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Essai Offenstadt Kawasaki 750

La H2 Monocoque

Les pilotes-ingénieurs sont une race rare, en particulier ceux qui sont également experts dans les deux disciplines et capables de concevoir des solutions innovantes et uniques au plus haut niveau puis de les piloter avec succès.Le Britannique Peter Williams est à juste titre considéré comme le parangon de ces talentueux virtuoses. En concevant personnellement la John Player Norton qu'il a menée à la victoire sur l'Ile de Man lors du TT F750 en 1973, il s'est ainsi assuré sa place dans le livre des records pour toujours.

Essai de l'Offenstadt Kawasaki 750
Essai de l'Offenstadt Kawasaki 750

Genèse

Christian Ravel, Eric Offenstadt et François Beau devant la Kawasaki H1R en 1970Mais il y a un autre figure, moins connue en dehors de sa France natale, qui mérite la même admiration, d'autant plus qu'il courait les GP 500 avec sa propre moto, deux ans avant que la première Norton monocoque de Williams ait fait son premier tour de roue. Cet homme c'est Éric Offenstadt, connu par tous sous le nom de Pépé et qui s'est avéré être encore plus polyvalent que Williams.

En effet, sa carrière de pilote moto a été enrichie par sa carrière de pilote auto avec ses participations aux courses autos F2/F3 pour des équipes aussi célèbres que Matra et le Team Lotus avec lesquelles il parvint notamment à battre les futurs champions Jackie Stewart et Jim Clark. Mais la moto lui manquait et il revint 8 ans plus tard à la compétition moto.

La décision de Pépé de revenir à la compétition moto fut prise suite à la rencontre fortuite avec un vieil ami au Stand 14 à Paris, en face de la boucherie du père de Jean-Pierre Beltoise où tous les pilotes parisiens avaient pour habitude de sortir.

Pendant sa carrière en auto, son ami Xavier Maugendre avait fondé la société SIDEMM en 1968 et était devenu l'importateur de Kawasaki. Pour promouvoir la marque, il avait créé les Coupes Kawasaki qui permirent à de nombreux pilotes d'éclore (Pons, C. Sarron, Fontan...), mais avait aussi monté un team avec Daniel Baranne pour aligner deux Kawasaki H1R en GP500. Maugendre convainc alors Offenstadt de revenir à la compétition en 1971 aux côtés de la star montante Christian Ravel. Ravel et Offenstadt enchaînèrent alors les problèmes sur la nouvelle H1R. Mais ceci ne les empêchât pas de quelques coups d'éclat en GP avec la 2e place de Ravel à Francorchamps derrière Agostini, son titre en Championnat de France ou la 4e place d'Offenstadt à Imatra, ainsi que la victoire des deux hommes aux 1.000 km du Mans.

Le cadre monocoque d'Offenstadt prend forme pour 1971
Le cadre monocoque d'Offenstadt prend forme pour 1971

Les problèmes de maniabilité et de consommation de la H1R ont convaincu Offenstadt de construire une nouvelle moto avec un cadre monocoque :

J'ai été surpris du peu de progrès technologiques des motos de courses durant les huit années où je me suis éloigné. La meilleure voiture que j'ai jamais conduite était une Lotus monocoque que Colin Chapman avait conçue et développée devant mes yeux. Il était logique de l'adapter aux motos. Santiago Herrero gagnait des courses en 250 GP sur l'Ossa monocoque, donc la logique était d'utiliser le réservoir comme cadre pour la Kawasaki, ce qui me permettrait d'embarquer plus de carburant et d'améliorer la centralisation des masses, ainsi que de rigidifier le cadre et, espérons le, d'améliorer la maniabilité.

