Matin parfait

Juste à regarder par la fenêtre, ça ressemble à un matin parfait. Un petit soleil, juste un poil de vent qui fait frissonner la cime des bouleaux. Je ne suis pas pressé. Je prépare mes affaires lentement, pour savourer le moment où je vais mettre le pied dehors.

La moto m'attend sagement sur sa latérale. Il y a encore quelques traces de la pluie de la nuit sur les compteurs et la selle. Je les essuie. Contact. La pompe à essence grésille un court instant. Je lance le moteur qui part à la première impulsion. J'enfile mon casque ; les mousses tassées par l'usage enserrent doucement les joues. Les gants, maintenant. Il fait assez tiède pour mettre les gants d'été.

J'enjambe la moto et la relève d'un petit coup de reins, replie la béquille en l'accompagnant du pied pour éviter de la faire cogner. Je sens la fraîcheur du réservoir entre les cuisses. Le ralenti se stabilise. Un petit coup de gaz et la moto s'ébroue, docile.

Coup d’œil à droite, coup d’œil à gauche. Je m'engage dans la rue. Il est tôt : il n'y a personne. Le bitume est encore parsemé de traces d'humidité. Au premier croisement, le feu est au vert. J'enroule tranquillement : inutile de se presser, les feux sont synchronisés. Premier rond point. J'évite sans même y penser le petit trou au milieu de la trajectoire. Je ressors en remettant les gaz juste au bon moment pour sentir l'arrière de la moto se relever légèrement. Devant moi, le prochain feu vient de passer au vert. Inutile d'accélérer fort, il y a tout le temps.

Dernier rond-point avant de sortir de la ville. Sous le court tunnel, les lampes des parois jettent des reflets troubles dans les rétroviseurs. Devant, le bleu du ciel et le vert des prairies avant la forêt. Les vaches fument au soleil, il y a encore un peu de brume au fond du vallon. Je dépasse la petite maison en ruine où je me dis parfois qu'il serait amusant d'aller pique-niquer un jour.

Le soleil est dans mon dos. Je sens la chaleur à travers le blouson qui me fait frissonner de plaisir. Premiers virages. J'accompagne du guidon en essayant de bouger le moins possible ; en enroulant de manière fluide. Je décale juste les épaules sans appuyer sur les cale-pieds.

Il n'y a personne. Je peux rouler au milieu de la route, là où le bitume est plus lisse. Le moteur répond bien aujourd'hui. L'injection gomme un peu cet effet « 5 chevaux de plus » des carburateurs dans des conditions météo favorables. Tiens ? Un autre motard. Il roule sur une... Fazer ? Pas trop eu le temps de voir. En tous cas, je lui ai fait un grand coucou XXL de la main et du bras : je suis de trop bonne humeur ce matin pour agiter vaguement deux doigts.

La route tourne un peu ; le soleil file à travers le feuillage qui a gardé le vert tendre du printemps. Les ombres des arbres s'allongent sur la route. Des touffes de fleurs blanches, bleues, jaunes défilent sur le bas-côté. Un gros nuage blanc, joufflu, volute dans le ciel devant moi. Trois buses tournent au-dessus du petit pic rocheux à gauche ; probablement un jeune et ses parents. 5.500 tours/minute, j'enroule, j'enroule, j'enroule.

Je souris.

Matin parfait.

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