Chronique : La bécane du cœur n’est pas toujours celle de la raison
Acheter une Ducati à 52 ans alors que t’as mal au dos et trois enfants ? Évidemment que oui.
J’ai vu ce regard une centaine de fois. Celui du type en costard froissé, lunettes de vue et toison grisonnante, debout devant une Panigale rouge comme un péché, les mains dans les poches et le portefeuille qui transpire dans la veste. Il hésite. Il sait. Il va craquer. Il ne devrait pas.
Mais il va quand même.
Et tu sais quoi ? Il a raison.
Parce qu’à un moment, faut arrêter de croire qu’on choisit sa moto comme on choisit un lave-vaisselle. La raison, c’est pour les tableaux Excel et les SUV familiaux. La passion, elle, roule en twin italien, vibre à 8000 tours et oublie le mal de dos à la première giclée de gaz.

L’appel du V-Twin
Il y a des motos qui t’appellent. Littéralement. Tu passes devant la vitrine, tu ralentis. Tu fais genre tu regardes ailleurs, mais ton œil revient toujours à elle. La ligne, le pot, ce petit détail sur le réservoir. Et toi, dans ta tête, t’entends déjà le bruit. Pas dans la rue. Dans ta poitrine.
Moi, c’était en 2006, une Monster S2R. J’étais censé acheter une Bandit d’occase. Confortable, économique, “raisonnable”. Mais dès que j’ai entendu le clac sec du démarreur et les premiers toussotements du twin Desmodromique, j’ai su. C’était elle. Ou rien.
Et tant pis pour le banquier. Tant pis pour le dos. Tant pis pour les concessions.
Le paradoxe du motard quinqua
C’est fou comme on devient sérieux avec les années. On compare les conso. On lit les essais. On regarde la hauteur de selle comme on lit les étiquettes de sucre au supermarché. On a peur de la pluie, des factures, de l’embrayage qui colle. Bref, on vieillit.
Mais en parallèle, on commence aussi à entendre une petite voix. Celle du type qu’on a été à 20 ans, casque cross et posters de GSX-R dans la chambre. Cette voix, elle revient. Et elle te dit : "T’attends quoi ? T’as bossé toute ta vie. T’as trimé. T’as assuré pour tout le monde. Et toi, dans l’histoire ?"
Alors tu calcules. Et tu t’offres une folie. Pas une crise. Une revanche.
Ducati, Triumph, Harley… les motos qu’on n’achète jamais par erreur
Ces motos-là, elles sont rarement parfaites. Elles chauffent, elles coûtent un rein en révision, elles te donnent parfois l’impression de piloter un grille-pain nerveux sur des pavés. Mais elles ont une gueule. Une âme. Une voix.
Tu ne les achètes pas pour cocher des cases. Tu les choisis comme on choisit un vinyle qu’on va écouter en boucle. Avec le cœur. Avec les tripes. Avec le souvenir d’un pote qui en avait une. Ou d’une affiche sur le mur du garage.
Alors quand un type de 52 ans me dit qu’il veut une Diavel au lieu d’un trail bien pépère, je lui tape dans le dos. Et je lui dis : “Mets-toi un bon dosseret et fonce.”
Les enfants, le dos et le reste…
Oui, t’as mal au dos. Mais t’as aussi un kiné qui te dit que bouger, c’est bon pour toi. Et la moto, c’est du mouvement, du vrai. Du muscle en tension, du cerveau en éveil, du cœur qui bat.
Oui, t’as trois enfants. Et alors ? Ils te préfèrent vivant et heureux, ou plan-plan et frustré ? Les mômes, ils pigent plus que ce qu’on croit. Quand ils te voient partir casque sous le bras, sourire en coin, ils sentent que tu vis encore. Que t’es pas qu’un distributeur à bons de cantine.
Et l’assurance, l’équipement, la logistique ? On gère. On est adultes, merde. Mais on n’est pas morts. Pas encore.
Conclusion à 8000 tours
Alors voilà. La bécane du cœur, c’est rarement celle de la raison. Et c’est tant mieux. Parce qu’on n’a qu’une vie. Et qu’à force de faire des choix rationnels, on finit par oublier ce que ça veut dire, vibrer.
Acheter une Ducati à 52 ans, c’est pas un caprice. C’est un manifeste. C’est se rappeler qu’on a encore des rêves. Et que parfois, ces rêves ont deux roues, un cadre en treillis et un pot Termignoni.
Et si un jour tu croises ce type, casque rouge sous le bras, sourire béat au feu rouge, ne le juge pas. Dis-lui juste : “Bien ouej, frère. Bien ouej.”
Commentaires
C'est n'importe nawak cette chronique: ma Streetfighter V2S je l'ai achetée en 2020 à 56 ans et comme ma fille me l'a piquée (!) j'ai été chercher sa petite soeur V4S en 2021
Non mais oh !!! Y'a pas d'âge pour les conneries ...
27-05-2025 08:39Panigale V2, pour les maux de dos est LE mauvais exemple. Je n'ai pas essayé de sportive de route mieux pensée d'un point de vue ergonomique, permettant un confort insoupçonné.
. Sans parler que les chocs liés aux défauts routiers ne tapent pas dans l'axe du rachis, du fait de la position penchée en avant. D'ailleurs, pour faire écho à une précédente chronique, je traine une sciatique depuis des mois, et c'est ma RS660 qui me soulage le mieux (même si je suis moins mobile du coup) au point que je n'ai presque plus mal après un aller-retour au Mans + quelques balades sur place

