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Essai sportive TSR Honda AC90M

La Bimota Japonaise d'endurance sur base de Honda CBR900RR Fireblade

4 cylindres en ligne, 944 cm3, 177 ch, 163 kg

TSR Honda AC90M. A qui ce nom évoque-t-il quelque chose ? A pas grand monde ou quelques rares connaisseurs. Mais si je vous dis Honda CBR 900 RR Fireblade, là, tout le monde suit. Et bien c'est la même moto, ou presque. Explications et essai naturellement, d'une moto très spéciale victorieuse en endurance.

Mais commençons par TSR. Troisième du Championnat du Monde d'Endurance FIM EWC en 2020, le team F.C.C. TSR Honda France s'est illustré la saison dernière en remportant les 24 Heures Motos. Alors que la compétition s'apprête à reprendre sur le circuit Bugatti du Mans, l'équipe de Mazakasu Fujii déjà sacrée lors de la saison 2017/2018 compte bien revenir au sommet cette année avec Mike di Meglio, Josh Hook et Yuki Takahashi.

Car bien avant d'intégrer le championnat à temps plein, l'équipe TSR Honda a multiplié les succès en endurance et ce, depuis ses débuts lors des Suzuka 8 Hours en 1990, forgeant sa légende au long de trois décennies de compétition. Il faut dire que l'équipe a fait des débuts étincelants à Suzuka, avant de disparaître quelques années pour se concentrer sur le développement de ses motos pour la catégorie X-Formula au Japon et revenir aux 8 heures de Suzuka en 2003 avec un premier podium, suivi par sept autres, avec notamment trois victoires en 2006, 2011 et 2012. En 2017-2018, l'écurie a remporté les deux courses de 24 heures au Mans et au Bol d'Or pour sa première saison complète et est devenue par la même occasion le premier team japonais champion du monde EWC. Mais c'est bien de la X-Formula qu'elle tire ses racines.

Essai de la Honda AC90M du team F.C.C. TSR
Essai de la Honda AC90M du team F.C.C. TSR

Genèse

Quiconque s'est rendu au Bol d'Or dans les années 70 et 80 se souvient de la grande variété des motos présentes sur la grille, des prototypes d'usine aux préparations spéciales, chacune présentant ses propres spécificités et innovations en matière d'ingénierie. On parle ici des motos comme la ELFe avec son moteur Honda d'usine et les premiers freins carbone utilisés sur une moto, de la Laverda V6, de la Honda NR750 à pistons ovales, de la Yamaha TZ750 2-temps, de l'étrange Nessie britannique à moyeu directeur, de la Fior Yamaha, des Kawasaki Offenstadt, des Sidemm-Benelli à cadre monocoque... À toutes ces machines originales il fallait ajouter les superbikes plus conventionnelles, qui luttaient généralement pour la victoire, comme les Kawasaki Godier & Genoud, les Suzuki Bakker, les Honda Japauto, etc.

L'endurance à toujours été un formidable terrain de développement des motos, comme ici pour l'ELFe
L'endurance à toujours été un formidable terrain de développement des motos, comme ici pour l'ELFe

De nos jours, alors que le design des sportives japonaises est devenu la norme, il est logique que les réglementations d'Endurance se soient calées sur celles-ci pour permettre d'acheter et de préparer une moto sans avoir à la concevoir de A à Z. Mais en plus d'encourager l'innovation, il est judicieux de permettre aux constructeurs d'utiliser cette discipline pour développer des motos de nouvelle génération, comme ce fut le cas pendant des décennies dans les Suzuka 8H, le Bol d'Or et les 24H Motos. C'est ce que Ducati a fait en inscrivant son prototype Desmoquattro au Bol 86, un an avant son apparition sous la forme de la 851 et les 9 titres de WorldSBK, ou comme MV Agusta l'a fait tout au long de 2001 avec le proto de la future F4 1000. D'où la présence de la classe Expérimentale qui court toujours aux côtés des machines traditionnelles et où l'on retrouve notamment les sportives à moyeu directeur JBB Metiss, bien que celle-ci ne roulera pas cette année au Mans pour la première fois en 20 ans.

Mazakasu Fujii a donc créé le F.C.C. TSR Honda en tant qu'équipe d'endurance en construisant des versions spéciales de la Honda CBR900RR Fireblade et en les inscrivant dans la catégorie X-Formula à Suzuka. Cette catégorie a vu le jour en 1997 pour étoffer les grilles japonaises de Superbike, mais a ensuite été adoptée par la course sprint de 8 heures entrecoupées d'arrêts aux stands qui figure comme le rendez-vous le plus important du calendrier des constructeurs japonais.

