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3ème édition du Jordan Riders Rally

400 motards, 2 jours de route de la mer Morte au Mont Nebo

En Jordanie, la moto était interdite avant 2008. Aujourd'hui, le Jordan Riders Rally est en quête de reconnaissance internationale

La 3ème édition du rallye touristique motard, le Jordan Riders Rally, vient de s'achever. Un événement qui sert de vitrine à tout un pays dans lequel la culture moto est encore très jeune.

Le week-end commence le jeudi soir pour les Jordaniens qui reprennent le travail le dimanche matin. Pour les habitants des environs de la mer Morte, qui partagent souvent avec les Parisiens les mêmes tracas de logements étriqués et hors de prix, il est de coutume de s'échapper de la rumeur de la capitale Amman pour une soirée au bord de la mer. Des familles entières se retrouvent ainsi au bord des routes, en surplomb de la mer Morte, coffres de voiture grand ouvert, à installer tapis, chaises pliantes et narguilés. Le soir diffuse un brouillard de sable levé par le vent qui donne au crépuscule des allures d'éternité. De l'autre côté de la mer, les collines de Jérusalem. C'est par là que le soleil s'en va quand le soir tombe derrière les montagnes.

Aux confins de cette inusable lumière, des feux de camp allumés par les grappes d'amis, des moteurs résonnent. C'est un autre genre de rassemblement qui se prépare aux portes d'un hôtel de luxe surplombant la mer Morte. Ils arrivent groupés, rutilant et ronflant, coups de gaz rageurs et chromes astiqués comme à la parade. Eux, ce sont les motards de la troisième édition du Jordan Riders Rally.

Motos 3e édition du Jordan Riders Rally

Une culture moto en construction

Les Jordaniens ont coutume de dire que leur pays est un grand musée. On dénombre des centaines de sites archéologiques sur l'ensemble du territoire. Mais d'un point de vue motard, la Jordanie s'éveille à peine. De 1983 à 2008, la pratique de la moto fut purement et simplement interdite car jugée trop dangereuse dans un pays où les accidents de la route sont nombreux. La Jordanie fait partie de ces pays où l'on prête des vertus mystiques à l'usage du klaxon. Quand la circulation s'étrangle, plutôt que de freiner, le conducteur jordanien préfère souvent klaxonner et conserver un flegme épatant, comme si le klaxon pouvait dissoudre les obstacles.

Après 2008, le roi Abdallah II, grand amateur de moto lui-même comme l'était son père, le roi Hussein, a donc levé l'interdiction de la moto. Mais son accès est encore assez réglementé dans le pays. En parallèle, Abdallah II a réclamé la création d'un moto club, le Royal Club Motorcycle of Jordan, le RMCJ, dont la vocation première est la formation de motards coupés de tout rapport avec le monde motard depuis près d'un quart de siècle.

Pour la Jordanie, l'intérêt de la moto est double. Il s'agit tout d'abord de développer un nouveau secteur économique, mais aussi d'élargir le spectre du rayonnement de la Jordanie à travers le monde. Et c'est pour attirer les motards de tout le monde arabe, voire d'autres contrées, que la première édition du Jordan Roders Rally s'est tenu en 2014.

Un événement encore jeune donc, mais dont la troisième édition qui s'est déroulée les 29 et 30 avril derniers, continue de témoigner d'une croissance rapide. Soutien financier du partenaire Zain, poids lourd des télécommunications privées - un genre de SFR local -, support des autorités local et approbation royale, le Jordan Riders Rally est un événement dont les fondations sont solides.

