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Roman : René (épisode 37)

Maisidon Lesgazs, enfin !

C'est un charmant petit village provençal niché au creux d'un vallon où l'on accède par de la départementale tournicotante. Un véritable paradis pour l'amateur de pilotage, et aussi un havre de paix pour le touriste de passage, lequel a tout de suite l'impression de se replonger cinquante ans en arrière, voir plus, tant on a l'impression qu'ici le temps s'est arrêté à la lecture des Lettres de mon Moulin. D'ailleurs, on s'attend à voir surgir Marcel Pagnol des petites ruelles sombres et étroites, venant nous souhaiter le bienvenue. Celui-ci est certainement planqué dans l'incontournable café du village niché au pied de la place centrale dans laquelle est implantée une fontaine dont le doux chuchotement de l'eau qui s'y déverse semble chanter le retour de la belle saison.

Le café du village ? Parlons-en justement. Il se nomme le « Tourist Trophy », un nom surprenant pour un bar-hôtel-restaurant dans cette région. René ne peut esquisser un sourire en lisant l'enseigne posant fièrement à l'entrée de l'établissement. Sur les murs blancs on peut voir une peinture très réaliste représentant le regretté Mick Hailwood en pleine attaque sur sa Ducati…

Maurice jette un œil de connivence vers son frère. Sans même avoir fait sa connaissance, il sait maintenant quel genre de personnage se trouve à la tête de ce – déjà - sympathique lieu de villégiature !

Ziva, trop jeune pour comprendre l'émotion produite par ce symbole d'un autre temps ayant marqué toute une génération, ne réagit pas et se contente de suivre les Respectables à l'intérieur du bar.

Un gars d'un certain âge (sans précision pour ne froisser personne…) est affairé derrière son comptoir à comptabiliser sa recette de la journée. Il est grand, très grand même, baraqué, mince de taille comme quelqu'un qui s'entretient quotidiennement et avec le teint halé d'un gars vivant au soleil dont seules quelques rides au visage, et aussi quelques cheveux gris, donnent une certaine idée de son kilométrage réel (si ta femme te quitte après avoir lu ça, t'étonne pas…, gros fainéant !)

L'endroit est désert vu l'heure tardive. A la vue des arrivants, le maître des lieux arrête alors la tâche qui l'occupe et un large sourire illumine alors son visage. Il s'avance alors vers René et se jette dans ses bras pour une franche accolade.

« Renéééééé ! quelle joie de te revoir !!!
J'allais fermer et je n'y croyais plus. Vous vous êtes perdus ou quoi ? »

« Non, répond l'Ancien en lançant un regard noir vers son frangin, simplement un p'tit problème moteur consécutif à l'excentricité d'un monsieur que je ne nommerai pas, mais je t'expliquerai plus tard…
Fred ? Je te présente mon frère Maurice, et le jeune Ziva qui nous accompagne. »

Serrage de paluche et grimace du môme devant la poigne de cette montagne de muscles.

« Bienvenue en Provence, mes amis ! Venez, je vais vous montrer vos chambres, vous allez vous débarrasser de vos affaires et nous allons passer à table. Ma femme Isabelle nous a préparé un de ces gigots à l'ail dont vous allez me dire des nouvelles… Je me doute qu'après une telle route vous devez être affamés !»

Sympathique l'hôte !

Les chambres sont à l'image du bas de l'hôtel : des murs blanchis à la chaux, de la poutre incrustée et des meubles en bois massif simples mais de bon goût. Aucune exubérance, pas de tape à l'œil, simplement de l'authentique dans la plus pure tradition provençale.

Fred les laisse s'installer et se rafraîchir en les attendant en bas. La chose est vite faite. Bientôt les voilà tous les quatre réunis autour d'une grande table dont les couverts dressés n'attendent plus que la venue d'une préparation dont le doux fumet s'échappe de la cuisine attenante. Le tenancier a auparavant fermé la porte et tiré les volets de son établissement pour ensuite servir le traditionnel Pastis d'entrée en matière, histoire de les mettre à l'aise. Puis, il s'est levé en s'excusant et est allé rejoindre sa femme en cuisine.

Quelques minutes plus tard, le voilà de retour portant un plateau constituant l'entrée à base d'œufs, de pâté du cru et de légumes largement aromatisés.

Jusque là, rien d'anormal. Arrive alors Isabelle portant le vin et le pain…

Te décrire la fille qui vient d'entrer en détails, mon vieux, ça risquerait de te mettre le palpitant en zone rouge et la béquille au garde à vous !