27-05-2025 09:32Et sinon, bah au contraire: gainer permet de faire travailler sa ceinture abdominale donc réduire le mal de dos chronique
Mais pour reprendre le message implicite de la chronique: depuis quand la vieillesse est liée à la date de naissance ?
"C’est fou comme on devient sérieux avec les années. On compare les conso. On lit les essais. On regarde la hauteur de selle comme on lit les étiquettes de sucre au supermarché. On a peur de la pluie, des factures, de l’embrayage qui colle. Bref, on vieillit".
27-05-2025 10:12Et bien moi je fais tout le contraire, ma dernière bécane je l'ai commandée sans rien savoir d'elle après une vidéo visionnée chez Harley, je n'essaie jamais les motos que j'achète, je me laisse le temps de la découvrir et valider ce que j'en pensais. Je regarde les comparatifs après coup et surtout pas les essais fait par d'autres à part ceux fait par des professionnels.
Acheter une moto quel que soit le tarif est pour moi une prise de risque où le discernement cartésien n'a pas de place.
J'ai été surpris, dérouté parfois mais jamais déçu en tant que tel.
Si je n'y trouve plus mon compte, je change, enfin je changeais car j'ai trouvé mon bonheur.
C'est chronique est juste parfaite. Pas un mot de trop. Et elle contient tellement de vérité qui ne concerne pas que les deux roues..
27-05-2025 11:10J'ai 49 ans, j'ai passé mon permis en 2022, j'ai pris une Royal Enfield Continental GT sur un coup de coeur, puis après la passerelle, une Thruxton R... mon rêve est de conduire une Monster. Seuls critère hautement techniques : je veux une version avec les pots sous la selle, comme celles qui me faisaient rêver en Italie quand j'y vivais et elle doit être rouge. Merci à l'auteur et à mon beau-frère (motard lui aussi) qui me l'a transféré.
Une supersport 950 c'est effectivement celle qui me fait vibrer. Un jour peut-être...
27-05-2025 13:25@Meuldor: ah bah sur le papier moi aussi (la 939 à ce moment-là, mais même moteur/cadre). L'essai a été un gros coup dur, ça m'a fait ranger le chéquier direct

27-05-2025 14:05Comme quoi, les coups de coeur sur le papier peuvent aussi aboutir à des déceptions une fois le couple formé
Salut
27-05-2025 14:10En 1995 pour mes 30 ans, on descend en ville pour me faire plaisir avec une paire de pompes pour cavaler.
Un truc hors de prix pour l'époque...
En rentrant, on passe devant une vitrine où trône la 800 DR. Comme je restais scotché, Mme me dit : On rentre voir combien elle coûte ? ( ce que je savais bien sûr )
On rentre, j'ai proposé un prix et on est reparti avec..
La paire de chaussures la plus chère du monde
V
Et moi je rêve plutôt d'une Moto-Guzzi V11 dans sa livrée Le Mans Rosso Corsa ....
27-05-2025 14:22Chouette chronique.
27-05-2025 14:27En octobre 2025 à Époque auto, aux enchères moto, je me suis commencé à lever la main... et j'ai fini avec une Bonneville 750 de 1973... J'ai regretté plusieurs mois cet achat impulsif (le premier de ce que je me souvienne) et mon manque de temps pour m'en occuper. Donc c'était décidé, je la remettais en route (batterie HS) et je la revendais. Ceci avant de faire quelques tours avec et m'apercevoir qu'elle roulait parfaitement. 6 mois après ce coup de folie à 8 000 tours et 8 000 ¤, l'âme et le coeur ont parlé... et j'ai annoncé fièrement que tout compte fait... je la garde.
......
27-05-2025 14:50Ca fait des années que je vous l'dis
Achat passion en cours : une bécane de 22 ans, raide comme la justice, souple comme un huissier autrichien, fiable comme une italienne de la grande époque.
Ce sera ma troisième, après une vente par erreur et une vente par obligation.
@Big: oui mais au moins elle (pas madame, quoique?) te mettait des coups de pied au Q taille 105mm

27-05-2025 15:44@fift: humm ça sent fort la 1000SS-DS ou quelque chose dans le genre, non?
Salut
27-05-2025 16:56Inex
Ouais il était sympa ce GROSmono.
J'aurais dû le garder....
V
Une goldwing aussi ça me fait rêver. Pas le même délire. Des fois je rêve que ma vieille ST est foutue, volée ou abîmée par un malotru et c’est un cauchemar. Alors je l’aime comme au premier jour où je l’ai achetée, plus que n’importe quelle autre italienne, américaine, ou anglaise.
27-05-2025 16:59Clic... ou clic...
De rien
L'achat passion oui c'est sûr mais l'achat débile quand même pas. Moi je ne peux pas me permettre d'acheter les motos qui me plaisent le plus (Kawasaki H2 SX, BMW M1000XR, Suzuki Hayabusa). Ce n'est pas une question de prix, c'est une question de points de permis.
27-05-2025 17:37---
PS: Le trait est bien bien grossi là: "La passion, elle, roule en twin italien, vibre à 8000 tours et oublie le mal de dos à la première giclée de gaz.". Mouais. Et pourquoi pas un vieux Sportster à carbus? Ou une Royal Enfield Bullet 500 Classic Chrome? La passion cela peut être absolument n'importe quelle moto du moment qu'elle te rend dinguo.