L'Offenstard Kawasaki 500 de 1971
L'Offenstard Kawasaki 500 de 1971

La saison fut marquée par la réussite de la machine avec plusieurs podiums, mais également le décès de Ravel, juste devant lui, à Spa-Francorchamps. En 1972, Éric poursuivit sa route, mais souffrait des problèmes de fiabilité du moteur. À l'hiver 71-72, il crée une version plus petite, basse et légère du châssis monocoque, avec un réservoir réduit à 24 litres pour répondre au nouveau règlement de la Formula 750 qui venait d'arriver :

La moteur H1R n'était pas bon. Il vibrait beaucoup, était assez fragile et il n'y avait plus de développement à venir dessus. Le nouveau H2 de 750 cm3 c'était quelque chose d'autre, c'était un fabuleux moteur. Donc quand ils ont annoncé le début de la Formula 750, j'ai décidé de construire une moto autour de ça pour concourir à la Daytona 200 et dans toutes les autres épreuves européennes pour cette catégorie.

Découverte

Propulsé par une version modifiée de la toute nouvelle Kawasaki H2 750 Mach IV qui venait de sortir en septembre 1971, Offenstad prit le départ de la Daytona 200 1972 avec le soutient de SIDEMM et de Baranne au guidon d'une moto peinte aux couleurs du drapeau français. Une semaine seulement avant que la moto ne parte pour la Floride, c'est le Champion du Monde 250 Phil Read qui testait la 750 monocoque sur le circuit Paul Ricard. Mais la météo froide et humide empêcha Phil de porter un jugement sur la moto avant qu'il ne prenne lui aussi la route de Daytona où il finira 4e avec la John Player Norton.

Offenstadt au guidon de sa 750 lors des Daytona 200 en 1973
Offenstadt au guidon de sa 750 lors des Daytona 200 en 1973

Le plus petit et plus bas cadre F750 monocoque ne pesait que 12 kg et était renforcé pour assurer plus de rigidité et de solidité que son prédécesseur plus grand et plus large, avec le moteur monté sur des Silentblocs directement à l'arrière de la monocoque avec une paire de tubes en aluminium descendant de la colonne de direction. La moto plus compacte ne pesait plus que 129 kg à sec, soit 9 kg de moins que la H2R d'origine. Sa face avant plus fine assurait également une meilleure vitesse de pointe, un point crucial dans les courbes de Daytona.

Grâce à son cadre monocoque, la moto ne pèse que 129 kg à sec
Grâce à son cadre monocoque, la moto ne pèse que 129 kg à sec

La moto était équipée d'une fourche Rickman de 41 mm de diamètre réglée sur un angle de chasse de 29° et adaptée pour supporter deux étriers de Honda CB750 à simple piston et une paire de disques Kawasaki de 298 mm, avec à l'arrière un troisième duo disque/étrier. Initialement, elle était pourvue de jantes à rayons, mais celle-ci furent ensuite remplacées par des jantes SMAC en aluminium. De même, les freins ont été remplacés par des étriers Lockheed et des disques SMAC.

Les freins d'origine ont été remplacés par des étriers Lockheed et des disques SMAC
Les freins d'origine ont été remplacés par des étriers Lockheed et des disques SMAC

Offenstadt a lui-même modifié le moteur trois cylindres H2 de 748 cm3 à refroidissement par air et mesurant 71 x 63 mm afin que celui-ci délivre ce qu'il a évalué à 75 chevaux sur la roue arrière à 7.500 tr/min. Le moteur était équipé d'un allumage Kröber et d'un trio de carburateur Mikuni VM35SC de 35 mm issus de la H1R. Cependant, afin de permettre aux échappements modifiés de H1R de se croiser, les deux cylindres extérieurs étaient intervertis de sorte que les orifices d'échappement pointent dans la bonne direction. Cela se traduisait cependant par des flancs extérieurs de cylindres dépourvus d'ailettes et cette disposition causa malheureusement des problèmes de surchauffe. Problèmes qui seront partiellement résolus via des conduits internes avant que les cylindres restaurés ne retrouvent leur place d'origine.

