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Brèves de motard(e)s

Vie de motards - témoignage... et APPEL DE PHARE...

Par coeur

C'est le printemps, il fait beau et bon au pied des Pyrénées. 6h30 du mat', j'enfourche mon fier destrier, ma première moto, mon amour, ma 750 XLV. Je suis en stage à Dax mais je suis rentré chez moi à Pau la veille pour embrasser ma belette de l'époque. Une heure de route de campagne viroleuse à souhait que je connais par coeur, mais alors par coeur. Chaque virage est répertorié dans ma tête, avec l'angle à prendre, la vitesse d'entrée, le petit coup de frein juste avant s'il le faut, tout quoi. Alors hier soir, comme d'hab', je me suis fait un petit chrono, tranquille. Une vraie mobylette, cette XLV. C'est incroyable comme un trail aussi massif est agile et arrive à prendre de l'angle. Mais bon chuis pas un débutant non plus, déjà deux ans de permis !

Donc ce matin, route inverse. J'aime bien les départs à la fraîche, comme ça, de bonne heure. Pas trop de monde sur la route, on peut attaquer un peu histoire de bien se réveiller le cerveau. 3 kilomètres après la maison, gamelle !

Je connaissais la route par coeur de chez par coeur. Surtout ce magnifique virage à la sortie de Pau, cette courbe de rêve sur la quatre voies dans laquelle je plaçais ma XLV sur un petit angle gentil, avec l'aiguille du compteur scotchée sur le chiffre 140 ! J'avais bien vu, la veille, qu'il se tramait quelque chose dans le coin. J'avais bien remarqué que depuis quelques temps on nous construisait un de ces magnifiques ronds-points qui font la fierté des municipalités dynamiques. Mais bon, les travaux ça n'avance pas vite, et la courbe était toujours là. Elle aurait dû être là. Elle n'y était plus ! A la place, une déviation style "pif-paf" pour dévier la voie sur celle d'à-coté, un S de route avec deux virages à 90° en l'espace de 50 mètres, bref le genre de trucs qu'il n'est pas raisonnable d'enquiller à 140. Le tout sommairement signalé par une multitude de panneaux et autres lampes clignotantes. Mais bon, 6h30 du matin après une nuit de calins, j'avais envisagé de me réveiller le cerveau un peu plus loin, après la sortie de la ville... Donc, en une fraction de secondes j'analyse : je suis déjà un peu parti sur l'angle, il n'y a rien d'autre à faire que freiner. Donc je freine, à mort. La roue arrière me signale son mécontentement en se bloquant et forte des quelques degrés d'inclinaison, commence à partir. Mon cerveau, complètement réveillé depuis un millième de seconde, réagit. Coup de rein magistral, coup de pied par terre, la moto se redresse, re-frein... et elle part de l'autre coté ! J'ai vraiment dû freiner un peu fort, là, car la roue avant par solidarité avec sa copine se bloque également. Alors commence une magnifique glissade qui m'envoie visiter une grosse partie du chantier, ma moto virevoltant gracieusement devant moi. Je crois que ça a duré très très longtemps.

Je me relève et me précipite aussitôt vers ma belle qui gît à quelques mètres de moi, angoissé à l'idée de ce que je vais trouver. Ses 200 et quelques kilos me semblent étonnamment légers quand je la relève pour la béquiller. La hargne, sans doute. Rapide bilan : Le top case explosé, un levier d'embrayage et un embout de guidon tordus, et quelques belles rayures par-ci par-là. Alors c'est donc vrai, la XLV est construite comme un bulldozer ! Non parce que je suis sûr de mon coup, pendant ma glissade je l'ai vue rebondir une ou deux fois ! Enfin bon chuis plus très sûr de rien, et puis je ne me sens pas bien du tout. Grosse envie de gerber, je pense que c'est la peur. Mais au fait j'ai rien moi ? Bilan du pilote et Oh surprise ! Toute la jambe droite de mon jean est en lambeaux, et ce que je vois n'est pas très joli. Beaucoup de sang, et des petits morceaux qui pendent. En plus il me manque une chaussure, et puis j'ai très mal à l'épaule, là où le blouson est tout râpé. Mais bon ça va, alors je ramasse le top case que je pose entre mes bras sur le réservoir, je redémarre la bête. Elle a du mal mais elle consent à repartir, direction la maison. Je repasse dans mes "traces" et là, vraiment, j'ai compris que je revenais de très loin ! Dans la trajectoire de la glissade, il y avait un panneau de signalisation, tenu au sol par deux énormes parpaings, et à coté un godet de bulldozer avec ses magnifiques dents brillantes. Entre les deux, à peine un mètre. C'est là que je suis passé. Ce jour là, c'est clair, il y avait un ange au-dessus de moi, et il n'a pas chômé !

J'ai eu du mal à rentrer chez moi. J'ai même pas ri quand ma belette a failli s'évanouir en voyant ma jambe. J'ai tout nettoyé, fait un beau pansement en replaçant les morceaux, changé de jean et de chaussures, et repris la route. Je suis repassé en première dans le "pif-paf", j'ai roulé tout doucement, j'avais un mal fou à passer mes vitesses parce que ma jambe ne voulait plus travailler et quand je suis arrivé à destination, j'ai sagement rangé la moto... et alors que je commençais à expliquer mon retard à mon chef, je suis tombé dans les pommes ! Je me suis réveillé dans un joli lit blanc, avec une cheville plâtrée et un toubib qui ne voulait pas croire que j'avais eu mon accident à 80 bornes de là !

C'était il y a 15 ans. Aujourd'hui tout va bien merci, j'ai gagné une belle cicatrice et quelques cailloux qui sont restés sous la peau, ça fait joli à la plage. J'ai changé de belette, l'autre ne supportait plus la moto. Ma XLV est restée longtemps avec moi puis elle a eu des remplaçantes, GT, sportives, enfin un peu tout quoi. J'ai pris d'autres gamelles, moins graves, et à chaque fois j'en ai retiré une leçon. Sans doute que c'est ça qu'on appelle "l'expérience". Alors je vous le dit, frères motards :

  • Soyez sûrs d'être bien réveillés avant d'enrouler le câble.
  • Avec deux ans de permis, ne vous croyez pas des as du guidon.
  • Avec 20 ans non plus, d'ailleurs !
  • Ne freinez pas comme un bûcheron quand vous avez de l'angle (oui je sais c'est évident mais...)

Et surtout, surtout, méfiez-vous des trajets que vous connaissez par coeur ! Parfois, la DDE est très joueuse !

Patrice dit Gaubs  - le 10 octobre 2002

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