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Roman : René (épisode 27)

Episode 27 : Petite virée, pour souffler un pneu…

Ces derniers temps le gars René a beaucoup donné entre les coups de mains au môme ROSSO, les essais, les séances photos et divers trucs découlant de sa récente notoriété !

Pour tout dire, il en a un peu ras l'intégral. Aujourd'hui, avec la complicité de son Maurice de frère, c'est stand-by pour Superpapy qui a décidé d'une virée tranquillos, sans arsouille, histoire de se détendre un peu comme le Respectable qui va à la pêche pour se sortir de son quotidien glauque d'avec Mémère qui, si elle fut une bonne épouse en des temps tellement reculés qu'on se demande si c'est pas la pensée qui a enjolivé la chose, est maintenant une vieille aigrie à bigoudis n'ayant plus que son fidèle compagnon en défouloir de cette rancœur initialisée par l'entremise de ce foutu sablier qui la nargue dans un bras de fer inégal…

C'est la raison Number One du célibat des deux frangins, pas d'attache susceptible de jouer le miroir dans lequel on contemple le temps qui passe…

Bref, les V6 vont pas surchauffer de la journée, ce, pour le plus grand plaisir de Maurice qui n'aime pas trop les arsouilles sur la route !

Les deux Gatouillables font traîner ce moment où on enfile l'équipement, un œil sur les motos pour l'instant immobiles, en savourant l'instant présent.

Les 1300 sont maintenant à l'extérieur et chauffent tranquillement sur la latérale. Le temps est sec et frais, parfait pour prendre la route par le chemin des écoliers…

Quand deux personnes se connaissent parfaitement, à fortiori jumeaux, et partagent la même passion, c'est le beau fixe affiché au baromètre du bonheur. Les Respectables s'observent avec complicité pendant que les motos se dérouillent les bielles sur les premiers kilomètres.

René ouvre la marche à un rythme inhabituel de lenteur en rapport à celui imprimé en temps ordinaire, Maurice le suivant comme son ombre. Ils enroulent le nez au vent, sans but précis si ce n'est celui de sentir cette liberté les envahir, bercés au feulement régulier des six cylindres tournant à bas régimes.

Là-haut, très loin dans le ciel, les oiseaux semblent vouloir les accompagner, comme pour leur indiquer une direction connue d'eux seuls et uniquement accessible à ceux qui ont le courage de briser les chaînes qui les relient à ce quotidien monotone et uniforme de la vie de tous les jours…

Ils sont heureux ; d'être ensemble d'abord, de profiter de l'instant présent sans devoir rendre aucun compte à quiconque…, heureux de vivre, tout simplement !

Sur les bas-côtés de la chaussée, l'herbe humide bordant les arbres de la forêt toute proche qui a laissé tomber au sol sa parure de la belle saison, laisse échapper mille odeurs subtiles leur rappelant des souvenirs d'enfance. Epoque insouciante où ils batifolaient tous deux dans les bois en inventant des histoires destinées à créer un univers rien qu'à eux.

Les moulins sont maintenant en température et, mine de rien, la moyenne n'a rien de ridicule même si les courbes sont absorbées sur un filet de gaz en enroulant. Avec des moulbifs cubant autant, c'est la moindre des choses. Mais aucune brusquerie dans les gestes ne troubler la quiétude un peu magique du moment, de celle qui te fait croire que le temps s'est arrêté, et les deux motos semblent glisser sans aucune contrainte sur un imaginaire tapis déroulé à l'infini sur l'asphalte noir du réseau routier…

Soudain, à l'entrée d'une agglomération, la brusquerie du monde réel les surprend par l'entremise d'une dizaine de bécanes arrêtées à un feu. René et Maurice sont bien obligés de cohabiter quelques instants avec cette horde faisant involontairement irruption dans «leur» univers, des djeun's sur des sportives high-tech avec des cuirs aux couleurs des pilotes en vue du moment.

Ces derniers saluent les Respectables tout en jetant un œil circonspect sur les Kawasuki. Les Sport GT, même affublées de telles mécaniques, n'ont pas l'aura quelque peu sulfureuse drainée par une replica et ne sont donc pas dignes de la caste instaurée par cette new generation pour laquelle le paraître est LA condition sine qua non de reconnaissance. De même, à travers les visières, l'âge des frangins est affiché comme sur un écran géant, encore une fois un élément incompatible d'appartenance à ce monde définitivement sectaire ou la passion semble avoir cédé le pas face à une vulgarisation de la moto traitée au même titre que n'importe quel objet susceptible de servir de symbole à une jeunesse de plus en plus lobotomisée.

