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Le Bouclard : Jeff

2ème épisode de la saga de l'été

Les clochards somnolaient
Sur les grilles fumantes
Et les moulins tournaient
Dans la nuit murmurante

Le Bouclard : JeffJe ne sais presque rien de son histoire, ni trop comment il est apparu dans ma vie. Tout le monde l'appelle Jeff, certains prononcent « jefe » à l'espagnole pour une raison que j'ignore. Il a le teint encore rougeoyant des alcooliques repentis : maintenant il écluse des litres de lait entier. Il essaye aussi d'arrêter de fumer.

Jamais coiffé, rarement rasé. Il porte d'épaisses sur-chemises à carreaux : il aime les modèles à boutons-pression faciles à déboutonner et les motifs qui masquent les taches de cambouis. Aux pieds, il a des bottes dont le protège-sélecteur se découd. C'est sa mère, couturière retraitée, qui lui rapièce ses pantalons. Superficiellement, on pourrait le prendre pour un hipster, à cette différence que lui en serait resté à la définition originale.

Il roule sur une GS 1100 E, la soeur éclipsée de la Katana. Peinture blanc nacré et rouge à gros filets noirs, réservoir à inserts en caoutchouc, tête de fourche Cooley à petite bulle fumée, cadre de section carrée d'avant les poutres façon GSX-F. Le tableau de bord d'origine a disparu, remplacé par un compte-tours sans provenance et trois voyants. Sur le cadran, il a collé trois bouts de chatterton rouge : cinquante, quatre-vingt-dix et cent trente en cinquième. Un des flancs de selle manque. Sur le garde-boue avant, le curieux dispositif de canalisation de l'air vers le radiateur d'huile.

Il entre dans le hangar. Il me serre la main.

« Ça va, grand ? »

Il appelle tous ceux plus jeunes que lui « grand » ou « grande ». Il a sous le bras une boîte en carton et un amortisseur arrière. Il ouvre la porte de l'atelier. Sur le banc, une FJ 1100 blanche et rouge. Il pose son chargement sur l'établi qui occupe le fond de la pièce. J'allume les tubes du plafond.

« On va pouvoir finir celle-là. Réalésée en dernière cote, pistons Wiseco allégés, arbres méchants », explique-t-il en posant son chargement. L'objectif, c'est Paris-Orléans en 45 minutes sur un plein. »

Ici, dans l'atelier, l'odeur est différente. Plus vivante que dans le hangar : des hommes y remuent l'atmosphère. Des armoires métalliques grises pour les outils spéciaux. Au fond, le rack à outils aux silhouettes peintes en bleu sur fond blanc. A gauche, une étagère avec des boîtes d'où émergent un fouillis de câbles et de plastique. Une cloison à hauteur d'épaules sépare l'atelier d'un coin bureau d'où part un escalier qui mène à l'étage du dessus où je n'ai encore jamais mis les pieds.

Jeff émerge du bureau une bouteille de lait à la main. Il boit.

« Tu passes pour quoi ?
- Rien, juste faire un coucou.
- Sympa. Les autres doivent encore être à déjeuner chez Monique. C'est couscous aujourd'hui. »

Il regarde sa montre.

« T'as un peu de temps ? Je voudrais remplacer l'amorto arrière. Tu vas m'aider : je veux faire ça sans déposer le bras oscillant, mais je vais avoir besoin de deux mains en plus », dit-il.

J'opine du bonnet.

« Monte là-haut, ya un pot de pâte Arma. Sinon tu vas en avoir plein les mains » poursuit-il en montrant l'étage du pouce.

Je pose mon équipement dans le bureau et grimpe le petit escalier en colimaçon. A l'étage, c'est un fourbi indescriptible. Des boîtes en carton partout, des étagères avec des pièces de rechange, des pneus, des bouts de carénage. Au sol, il n'y a qu'un étroit chemin qui serpente au milieu de fouillis pour atteindre un lavabo à côté duquel je trouve le pot de pâte en question. Un détail ? Pas vraiment : il n'y a que les habitués à qui il conseille de se protéger les mains avant de travailler. Je viens de monter en grade.

« Tu trouves ? crie-t-il d'en bas
- Ouais, ouais ! fis-je, les mains dans le mélange couleur sable qui colle.

Je regrette maintenant d'avoir gardé mon pull : les manches vont retomber de mes coudes et je vais avoir du cambouis sur les poignets. Je descends. Maintenant que j'ai gagné mes galons, il va falloir que je les mérite les mains dans la mécanique.

Des chats décolorés
Filent en prise directe
Sans jamais s'arrêter
Parce qu'il n'y pleut jamais

A SUIVRE... LA SUITE MARDI PROCHAIN, MEME HEURE...

Plus d'infos sur les kroniks de l'été

Attention Kronik ! 100% mauvaise foi ! Ceci n'est pas un article ni une brève (voir historique si nécessaire). L'abus de kronik peut être dangereux pour la santé de certains. Ne pas abuser.

Commentaires

froggyfr99

Encore, encore ...

26-07-2016 10:39 
Le Modérateur

suite mardi prochain, même heure :)

26-07-2016 10:57 
kasskou

Il y aurait-il une âme charitable pour pirater l'ordi de kpok et donner les autres épisodes?

27-07-2016 10:22 
Le Modérateur

si je vous dis que les autres épisodes ont déjà été reçus à al rédaction ? gnarf

27-07-2016 11:46 
tom4

excellent. merci
ça me rappelle des souvenirs d'atelier associatif où j'allais dépieuter le bandit et les brêles des potes le samedi avant de tester les modifs à Carole le dimanche

tom4

27-07-2016 11:51 
Le Modérateur

basé sur des faits réels... d'où l'identification du lecteur au tableau

27-07-2016 14:25 
froggyfr99

Moi je dis: à bas les privilèges !
















(je veux tout lire d'un coup, moi)!

28-07-2016 17:53 
KPOK

C'est comme pour les épisodes de Top Gear (le vrai, avec l'orang-outan déjanté) : y'en a jamais assez, ça finit toujours trop tôt, et c'est toujours trop court.

28-07-2016 18:09 
Tec

Bonjour,
Hep !!!!!
Le bouclard de Jeff y s'rait pas dans la rue Watt des fois ?
.... Bah non sinon l'Jeff aurait eu trop de bougies noyées par la Seine et y'avait pas la place de loger une enseigne entre les colonnes.
Bonne journée

28-07-2016 21:35 
thybull

merci tout simplement de nous faire rêver.

31-07-2016 17:20 
 

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