Modifié, le moteur H2 développe ici 75 chevaux
Modifié, le moteur H2 développe ici 75 chevaux

L'embrayage à sec et la boîte de vitesse à cinq rapports provenaient tous deux de la J1R du team Baranne, couplés à un entrainement primaire d'origine de H2. La transmission finale par chaîne utilisait un galet pour assurer une tension constante alors que le moteur avait été monté plus en avant et plus bas par rapport aux moyeux que dans la H2 stock. Là encore, l'objectif était d'améliorer le centre de gravité du cadre monocoque ainsi que de mettre plus de poids sur la roue avant pour une meilleure adhérence. Les doubles amortisseurs Ceriani montés à l'origine sur le bras oscillant en acier tubulaire ont été remplacés plus tard par les Koni actuels, avec un empattement de 1.400 mm.

Les amortisseurs Koni sont réglables en précharge
Les amortisseurs Koni sont réglables en précharge

En selle

Bien que j'habitais à Paris à la fin 1969, je n'avais jamais vu les Offenstadt Kawasaki monocoque en action à l'époque. Mais une rencontre fortuite m'a permis de combler ce manque. Quand Gilles Hampe est arrivé aux Coupes Moto Légende en 1999 à Montlhéry et s'est garé juste à côté, il a alors déchargé l'unique Kawasaki 750 Offenstadt qu'il avait restauré l'année précédente pour permettre à Éric de piloter au Centennial TT d'Assen. Nous avons ensuite roulé ensemble lors des "parades" (qui n'en sont pas), lui sur l'Offenstadt et moi alternant sur la Suzuki RG500 XR14 de Barry Sheene et sur la Kawasaki KR500 de Kork Ballington. Au moment de nous séparer, le quadruple vainqueur du Bol d'Or Classic sur Godier Genoud Kawasaki (3 succès avec Christian Haquin et un avec Alain Genoud en personne) a prononcé les mots magiques :

Aimeriez-vous venir tester l'Offenstadt un jour ? Si oui, peut-être pourrions-nous demander à Éric d'être là ?

L'Offenstadt Kawasaki 750
L'Offenstadt Kawasaki 750

Ça a pris du temps à se faire, mais quelques années plus tard, nous nous sommes réunis sur l'autre circuit de Paris, le court et serré circuit Carole. Et oui, Éric Offenstadt était là en personne pour me conter l'histoire de cette moto.

L'assise est plus basse que sur beaucoup de sportives de l'époque
L'assise est plus basse que sur beaucoup de sportives de l'époque

En montant sur la selle, j'ai tout de suite senti que la monocoque Kawasaki sponsorisée par Baranne et peinte dans sa livrée patriotique bleu-blanc-rouge était assez différente des autres motos du début des années 70 que j'avais pilotées. La selle assez basse donne l'impression d'être assis dans la moto plutôt que sur celle-ci. Une configuration idéale pour les virages de Daytona où le carénage assez grand prend tout son sens. Cependant, bien qu'indéniablement surbaissé, de sorte que l'on est invité à s'enrouler autour du réservoir monocoque en aluminium, l'Offenstadt semble équilibrée, sans cette architecture typique de beaucoup de sportives des années 70. Cela se traduit par une très bonne maniabilité dans les nombreux virages de Carole et où la répartition du poids ne perturbe pas la direction ni la fait sous-virer, même lorsque l'on ouvre les gaz.

Essai

Le poids semble également très réduit, la moto ne pesant que 129 kg à sec et placé bas. La moto est donc très simple à faire passer d'un angle à l'autre. Ce centre de gravité bas devait également contribuer à la stabilité de la moto sur les bosses de Daytona.

Avec son faible poids la moto se montre très agile
Avec son faible poids la moto se montre très agile

En revanche, j'ai été déçu par les freins. D'accord, il n'y a pas beaucoup de poids à arrêter et Carole ne permet pas d'atteindre les vitesses de Daytona, mais quand même, la morsure initiale est légère et il faut serrer fort le levier pour ralentir la moto avant d'aborder les virages en épingle à la fin des deux lignes droites. J'ai d'abord supposé que c'était parce que ces freins comprenaient des disques en aluminium que SMAC produisait à l'époque et qui comme les Hunt similaires sur la MV d'Agostini, procuraient certains avantages en termes de poids et d'effet gyroscopique, mais nécessitaient des étriers fonctionnant très bien, ce qui n'était pas le cas ici. J'ai donc été surpris d'apprendre par Gilles qu'il s'agissait en fait de disques SMAC de 260 mm en acier mordus par des étriers Lockheed car ce package devrait plutôt être comparé à celui de pointe de la Ducati Paul Smart victorieuse des Imola 200, une course qu'Offenstadt avait mené avant de glisser sur une traînée d'huile. Clairement, le ressenti n'est pas le même.