Jeunesse dorée et fierté nationale

Au petit matin du premier jour de route, c'est ambiance crème solaire et chromes sur le parking de l'hôtel Cowne Plaza, un complexe luxueux qui domine la mer Morte. Les 400 motards s'apprêtent à prendre la route. Parmi le rassemblement, on découvre nombre de Harley-Davidson, des Indian et des Victory. En Jordanie, les motos américaines sont moins taxées que les japonaises, en raison des relations privilégiées entre les USA et la Jordanie. Mais les motards du Jordan Riders Rally appartiennent pour la plupart à des classes sociales aisées. Certains ont rejoint le rallye en tirant leur moto sur la remorque d'un pick up flambant neuf.

Mais sur le parking du Crowne Plaza, on trouve aussi des BMW, des Ducati et des japonaises, des Suzuki surtout et quelques Yamaha. Ici, en raison de la politique de taxation qui frappe les machines nippones, c'est l'inversion des valeurs. Et si en Europe, un motard s'habille de riche en chevauchant une BMW, en Jordanie, ceux qui roulent en GSX-R sont observés par leurs pairs comme de sacrés veinards !

Indian au Jordan Riders Rally

Au coeur du peloton, ce qui frappe d'emblée chez les motards de Jordanie, c'est tout d'abord le fait que la moto est pour eux un moyen d'exprimer leur fierté nationale. De nombreux motards arborent ainsi le drapeau national, en version stickée, sur le carénage de leur moto. D'autres n'hésitent pas à faire flotter un modèle en tissu qui flotte au vent dans leur sillage. Et nombre d'entre eux ont également collé la photo du roi Abdallah II sur leur moto ou sur leur casque. Rapidement, on apprend à distinguer le drapeau de la Jordanie de celui de la Palestine, quasiment identique et que différencie simplement une étoile blanche à sept branches, une référence issue du Coran.

Au fil des discussions avec les participants, il apparaît fréquent que les motards réunissent dans leur discours le développement de la moto et de la Jordanie sous un même thème. Ils partent rouler avec la sensation d'être les pionniers d'une pratique qui permet à la Jordanie de se modernier. Ils ont à coeur de véhiculer une image positive de leur pays et possèdent la conscience aigüe de l'accueil et de la gentillesse. Le Jordan Riders Rally n'est pas qu'un gros roulage annuel de deux jours. C'est le symbole de toute une nation pour des motards qui représentent la classe aisée de leur pays.

Un rallye international

Mais le Jordan Riders Rally est aussi un événement international. Membre du Free Bike Network, un réseau social motard des pays arabes créé en 2005, la Jordanie attire sur les routes de son rallye annuel des motards venus de nombreux pays. Cette année, le Jordan Riders Rally était fier d'accueillir des motards issus d'une dizaine de pays et représentant près de la moitié des participants. Des Koweitiens, des Libanais, des Qataris, mais aussi quelques européens venus d'Italie ou de Bulgarie. Des hommes en majorité, mais aussi quelques femmes. Enfin, on pouvait aussi remarquer ces quelques motos dotées de deux plaques d'immatriculations superposées l'une sur l'autre. Il s'agit de motards venus d'Israël, obligé de visser une plaque jordanienne pour ne pas être stigmatisés en tant qu'Israéliens et risquer de voir le moto vandalisée sur ce seul motif. Tous les participants israéliens du rallye étaient palestiniens et donc issus du monde arabe.

Motard du Jordan Riders Rally

Défilé honorifique

Lorsque le rallye s'ébroue, les 400 motards sont répartis en quatre groupes, tous encadrés par les motards de la police, plutôt détendus et dont le rôle est surtout d'avertir les automobilistes pas encore habitués à faire attention à la présence de motards sur les routes. Le rythme est tranquille et le rallye se dirige vers le Mont Nebo, lieu de pèlerinage censé abriter la tombe de Moïse.

A la pause, les discussions tournent autour de la moto de par le monde. L'hospitalité des Jordaniens est fraternelle. Du fait de la jeunesse de sa culture motards, la définition des codes du genre n'est pas aussi tranchée qu'en Europe. Ainsi, il n'est pas rare de remarquer un motard portant un casque replica de Valentino Rossi sur la tête, un blouson frappé d'un gros 46 dans le dos et marqué du logo Yamaha et qui roule en Harley-Davidson ! Impensable en Europe, où Rossi et Harley désignent chacun une manière distincte d'envisager la moto et même la vie !

