012 09:24 
 

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