Sache simplement qu'Isabelle est vingt ans plus jeune que lui, blonde comme les blés, très grande et fine de taille, proportionnée de façon presque indécente pour la gente féminine ordinaire, une peau de pêche aussi halée que celle de son mari, et deux yeux verts dont l'intensité font que tu ne peux que détourner le regard… ou rougir !

Tu vas me dire, encore une créature de rêve… Je te répond ceci : la saga René ne souffre pas la médiocrité et, à personnages exceptionnels, filles en relation…

Je te sens un peu perplexe… Tu peux toi aussi en faire autant. Faut simplement que t'arrêtes de t'empiffrer comme un goret, que tu délaisses tes charentaises et ton fauteuil douillet pour un survêtement et une paire de tennis, que tu cesses d'admirer les autres en piste sous le faux prétexte que t'en es pas capable pour essayer de les égaler en t'en donnant les moyens. Si tu réussis pas, t'auras au moins le mérite d'avoir tenté une fois un truc dans ta vie, et si ça marche, toutes les portes te sont ensuite ouvertes. Dans la vie on a rien sans rien, alors cesse de rêver et de te lamenter sur ton triste sort et… lance-toi !

Fred fait les présentations. René lance une œillade à son ami, Maurice en oublie quelques instants sa Sophie, et Ziva bredouille un rapide bonjour en bredouillant comme un ado.

Ensuite, l'estomac reprend ses droits et le repas (excellent le gigot…) est avalé avec un entrain faisant plaisir au couple

Ensuite, vient le temps de la discussion auprès d'un café fort nécessaire pour faire passer la consistance de tout ça et, à la demande de René, Fred explique un peu son histoire. Il s'est installé ici voici une vingtaine d'années, à la demande de sa femme rencontrée sur leur lieu de travail. Une boîte spécialisée dans la bureautique en plein cœur de Paris. L'ami de René était alors un célibataire endurci qui, aidé par un physique avantageux, volait de fille en fille jusqu'au moment ou il est tombé raide dingue de la petite jeunette nouvellement embauchée par son patron. Ce dernier n'a pas été indifférent au charme ravageur d'Isabelle et, rapidement une dualité s'est instaurée entre les deux hommes, Fred a gagné la partie et perdu son emploi. Ils se sont mariés et ont tout plaqués pour venir reprendre ce commerce dans ce petit village d'où la belle est originaire.

Pas d'enfant, simplement un partage entre le travail, la vie du village et… la moto.

Car Fred est un fou de bécane qui a tâté de la piste au niveau national dans sa jeunesse sans grand succès. Si on veut réussir dans ce milieu, faut choisir entre la rigueur d'un entraînement sans faille et courir les filles, et l'ami Frédo est un jouisseur par essence.

Là, avec Isabelle, le piège s'est refermé sur lui, mais c'est un prisonnier volontaire !

Il roule en Bimocati dernier cri et possède encore un coup de gaz à te faire pleurer…

Sa femme, passionnée elle aussi, en est restée au stade du « sac de sable », offrant sa merveilleuse croupe à la vue de l'infortuné qui a osé se frotter au bolide rouge, juchée derrière son ex-pilote de mari.

Tout dernièrement, poussé par Fred, elle a décidé de franchir le pas et pousser la porte de la moto-école. Seulement, même si elle a repassé le code haut la main, elle éprouve quelques difficultés avec la pratique, au grand désespoir de son cher et tendre…

Fred, sitôt sa femme retournée en cuisine, fait une confidence à René :

« Puisque tu es présent, j'ai un service à te demander si tu es d'accord. Le moniteur de ma femme est… une monitrice ! Et plutôt choucarde la môme…
Seulement voilà, depuis que j'ai été inscrire Isa dans sa boîte, elle fait une fixette sur ma pomme !
Moi, ch'suis rangé des voitures et j'ai peur que ça aille trop loin ; comme je sais que t'as jamais été l'dernier en matière de belle fille en mal de réconfort, si tu pouvais la distraire et la détourner de mézigue, tu me rendrais un sacré service, vieux !
Puis aussi donner quelques cours à Isabelle car moi, j'suis pas trop pédagogue et comme j'ai suivi ton parcours par la presse, j'ai idée qu't'es le gars qui faut pour ça »

« Bon, répond René, t'es un ami et j'voudrais pas que tu perdes une femme comme la tienne : c'est d'accord »

René Gédeufoitrentans "le gatouillable" by Sato

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