Le Bouclard : Sirène

Elle est le bordelomètre du Bouclard... et notre mascotte...

4ème épisode de la saga de l'été

Où es-tu, fille du pêcheur
Toi que j'appelais Sirène
Tu es reine de mon coeur
De mon coeur, tu es la reine.

Je ne sais pas trop comment elle s'appelle. Certains l'appellent Silène -bizarre : c'est un prénom masculin. La soeur de Jeff l'appelle Siloche. Jeff l'appelle Sirène et parfois il fredonne la chanson de Bobby Lapointe : il paraît que le père de Sirène est Breton, donc forcément pêcheur.

Sirène est la comète du Bouclard. Elle a de longs cheveux très blonds, presque blancs. Elle porte d'amples pantalons de couleurs vives, des foulards multicolores, des chapeaux de feutre ou de paille décorés de rubans, des pulls en angora qu'elle tricote elle-même. Dans l'univers gris bitume noir cambouis cuir sombre du Bouclard, elle est la preuve que la couleur persiste.

Elle évolue dans ce milieu essentiellement masculin à la manière d'une goutte d'eau sur de l'huile. L'armoire métallique du bureau est parfois décorée d'une page centrale d'un New Look, fixée à l'aide d'un aimant d'alternateur. Sirène inspecte la photo puis renifle de mépris et balance une vacherie légère du genre : « elle a un gros pif ». Les nouveaux arrivants qui ignorent qui elle est sont dissuadés d'un froncement de sourcils accompagné d'une mou mi-agacée mi-amusée.

Je ne comprends pas trop ce qu'elle trouve à Jeff. Elle n'aime pas particulièrement la moto. Quand il pleut, elle vient en métro. Elle est imperméable à la culture motarde : la lecture du Joe Bar Team ne la fait même pas sourire. Elle est incapable de faire la différence entre un trail et une sportive. Elle a une approche purement utilitariste des deux roues : si la selle est confortable, c'est bon. Elle est l'exacte opposée de la soeur de Jeff, un motard avec juste un peu plus de poitrine qui roule sur une R90S grise à pots Vattier et vomit les japonaises -à part celle de son frère.

Elle est le bordelomètre du Bouclard : elle fait de petits « tut-tut-tut » accompagnés de mouvements de l'index en désignant boîtes de pizzas, canettes de bière, emballages de pièces et bouts de motos épars. Le lendemain, le ménage est fait. Souvent, c'est Vincenzo qui s'y colle : il est « secrètement » amoureux d'elle, mais ça se voit comme la culasse au milieu d'un flat. Il lui apportait parfois des fleurs -toujours indirectement : « c'est pour le Bouclard » assurait-il sans tromper personne- mais a renoncé sur un froncement de sourcils quand Sirène a appris qu'il payait rarement les bouquets.

Bizarrement, c'est sur une de ses remarques qu'a germée l'idée de la FJ réalésée « Paris-Orléans en 45 minutes sur un plein » que certains appellent le « Wiseco-Express ». Elle feuillette la presse moto comme d'autres parcourent la presse féminine, en s'arrêtant sur un détail : la forme d'un garde-boue, la couleur d'une moto, une paire de bottes. On pourrait la croire farfelue, mais elle suit sa propre logique, féminine. Sirène, c'est l'Aphrodite d'un Jeff-Hephaïstos.

Elle a une maladie rare dont je n'ai pas compris le nom. Ses chances d'atteindre la trentaine sont nulles. Le sujet est tabou. Je l'ai appris par la bande, juste deux phrases chuchotées scellées d'un index sur la bouche. Depuis, je vois Sirène différemment. Forcément. Chacune de ses apparitions est à la fois un soulagement et une peine, sable d'un sablier, dernier rayon de soleil, verre presque vide. Je comprends maintenant les regards de Jeff, la délicatesse dans les mains de Vince, la retenue de ceux qui savent. Sirène est notre mascotte. En sursis.

C'est ma fête j'ai 19 ans
Pu d'cheveux, mais toutes mes dents
Je soufflerai les bougies
Les dernières de ma vie.

A SUIVRE... LA SUITE MARDI PROCHAIN, MEME HEURE...

Plus d'infos sur les kroniks de l'été

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