Le freinage est clairement en retrait par rapport au reste
Le freinage est clairement en retrait par rapport au reste

La moto d'Offenstadt est très rationnelle dans son pilotage, même si elle est légèrement étroite pour moi puisqu'elle a été faite sur mesure pour Éric qui est plus petit. Comment Gilles a-t-il pu rouler à bord de la moto du haut de son 1m90 reste un mystère ! Mais la moto inspire confiance et le cocktail de pneus avec à l'avant un Dunlop KR124 et à l'arrière un Avon AM23 fonctionne parfaitement.

Les pneus adhèrent bien et la moto met vite en confiance
Les pneus adhèrent bien et la moto met vite en confiance

L'arrivée de la puissance est relativement douce et prévisible et, grâce au montage du moteur sur des Silentblocs dans le cadre, avec très peu de vibrations. Gilles a fait du bon boulot en reconstruisant le moteur ! C'est un moteur plus doux que celui de la H1R. J'ai piloté celle de Ginger Molloy du championnat du monde 1970 et ce moteur de 750 H2 est à la fois plus coupleux, comme on peut s'y attendre, mais aussi plus souple. La puissance fournie est nette autour de 5.000 tours/minutes et il y a une bonne accélération de 5.500 à 7.000 tours, mais il cesse ensuite de tirer alors qu'il devrait dépasser les 8.000 tr/min.

Nous avons essayé différents réglages en vain, alors j'ai dû travailler un peu plus sur la boîte de vitesse pour rester dans les hauts régimes, ce qui n'est pas vraiment compliqué sur un circuit court comme Carole.

Le trois cylindres est exploitable entre 5.000 et 7.500 tr/min
Le trois cylindres est exploitable entre 5.000 et 7.500 tr/min

L'embrayage à câble est un peu rigide avec les ressorts que Gilles a installés, mais cela resta parfaitement gérable même s'il est assez difficile au démarrage et qu'un vrai talent est nécessaire pour synchroniser l'ouverture des gaz au régime moteur.

Conclusion

Ma principale admiration après avoir finalement réussi à piloter cette monocoque d'Offenstadt porte sur la qualité de la direction de la moto, ainsi que sur la position de conduite très pratique, bien qu'Éric soit plus petit que moi. Comparé à la position franchement étrange de la JPN monocoque vainqueur du TT avec les mains rapprochées pour réduire la zone frontale et que j'ai eu la chance de piloter à plusieurs reprises, l'Offenstadt Kawasaki 750 est accueillante et rationnelle. Bien joué Éric !

Eric Offenstadt et Gilles Hampe avec la 750 monocoque au circuit Carole
Eric Offenstadt et Gilles Hampe avec la 750 monocoque au circuit Carole

Points forts

  • Maniabilité
  • Position de conduite
  • Suspensions

Points faibles

  • Freinage
  • Embrayage

La fiche technique de l'Offenstadt Kawasaki 750

Commentaires

la carpe

Les photos d'époque sont un régal. Nostalgie, quand tu nous tiens...

10-07-2020 18:56 
1364

C'est dommage que ce genre de développement n'ait pas eu de véritable répercussions sur des motos grand public.
On est toujours à la traîne, nous... clin d'oeil

11-07-2020 10:00 
commando

Bien avant la Norton de Peter William, y a eu la Ossa monocasco de Santiago Herrero, mais peut-être qu'à l'origine y a eu les MGC dans les années 30

11-07-2020 10:56 
Ghoward

Une mot particulièrement sympa à conduire avec une tenue de route exceptionnelle. J'en ai une depuis bientôt 40 ans que je viens de finir de refaire.

12-02-2021 11:27 
 

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