Mais en Jordanie, la moto reste une notion diffuse. Le Moto GP n'y est pas diffusé et le sport national reste le football. Des courses comme les 24 H Motos ou le Tourist Trophy sont totalement inconnues.

En revanche, la conscience de participer au développement en marche du pays par la moto est aigüe. Les motards du Jordan Riders Rally traversent les villages en saluant les habitants, parlent avec une gentillesse qui vient du coeur et sont fiers de faire découvrir aux étrangers la majesté de leurs montagnes millénaires.

Rider à la 3ème édition du Jordan Riders Rally

La moto en Jordanie : entre luxe et symbole

Au fil des discussions avec les participants de tous bords, il apparaît qu'en Jordanie, la moto est pour le moment un loisir réservé aux riches. Les taxes maintiennent le prix d'achat des machines à un niveau élevé et l'équipement représente un investissement non négligeable. Seul point positif, le prix de l'essence qui reste faible en Jordanie. Le pays a longtemps bénéficié d'accords commerciaux privilégiés avec l'Irak et le pétrole est encore faiblement taxé.

Les membres du RCMJ tente de faire changer les mentalités et de démontrer que dans les rues engorgées de la capitale d'Amman (près de 4 millions d'habitants), la moto peut aussi être un moyen de mobilité économique. Mais pour le moment, les participants du Jordan Riders Rally appartiennent plutôt aux classes aisées de la population. Derrière le cuir de leurs blousons se cachent des industriels, des députés, un spécialiste du portail coulissant et même le dentiste pour clients VIP !

Jeunesse oblige, ce qui serait un petit décrassage de bielles agréables et ressenti par nombre de participants comme une ascension de l'Everest. Au soir de la première étape du Jordan Riders Rally, nombre d'entre eux sont fourbus. La fête de la soirée leur donnera le coup de grâce. Au matin du second jour, quelques dizaines d'entre eux ne repartiront pas, trop fatigués !

Au terme du rallye, la remise des récompenses se tient face à la mer Morte, au point le plus bas de la surface terrestre, - 410 mètres au dernier relevé, une altitude qui baisse chaque année d'un bon mètre. Les organisateurs ont le sourire. La 3ème édition du Jordan Riders Rally a passé un nouveau cap. Et si l'événement manque encore de maturité et d'un peu de rigueur dans son organisation, c'est toute une culture moto qui est en train de s'installer dans le pays. Une situation encore totalement impensable il y a seulement quelques années.

Devant la croissance rapide du Jordan Riders Rally, les organisateurs ont de bonnes raisons de voir plus grand. Dès l'année prochaine, le Jordan Riders Rally va devenir un événement itinérant, visiter Petra et faire étape sur d'autres sites prestigieux du pays. Cette année, les organisateurs avaient fait venir des membres de la commission touring de la Fédération Internationale de Motocyclisme (FIM) dans l'espoir d'obtenir une inscription du rallye au calendrier international de la FIM. Un label que le Jordan Riders Rally pourrait bien obtenir prochainement.

Le rallye de Jordanie avait donc le parfum des grandes premières et l'enthousiasme de ceux qui ont été longtemps privés de leur passion. Cet événement coloré, totalement atypique pour un observateur européen, prouve que la Jordanie dispose de tous les atouts nécessaires, qu'il s'agisse de l'intérêt culturel, des infrastructures routières ou encore de la nature pittoresque de ses paysages, pour en faire la destination idéale d'un voyage de découverte à moto. Ne reste plus qu'à prier pour que les automobilistes locaux apprennent à substituer l'utilisation du clignotant à celle du klaxon !

Sticker au Jordan Riders Rally

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