La TSR Honda AC90M de 2001
La TSR Honda AC90M de 2001

Cette variante de l'ancienne réglementation TT Formula 1 autorisait toutes les motos jusqu'à 1.300 cm3 quel que soit le nombre de cylindres (d'où la Sundance Harley et la Yoshimura Hayabusa) et dispensait les participants des exigences d'homologation au profit d'une règle de rachat : toute équipe engagée sur la course pouvait réclamer l'une des six premières motos à l'arrivée pour 3,5 millions de yens (environ 140.000 francs de l'époque). Cela décourageait évidemment les prototypes d'usine de finir devant, mais pas de participer et a également encouragé la construction de nombreuses prépas ou sportives de petites séries par des fabricants reconnus comme Moriwaki, Over, Yoshimura et TSR.

Ce n'est pas forcément très connu en dehors du Japon, mais pendant de nombreuses années après son ouverture en 1998, le Twin Ring Motegi, l'autre circuit de Honda, a accueilli une autre grande course d'endurance en septembre, six semaines après Suzuka. Les Motegi 7-Hours étaient une course extrêmement suivie dans le cadre du titre national et qui reprenait les règles de la X-Formula, attirant une foule de machines développées par les meilleurs préparateurs du pays, comme les Over et Moriwaki qui étaient/sont des projets des départements de course des 4 constructeurs japonais. C'est ce qui a rendu particulièrement important les trois victoires consécutives du TSR Hondade 1999 à 2001. Aux mains de Jurgen van den Goorbergh et Jun Maeda, la Honda s'était imposé en X-Formula mais avait aussi terminé 15e du scratch à Suzuka et la TSR Honda AC90M était clairement une moto très spéciale. La piloter par un après-midi d'automne ensoleillé sur le même tracé où elle avait forgé sa légende était d'autant plus croustillant.

L'AC90M a permis au team TSR de remporter trois fois les 7h de Motegi
L'AC90M a permis au team TSR de remporter trois fois les 7h de Motegi

TSR veut dire Technical Sports Racing, une entreprise fondée par le père de Mazakasu Fujii qui était autrefois pilote d'essai Honda dans les années 1960 avant de fournir des pièces de préparation pour les motos du constructeur, entreprise qui s'est développée pour devenir l'une des enseignes les plus réputées du Japon en la matière, toujours exclusivement pour Honda.

Découverte

Ces trois succès sur le double anneau de Motegi, c'est avec la Honda AC90M que le TSR les a obtenus. L'AC90M était basée sur une Honda CBR900RR Fireblade de 1998 sur laquelle beaucoup d'efforts avaient été portés sur le châssis et le moteur, avant de l'habiller d'un carénage intégral plus aérodynamique avec une selle dans le style Aprilia destiné à réduire la traînée.

La Honda est dotée d'un carénage intégral très couvrant
La Honda est dotée d'un carénage intégral très couvrant

Le moteur d'origine Honda de 918 cm3 a été alésé de 1 mm jusqu'à 72 x 58 mm pour obtenir une cylindrée de 944 cm3 avec de nouveaux pistons Cosworth montés sur des tiges Pankls en titane et un vilebrequin d'origine rééquilibré, mais pas allégée. La circulation de l'huile n'était pas un problème, même pour l'endurance, selon les dires du chef de la R&D Nori Shimizu. Les soupapes et ressorts d'origine ont été conservés et ajustés aux nouveaux arbres à cames Erion Racing et des carburateurs Keihin Flatside de 41 mm. TSR envisageait à l'origine des soupapes surdimensionnées, mais a fait marche arrière en réalisant que cela aurait un impact sur la consommation de carburant, un point crucial en Endurance.

Le moteur de la CBR900RR a été porté à 944 cm3
Le moteur de la CBR900RR a été porté à 944 cm3

L'allumage repose sur le CDI Honda d'origine et bien que la boite de vitesse de CBR900 ait été installée, elle présente un deuxième rapport plus long provenant du Racing Kit du HRC. Surtout, l'embrayage, toujours en bain d'huile, est anti-dribble et produit par le sponsor de longue date du team le F.C.C., comme dans Fuji Clutch Company. Équipé de son échappement maison en carbone, le moteur ainsi réglé délivre 177 chevaux à l'arbre à 12.200 tr/min, ce qui équivaut à 162 ch à la roue selon Shimizu-san, avec un régime max de 12.800 tr/min.

