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Roman : René (épisode 1)

Episode 1 : Le Gatouillable sort de sa léthargie…

René Gédeufoitrentans sort du garage sa vénérable YAMAZUKI 1000 XYZ qui affiche fièrement ses deux décennies, non par son état général car René est plutôt du genre méticuleumaniaque, mais à cause d'une plastique qui commence à sentir la relégation au musée du coin.

René Gédeufoitrentans "le gatouillable" by Sato

Une petite confidence, à ne surtout pas divulguer car René est devenu un poil grincheux avec les années et n'aime pas tout ce qui est susceptible de rappeler son âge canonique : en loucedé, il la nomme affectueusement « Mémère »...

Donc, not' bon René sort Mé..., pardon, je voulais dire sa bécane du garage et glisse la clé dans le contacteur : y'a un peu d'jeu mais avec l'habitude... et en plus la moto démarre très facilement, à défaut de tourner régulièrement sur ses quatre pattes, rapport aux boisseaux d'carbus qui commencent à s'user eux aussi... Mais enfin, elle tourne rond et elle est pas bridée, elle au moins, avec ses 125 véritables canassons piaffants perpétuellement d'impatience d'en remontrer à cette jeunesse devenant de plus en plus effrontée !!!

Pendant que Mé..., pardon, la moto chauffe tranquillos, René enfile son vieux barbour, un Belstaff, graissé à l'huile de chaîne comme au bon vieux temps : il ne veut surtout pas entendre parler de ces espèces de tenues bariolées qu'on vend maintenant dans ces grandes surfaces qu'on nomme magasins moto (ha ! le temps des p'tits bouclards qui sentaient bon l'huile de ricin...) : ch'suis motard, pas un clown employé chez Pinder, martèle t'il à qui veut l'entendre (pas grand monde en fait...).

Il se coiffe ensuite de son GPA SJ (pour Sans Jugulaire : une trouvaille qui a révolutionné le casque... il y a 25 ans de cela, environ...) qu'il ne troquerait jamais contre une de ces casseroles modernes et pis qu'en plus il est peint aux couleurs du grand Mike, un p'tit jeune devenu son idole mais trop tôt disparu...

C'est pas tout ça mais faut rouler... , après bien sûr dix minutes d'étirements en bonne et due forme pour détendre un organisme demandant lui aussi à chauffer avant de démarrer (à cet âge là, faut pas risquer le serrage...).

Quelques vingt minutes plus tard, la... moto étant bien chaude comme on peut le constater à la fluidité de l'huile noire répandue au sol, René, dans son style académique (très droit et rien qui dépasse) décolle doucement : enfin lui décolle, mais l'embrayage, lui, colle un pneu et la moto cale. Pas grave, y'a personne dans la rue, l'honneur est sauf !

Nous sommes à l'abord de l'hiver comme en atteste la flamboyance affichée par la forêt toute proche, ainsi que l'odeur d'humus se dégageant des bas côtés de la petite route départementale empruntée par René : ça va beau faire xx années qu'il pratique la moto, une joie indescriptible le submerge à chaque fois en cette saison car s'il aime ce contact quasi charnel avec la nature qui s'endort, il sait aussi que les d'jeuns ont rangé leurs trucs en plastique à deux roues : ben ouais, ça fait le cacou et dès que la température descend en dessous de dix degrés ben, y'a plus personne. Ha!, d'mon temps...

René sait que la route lui appartient et aujourd'hui il a décidé d'une grande sortie vers l'océan. Pour ce faire, le niveau d'huile de la Vénérable, ainsi que le graissage de la chaîne et de l'axe de bras oscillant (on sait jamais...), a été effectué. René a même monté ses manchons sur le guidon pour ne pas engourdir ses vieux membres passablement fatigués par toutes ces années à parcourir les routes de France et de Navarre. En plus, ça lui rappelle les Eleph', comme dans le temps où il souffrait pas encore des articulations, même que si il le pouvait encore, il tracerait grand nord... . Le temps passe, René, et il ne t'attend pas...

Il en était à ressasser tout ça quand il fut réveillé en sursaut par un fracas épouvantable !
Alors que lui même enroulait une petite courbe dans son style inimitable, une espèce de jeune effronté venait de lui faire un extérieur en bonne et due forme, le genou au sol comme à la télé (des fous !..), dans un irrespect le plus total... En plus, ce jeune tr.. du c... ne l'a même pas salué !!!

Trop c'est trop ! René rempile la quatre et fait rugir M..., pardon, sa moto, laquelle se demande ce qui se passe pour la sortir ainsi de sa léthargie, et GAZZZZZZZZZZZ , va voir c'qu'y va voir c'blanbec !!!

René est sûr de ses K81, qui ont fait le bonheur des participants de la coupe KAWA dans les années 70 (demande à Sarron ce qu'il en pense ...) et le voila au derche du petit c.. .
Ce dernier a relâché son effort et semble attendre le Vénérable qui lui, maintenant, lui colle aux basques comme un morpion sur...

J'te tiens, s'pèce de rigolo, et c'est pas en faisant le singe comme tu fais que tu vas êt' capable de larguer un monument comme moi !, se dit René en se raidissant le plus possible car, pour aller vite, il ne faut surtout pas bouger de la moto, rien ne doit dépasser : faut un style le plus pur possible pour pas désunir la moto, comme Mike à l'époque...

Pendant ce temps, Ziva Jmélesgazs, sur sa HONDAWA 600 ABCRRZW RRRR REPLICA, rigole doucement en pensant: enfin un que j'va êt' capab' de laisser sur place...
Le drame de Ziva, c'est qu'il a eu beau faire des stages avec Sarron, Bonhuil et consorts, ben..., il est vraiment pas doué pour la moto mais comme ça fait branché, il est bien obligé de rouler un peu pour justifier quelques kilomètres au compteur : pour ce faire, il roule de préférence l'hiver, pour pas risquer l'adversité.

Donc, René, droit comme un I, en aspi, colle aux basques de Ziva qui déhanche à tout va dans un style pour le moins... mouvant ! Les deux rivalisent, se dépassant aux faveurs des fautes de pilotage de l'autre (fréquentes...) : un coup à toi, un coup à moi, avec, pour l'instant, une grande égalité au niveau de l'efficacité.

Soudain, sortant de nulle part, un bruit d'abeille se fait entendre derrière eux et un magnifique boulet bleu cubant au moins 50 CC les double dans un style impeccable au détour d'un délicat pif paf un peu glissant : ils le savent très bien de qui il s'agit en le reconnaissant, affublé de cuir bleu et jaune fluo, se regardent, et s'arrêtent… C'est le fils du patron du bouclard du coin, celui que René n'aime pas car il déteste les vendeurs de tapis. Celui que Ziva n'aime pas non plus, car à chaque fois qu'il rentre dans le magasin pour commander une pièce, l'autre il rigole tout le temps de son niveau de pilotage.

Pendant ce temps, le jeune Valentini ROSSO poursuit son entraînement sans se soucier des deux chicanes qu'il vient de doubler: sans doute ne les a t'il même pas vues... René et Ziva, réconciliés par cet affront commun, décident d'aller prendre le verre de l'amitié au bistrot du coin : là au moins, y'a pas de motard susceptible d'écouter le récit de leurs exploits qu'il ne manqueront pas de raconter au patron qui est là pour écouter sans broncher sa clientèle, commerce oblige...

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dafy