Les Respectables se regardent en soupirant, manquait plus que ça alors que la quiétude les entourait quelques instants auparavant…

VRAOUUUUUUM !!!, VRAOUUUUUUM !!!, toujours le même cinéma avec des gugusses comme ça, sauf que nous avons droit à une petit variante pour le groupe présent : une fois le feu passé au vert, ils laissent filer les Gatouillables pour mieux enquiller le gauche à la sortie du bled en ayant au préalable doublé les V6 le nez dans la bulle…

Les freinages sont légers et la prise du point de corde bien approximative, mais peu importe pour ces « pilotes des jours sans pluie », l'important pour eux n'est pas d'étudier le mode d'emploi du passage en courbe (trop fastidieux… et dangereux pour l'image vis à vis de l'autre dans le cas ou on ne possède pas le talent nécessaire pour ça !) mais d'avoir un truc bourré d'accessoires sensé rivaliser avec une meule de GP… au coin du bar !

Maurice se porte au niveau de René, mais le la lueur dans le regard de ce dernier lui comprendre que Pépère est pas content ; Superpapy en rempile deux et visse en grand !

Là-bas, au loin, la meute n'amuse pas le terrain… en ligne droite, mais le V6 est préparé, à chaque changement de rapport, une brève fumée bleutée s'échappe du pneu arrière tandis que la bête crache son impressionnante cavalerie dans une accélération démoniaque pour une brèle de route !!!

Au loin, un droite au large rayon se précise et René a déjà fondu sur le groupe, ces derniers prennent les freins alors que l'ancien lui, ne coupe pas en les doublant un à un par l'extérieur.

La surprise est totale ; l'un d'eux touche même la roue arrière du comparse devant lui, risquant de les mettre au tas tous les deux !

Au point de corde, René, plein angle, lâche la main gauche, qu'il passe entre le réservoir et le bras droit, pour les saluer au passage tandis que la Kawasuki reste imperturbable sur sa traj'…

Le rythme des d'jeun's a subitement chuté et Maurice en profite pour prendre la roue du frangin, tout à l'extérieur lui aussi. Motos encore sur l'angle, les deux Respectables font hurler les moulbifs à la limite de la zone rouge en déposant littéralement les pseudo pilotes incapables de répliquer !

Celle de Maurice a reçu les mêmes pièces que René, les replicas ne suivent pas et doivent se contenter, après s'être fait proprement enrhumer en courbe, de voir s'éloigner les Anciens qui se fendent bien la poire de ce petit clin d'œil face à la certitude d'une toute puissance sans fondement.

Une aire de repos se trouve quelques mètres plus loin, René fait signe à son frère de s'arrêter. Ils retirent leur casque en se marrant et en se tapant dans la main. Bientôt le groupe apparaît et stoppe, la queue entre les pattes mais intrigué, derrière les frangins.

Sont pas fiers les gamins ! Ils s'avancent en directions des Gatouillables. L'un d'eux imite alors la carpe gobant une mouche à la surface de l'eau en s'écriant :

« René Gedeufoitrentans !!! on aurait dû s'en douter…
Bon, c'est sûr , on pouvait pas lutter…
Et même Maurice y met du gaz, on a rien vu ! », avoue t'il, visiblement impressionné…

Les autres font « HOOOOOO !!! », car il est vrai que la René Story a fait le tour de tout le milieu, la presse et les campagnes de pub ont bien aidé à ça !

Les d'jeun's sortent qui, un carnet et qui, une feuille ou un paquet de cigarettes pour faire signer Superpapy, d'un seul coup, la barrière des génération est effacée au profit d'un profond respect…

« Voyez-vous les jeunes, vot' problème c'est qui faut arrêter de vous r'garder l'nombril et faire comme nous les anciens, vous concentrer sur la poignée d'gaz !
C'est pas vos tenues d'clowns qui vont vous aider à savoir ouvrir autrement qu'en ligne droite et, au lieu de dépenser des fortunes dans ces trucs là, payez-vous des stages de pilotage : vous serez ainsi plus crédibles et éviterez ce genre de petite mésaventure…Pigé la jeunesse ?… »

Faut reconnaître qu'il a pas tord Pépère et la petite troupe repart quelque peu désorientée…

Les deux Respectables, eux, reprennent la route, le nez au vent, à une allure sénatoriale…

René Gédeufoitrentans "le gatouillable" by Sato

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