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Roman : René (épisode 3)

Episode 3 : C'est pas gagné d'avance…

Donc, not' René préféré pousse la porte du bouclard mais marque une petite hésitation : tout cela n'est il pas trop précipité ?, se demande t'il brusquement, comme semblant se réveiller après un long sommeil.

Ce faisant, il se retourne sur sa (bientôt ex...) fidèle monture, et doit bien avouer, en la regardant, que le poids des ans se fait palpable malgré une plastique encore intacte. Et puis, cette tache d'huile déjà présente sur le bitume, là, juste sous ses roues...

René réfléchit : j'me d'mande si l'jeune avec la cravtouze n'a pas cherché à m'endormir en m'refourguant la KAWASUKI, se demande t'il, inquiet. Il se retourne une fois encore pour une ultime comparaison : c'est vrai qu'il l'aime bien sa vieille machine, avec laquelle il a parcouru toutes les routes de notre doux pays et celles de contrées plus lointaines.

Au fil des années, une complicité certaine s'est installée au gré des galères traversées en commun : la pluie, le vent, la neige parfois, et autant d'autres d'éléments du même acabit qui scellent la moto à son pilote en une osmose difficile à briser, voire à remplacer...

Seulement voilà, l'autre jour, ce p'tit trou du c.. de fils de p.. d'enfoi.. de mer... (si y'en a trop, rayez les mots inutiles) de Valentini l'a laissé sur place sans aucun respect, mais surtout, sans que René n'y puisse quoi que ce soit. La faute à la moto bien entendu, surtout en se faisant larguer par un pisse feu !

Cet argument le rassure dans le fait qu'il a bien fait d'envisager le remplacement de sa fidèle, mais fatiguée compagne de route. De plus, il allait voir le jeune blanc bec...

René, regonflé, prend une grande respiration à pleins poumons (l'instant est lourd de conséquence...) et, d'un pas décidé, entre dans l'officine !
Le même vendeur est présent et, tiens !, au fond du magasin, le jeune Valentini qui passe sans le voir (p'tit c.., va !).

Le vendeur s'avance sur René, un sourire de conséquence jusqu'aux oreilles, et lui dit simplement :
« Elle se fait préparer à l'atelier, les mécanos finissent de la briquer, si vous le voulez bien, pendant ce temps on va régler les modalités de reprises et finir de rédiger les papiers. »

René se laisse entraîner et signe machinalement, sans les lire, les documents présentés.
« Elle est prête !, vient annoncer un petit gars en blouse bleue maculée de graisse, elle est où la reprise que je la descende en bas ??? »

Maintenant, les dés sont jetés, et René, avec un poil de regret, donne les clés de sa moto qu'il tenait à la main pour la dernière fois.

Le vendeur l'amène au sous sol où sont alignés une douzaine de ponts élévateurs, avec autant d'employés affairés à des machines diverses : quelle usine !, pense t'il, d'mon temps c'était pas comme ça...

Puis, d'un coup, il l'aperçoit : elle rutile la KAWASUKI 1300 6 cylindres avec, derrière, sa plaque en WW.

Le mécano, à ses côtés, procède aux ultimes vérifications en actionnant les diverses commandes qui illuminent un tableau de bord entièrement digital ressemblant plus à un arbre de noël, qu'au bon vieux compteur compte tour analogique de sa maintenant précédente monture.

Faut faire le tour du nouveau propriétaire et l'employé à la clé de douze s'évertue à expliquer à René le nébuleux fonctionnement de tout ce bric à brac électronique : ce dernier répond affirmativement à chaque regard interrogateur (faut pas passer pour un c..) mais, en fait, commence à se demander si cette moto est bien pour lui, lui qui ne sait même pas régler l'heure de sa montre à quartz...
Bah, on verra bien à l'usage, se rassure t'il.

Le moment de grimper en selle est arrivé (il reviendra plus tard, en boitaroues, chercher l'équipement refourgué) et, c'est en tremblant un pneu qu'il se hisse pour la première fois sur le dos de sa nouvelle monture.

Il tourne la clé, BZZZZZZ, BZZZZZZ fait le tableau de bord en affichant une multitude de couleurs. Un coup de pouce, léger, sur le démarreur, et la moto s'éveille : bizarre !, ça ne vibre pas et on entend presque pas le moulin : on dirait une bagnole, se dit René en débrayant et passant la première.

Il lâche l'embrayage doucement et sort la « bête « de l'atelier, en répondant aux salutations du vendeur et du mécano : la moto décolle lentement pour prendre la direction de la maison, mais avec un petit détour toute fois, pour la prendre un peu en main.

D'abord, cette position : René a mal aux poignets ! Pas grave, faut s'habituer au début avait dit le mécano car, maintenant, elles sont toutes comme ça et ça permet de mieux viser les points de corde... . Mouais !, se dit René, pas très convaincu... .

Par contre, p'tain la légèreté ! : c'est presque trop et il doit faire gaffe de pas trop la balancer sur l'angle car elle plonge sans aucun effort, pas comme la vieille en tout cas.