Le châssis de course de la TSR d'endurance repose toujours sur le cadre périmétrique en aluminium de la Fireblade de 98, mais il a été lourdement poli et complété avec des renforts au niveau de la colonne de direction et du pivot du bras oscillant pour plus de rigidité. L'angle de chasse a été réduit de 24° à 22.5° et l'amortissement avant confié à une fourche inversée WP de 43 mm entièrement réglable spécialement conçue en Autriche pour le TSR et modifiée en interne par le team. Même chose pour les étriers spéciaux Nissin à quatre pistons mordants des disques flottants de 310 mm adaptés pour permettre un changement plus rapide de la roue avant Marchensini de 17" chaussée de Michelin lors des arrêts aux stands.

La TSR AC90M est freinée par des étriers Nissin 4 pistons
La TSR AC90M est freinée par des étriers Nissin 4 pistons

Le poids est incroyablement bas avec 163 kg à sec, soit juste un kilo au-dessus de la limite de poids du WSBK à laquelle les motos X-Formula devaient adhérer. Le bras oscillant réalisé dans un alliage spécial est fortement renforcé et dispose d'une liaison spécifique du TSR avec un amortisseur WP entièrement réglable qui, suite aux différentes modifications, réduit l'empattement de 15 mm par rapport aux 1.390 mm stock. L'ensemble de ces modifications ont conduit le TSR à nommer le projet AC90M, seuls leurs propres cadres étant numérotés de la sorte.

Le châssis reste très léger puisque la moto revendique seulement 163 kg sans essence
Le châssis reste très léger puisque la moto revendique seulement 163 kg sans essence

Mais la nouvelle conception était suffisante pour empêcher la moto de course de concourir en EWC. Le fait que le TSR ait produit par la suite une toute nouvelle version plus rigide et plus légère de son châssis pour l'édition limitée AC91M homologuée pour la route en 2002 n'a pas aidé, parce que la production n'était prévue que pour 30 exemplaires, sur demande et adaptés spécifiquement à chaque client. Oui, c'est un peu une Bimota japonaise !

Essai

La chance de piloter l'AC90M sur la piste de Grand Prix de Motegi a souligné à quel point la TSR Honda était puissante, tout en restant extrêmement maniable : je pouvais imaginer comme elle aurait pu devenir une sportive idéale sur le long terme, capable d'évoluer aussi bien sur les circuits lents que sur les plus rapides. Elle était incroyablement belle et énorme lorsque je l'ai vu pour la première fois garée dans la Pit Lane, mais c'était une illusion d'optique principalement créée par l'imposant réservoir de carburant de 24 litres, en hausse de six litres par rapport à la Fireblade de série.

Au premier abord, l'AC90M parait beaucoup plus grosse que la Fireblade de série
Au premier abord, l'AC90M parait beaucoup plus grosse que la Fireblade de série

Les modifications apportées à la géométrie et la plus grande roue avant se combinent pour rendre la direction encore plus nette et certainement plus prévisible que ce à quoi je m'attendais. Il est étonnamment facile de basculer d'un côté à l'autre dans les chicanes du Twin Ring, même avec la lourde charge de carburant avec laquelle je m'étais élancé. Mais on n'oublie jamais qu'il s'agit d'une grosse moto, avec un sentiment de largeur amplifié par le carénage efficace qui couvre bien les mains en prévision des typhons de la mi-été au Japon ou du froid mordant d'une course de 24 heures en France au mois d'avril. Se replier derrière lui offre une protection raisonnable dans la ligne droite de Motegi, même si le grand réservoir laisse le haut du casque prendre l'air à grande vitesse.

Le châssis modifié par le team TSR est très stable, à la fois lors des accélérations en sortie de virage et sous les freinages importants, comme en descente à la fin de la ligne droite arrière, où une moto avec un biais de poids de roue avant aussi extrême qu'ici (56/44%) pourrait normalement commencer à bouger sous le transfert de masse à l'approche du virage en épingle. Ici ce n'est pas le cas, cependant - et l'AC90M tient également bien sa trajectoire sous une forte accélération encore penché sur l'angle - elle ne pousse pas la roue avant, même avec le réservoir plein.

La sportive se montre très stable en courbe
La sportive se montre très stable en courbe

La seule chose dont je ne m'étais pas vraiment soucié sur la maniabilité de la TSR était le réglage des suspensions très dures et insensibles que les ingénieurs avaient choisi pour mon essai. Ceci provoque un léger dribble dans la main gauche après la chicane supérieure, puis à nouveau en sortie du virage un, les deux endroits où l'on trouve les bosses laissées par les voitures. Ainsi, même si elle se comporte très bien sur les surfaces lisses de la piste, l'AC90M est trop rigide pour s'adapter aux défauts. Après avoir piloté la Superbike Kawasaki d'usine équipée de la même fourche WP, je sais qu'elle pourrait être plus performante que ça. Peut-être ce choix est-il délibéré, pour tenir compte des charges de carburant complètes que la moto doit transporter à plusieurs reprises, mais même sur un circuit lisse comme Motegi, c'était exagéré. L'amortissement de la fourche est également trop raide au rebond, mais je crains qu'au Japon, où le temps en piste est toujours primordial, nous n'ayons pas le temps de commencer à jouer avec ça.

