Tentation de bagnole

En hiver encore plus qu'en été, il faut guetter les signes de danger sur la route. Les traces d'humidité sous les arbres. Le verglas qui se forme dans les portions de route à l'ombre. Et l'inévitable bestiole qui déboule au ras de la roue avant.

Aujourd'hui il fait aux environs de -3°. Mais ça c'est en ville. Dans mon creux de vallée, il fera plutôt aux alentours de -6 ou -8. La route scintille dans le pinceau des phares. J'ai quitté les faubourgs de Dijon. Ça caille. La lune presque pleine joue à cache-nuage dans cette atmosphère limpide qui n'appartient qu'à l'hiver. Je roule, attentif.

Quand je rentrerai dans la forêt, la température va baisser brusquement. Il faudra que je fasse gaffe. Notamment après Sainte-Foix, où la route serpente accolée à flanc nord de la vallée. En hiver, le soleil trop bas sur l'horizon n'atteint pas la route : elle reste humide, donc verglacée dès que la température lui en donne l'occasion. Il faut rouler sur des oeufs.

Dans le pré à gauche, des langues de brume se sont formées. Elles vont progressivement déborder sur la route, réduisant la visibilité. Dans le pinceau des phares, je guette la lueur fugace, fluorescente, des yeux d'un animal. Plutôt jaune : c'est probablement un renard ou un blaireau. Plutôt vert ? Attention, c'est du gros. Je roule au milieu de la route, la ligne médiane centrée sur mon collecteur d'échappement pour me garder une marge de manoeuvre à gauche comme à droite si ça déboule d'un bas-côté.

Avant-dernier virage avant Sainte-Foy. Depuis qu'ils ont refait la route, la chaussée est toujours trempée à cet endroit : ils ont dû taper dans une mouillère. Je guette s'il y a des phares qui viennent d'en face et je m'écarte pour éviter le gros de la tâche. Dans Sainte-Foy, il faut faire attention au chemin qui débouche de la droite : très escarpé, non revêtu, il vomit régulièrement des cailloux et du gravier. C'est sur une ligne droite, mais ça peut surprendre.

L'autre piège dans le hameau est le petit pont sur le Suzon : difficile à voir, il favorise la formation de verglas : le bitume au-dessus du pont gèle alors que le reste de la route est seulement humide ; un grand classique hivernal avec les joints de dilatation gelés et les bandes blanches qui peuvent être mouillées alors que le reste du revêtement est sec.

Mais je la joue petit bras ces derniers jours : j'ai laissé le scoot dans la remise et je roule en bagnole. Ce qui diminue sérieusement les probabilités de finir sur la casquette sur un coup de pad'bol. Bien au chaud, je savoure par exemple le 2e mouvement de la 7e Symphonie du Grand Sourd qui se prête bien à la conduite nocturne. Sur le scoot, je serai non seulement frigorifié, mais aussi carrément moins détendu.

Je reste surpris par ce que peuvent se permettre d'ignorer les automobilistes sur la route et ses dangers. Quand je parle de verglas sur les ponts ou sur les versants nord, je m'attire le plus souvent des regards perplexes. Mais je suis bien content de pouvoir appliquer à la bagnole ce que j'ai appris à moto ; cela fait peut-être de moi un meilleur conducteur.

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