Mais avant de balancer en courbe, René a dû toucher aux freins carbone : crébondieu !, j'rentre dans un mur ou quoi ??????????? C'est vrai qu'habitué à un freinage datant de 25 ans, un double 6 pistons mordant des disques de 320 en carbone, ça déménage quelque peu !!! Va falloir faire gaffe mais au moins, y peut v'nir le jeune trou du c.. avec sa brêle d'adolescent !

Le moteur ensuite... : Haaaaaaa, ce moteur !!!!!!!!!!!!!!: ça arrache dès les bas régimes comme l'ancienne le faisait en haut !!! Pourtant, pas plus de 6000 pour le rodage, avait dit le mécano :
René obéit mais, en regardant le compteur se dit : « pas possible ! , y raconte des conneries ce truc !, j'roule quand même pas à c'te vitesse là ????????? ». Il est vrai que ce moulin délivre un couple énorme et monte en régime sans aucune vibration, alors que l'autre, elle commençait à s'prendre sérieusement pour une Harley...

Finalement le progrès a du bon se dit René en se félicitant de son achat, malgré le fait que l'électronique lui fasse un peu peur et surtout, l'oblige à remettre en question des habitudes bien ancrées depuis quelques décennies (a cet âge là, ça compte les habitudes...).

Emporté par la curiosité, René décide de continuer à rouler et prend la direction du grand Ouest ! Bon sang, quelle protection ! : On sent pas l'vent mais bon dieu c'que les repose pieds sont hauts et les demi guidons bas !!!

Au bout d'une demi heure, force lui est de s'arrêter car il ne sent plus ses avant bras et quelques crampes se font sentir au niveau des articulations de ses vénérables papattes qui commencent, tout doucement, à préférer le confort d'une cheminée à feu de bois aux longues chevauchées sur deux roues.

Mais point de tout ça, se dit René, pour qui un motard, tant qu'il peut marcher, doit continuer à rouler...

Pour l'instant, ayant béquillé la belle (ça s'fait tout seul avec un truc moderne comme ça !), notre protagoniste s'évertue, au prix d'une danse indéfinie, à récupérer ses gestes fonctionnels en tentant de calmer les quelques douleurs évoluant simultanément en bas et en haut de sa vieille carcasse.
Cherchant à se rassurer, il se dit : « c'est vrai que l'inaction m'a un peu ramolli. Au moins maintenant, je vais être obligé de me bouger pour être à la hauteur d'une telle machine : ça va me faire du bien... ». La vie lui a fait comprendre depuis longtemps qu'il faut positiver chaque situation pour être capable de bien l'appréhender...

Il remonte ensuite sur la moto, la remet en route, rigole en voyant l'arbre de noël s'illuminer, et décolle de nouveau.

Un gros voyant orange se met à clignoter au tableau de bord : c'est quoi ça ?, ha ouais, l'essence, z'auraient pu m'faire le plein au complet quand même !, bougonne René en empruntant la première à droite pour s'arrêter à la petite station chez laquelle on ne vient jamais par hasard, enfin si... quelquefois !, et stoppe de nouveau.

Il retire la clé et s'émerveille en constatant un bouchon d'essence monté sur charnière (depuis le temps qu'il râle pour un truc aussi simple à réaliser...).

Glou, glou, glou plus tard, le réservoir fait Beuuuurp ! : Il est plein.

René essaye alors de trouver le totaliseur journalier au milieu de toutes ces informations : conso réelle, litres restants, distance restante : c'est comme l'âge du capitaine : il s'en fout comme de sa première chemise... . Ha voilà, ça doit être ça...
Effectivement, c'est ça, mais pour le remettre à zéro... Il a tenté pourtant d'écouter les explications du mécano mais faut avouer que toute cette technologie n'est pas de son époque.

Le gars, à la pompe à côté de lui, le regarde en souriant : « Elle est neuve cette moto, en plus c'est le dernier modèle !, félicitations !!! Attendez, je vois que vous cherchez pour le totaliseur : je vais vous aider, je suis mécano de métier et motard aussi... »
Du « de quoi j'me mêle » qu'il allait balancer à cet inconnu, René se retourne avec un large sourire et lui répond : « Ben oui, j'me sens un peu dépassé, faut qu'je m'habitue, c'est comme tout. »
Ha ???, faut simplement appuyer là ??? , constate René, un peu vexé de passer pour un c.. devant cet aimable personnage.
Il règle ensuite la note et reprend sa route.

Une demi-heure plus tard, de nouvelles douleurs se font sentir et il décide de rebrousser chemin : « Décidément, savent plus faire des positions pour des gars comme nous : la faute à ces p'tits c.. qui veulent singer les pilotes. Bon, puisque c'est comme ça, hé bien, j'vais m'y habituer et leur montrer que l'René l'est pas encore fini... »

Sur ces bonnes paroles, René regagne expressément son logis douillet, gare la moto au sous sol, enfile ses charentaises et va s'installer dans son fauteuil préféré, MJ en main, pour profiter de la chaleur de la grande cheminée près de lui ou se consument deux énormes bûches.
Il adore de plus en plus cet espèce de « calme après la tempête» qui suit chaque roulage et lui permet d'en apprécier le contraste, des images de courbes plein la tête.

René Gédeufoitrentans "le gatouillable" by Sato

La suite au prochain épisode...

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