Ayant piloté d'autres Fireblade préparées du même millésime que celle-ci, depuis la gagnante du TT stock de Jim Moodie de 1998 délivrant 123 ch pour 179 kg, à la RS Performance avec laquelle Steve Plater a remporté le British Powerbike la même année (146 ch pour 167 kg), j'avais quelques repères pour la Honda TSR de 162 ch et 163 kg. Et en toute honnêteté c'est assurément la meilleure que j'ai pilotée. Non seulement elle se manie et se comporte assez bien, quoique assez rugueuse, le moteur dispose d'une puissance disponible presque dès le ralenti, suffisamment en tout cas pour lever la roue avant en sortie de virage sur les trois rapports inférieurs. Cela fonctionnerait aussi sur la première vitesse si ce rapport n'était pas trop bas pour être utilisé sur circuit, sauf sur la voie des stands après un ravitaillement.

Le 4 cylindres de 162 ch montre les crocs dès les bas régimes
Le 4 cylindres de 162 ch montre les crocs dès les bas régimes

Étonnamment, même pour 2002, il n'y a pas de poweshifter installé, ce qui est d'autant plus dommage que le TSR en avait un dans son catalogue à l'époque ! Bien que le changement de vitesse soit plutôt rigide et lent, il semble également assez positif avec un changement rassurant lorsque les rapports plus élevés sont engagés. Cependant, en accélérant les changements de rapports on peut vite sauter un rapport comme je l'ai fait au début de mon essai jusqu'à ce que j'apprenne à faire des concessions. C'est ainsi que j'ai également découvert que le moteur semblait tourner à plus de 13.000 tours sans dommage apparent et sans la moindre trace de rupteur ! Hmm...

La deuxième vitesse est bien réglée, car on en a besoin quatre fois par tour à Motegi et son utilisation en sortie de la chicane ou de l'un des virages intérieurs plus serrés, comme à la chicane supérieure, procure une accélération fulgurante qui me fait me tenir debout sur les repose-pieds pour maintenir la roue avant au sol alors que la charge de carburant s'est allégée. Le shortshifting (monter un rapport avant le régime optimal) à un peu plus de 10.000 à la sortie de la dernière chicane permet de mettre le moteur en plein dans la courbe de couple, ce qui permet d'en profiter tout le long avant d'accélérer en sortie.

Heureusement que le frein moteur est présent, car les étriers Nissin sont un peu faibles
Heureusement que le frein moteur est présent, car les étriers Nissin sont un peu faibles

À la fin de la ligne droite arrière, en freinant aussi fort que possible sur cette moto qui me parait plus lourde qu'elle ne l'est réellement, je suis heureux d'utiliser la deuxième vitesse pour accéder à un freinage moteur indispensable, sans avoir à craindre un dribble grâce à l'embrayage à glissement. J'ai vraiment besoin du peu de frein moteur résiduel que TSR a laissé, car les freins Nissin ne sont pas les meilleurs, contrairement à ceux à six pistons du même fabricant qui m'ont toujours impressionné sur les Superbike de course. Ces étriers à quatre pistons n'ont jamais eu le même mordant que leurs homologues, mais au moins, ils fonctionnent raisonnablement bien au départ, même avec une pleine charge de carburant. Mais après une demi-heure, ils commencent à s'estomper. Les trois freinages successifs en haut du circuit et surtout le dernier en bas de la ligne droite ont dû les entamer sérieusement, manquant de me faire finir ma course dans le bac à gravier. Oups !

Conclusion

Après cet accroc j'ai fait la part des choses et je n'ai plus eu de quasi-accident. La TSR Honda est une moto que l'on trouve facile à mettre dans une conduite "rythmée" et c'est un attribut majeur pour une sportive d'endurance. Elle est incroyablement agréable à piloter une fois que l'on a pris note des choses auxquelles il faut faire attention et ces qualités sont avérées pour les longues distances comme en atteste sa série victoires aux 7 Heures de Motegi.

Un bon entraînement pour les courses EWC par Fujii-san !

TSR Honda AC90M
TSR Honda AC90M

Points forts

  • Précision
  • Moteur
  • Homogénéité
  • Embrayage anti-dribble

Points faibles

  • Suspensions raides
  • Freinage

La fiche technique de la TSR Honda AC90M