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Chronique : la route comme refuge

Et si la meilleure thérapie avait deux roues ?

Je ne sais pas vous, mais moi, y’a des matins où le monde me colle la nausée. Comme une boule au ventre qu’on traîne au fond de la cage thoracique. Une tension sourde, tenace. Trop de bruits, trop de rien, trop de tout. Alors je fais ce que je sais faire de mieux : j’enfile un casque et je prends la tangente.

Parce qu’on ne le dit pas assez, mais la moto soigne. Pas les os, pas les genoux en vrac – on sait tous qu’elle les bousille. Non, elle soigne l’intérieur. Elle tape directement là où ça fait mal. Dans la tête. Dans l’âme. Dans ce foutu mental qui tangue trop souvent en roue libre.

Chronique : la route comme refuge
Chronique : la route comme refuge

Vibrations contre ruminations

Il y a quelque chose de magique dans le fait de se concentrer uniquement sur la route. Les mains sur le guidon, les yeux rivés à l’horizon, l’esprit s’épure. Tu ne penses plus à ton boss, à ton banquier, ni même à ta sciatique. Tu penses virage. Tu penses freinage. Tu penses trajectoire.

C’est une forme de méditation active, sans coussin de yoga ni appli à la con. Juste toi, la bécane et la route qui défile. Le cerveau, trop habitué à mouliner dans le vide, se branche sur quelque chose de concret. De vivant.

Et dans une époque où l’attention est bouffée minute après minute par des notifications, ça vaut toutes les pilules blanches du marché.

Seul, mais pas paumé

On croit souvent que le motard est un solitaire. C’est faux. Il est seul, oui, mais jamais isolé. C’est une solitude choisie, habitée, presque joyeuse. Quand tu pars rouler un dimanche matin, que la ville dort encore et que la route t’appartient, tu ressens ce truc rare : la liberté totale.

Tu peux crier sous ton casque, pleurer comme une madeleine, ou sourire comme un benêt. Personne ne juge. Personne ne voit. C’est une bulle, un sanctuaire. Et parfois, c’est exactement ce dont on a besoin pour ne pas exploser.

Les psys appellent ça une “échappatoire régulatrice”. Moi, j’appelle ça un virolo dans les Cévennes, un plein d’essence et deux heures où plus rien n’existe sauf le souffle dans le casque.

Dépression, burn-out, colère froide : la moto comme soupape

J’ai connu des potes à bout. Mecs solides dehors, en miettes dedans. Pas besoin d’un long discours : tu le vois dans leurs yeux. Et souvent, sans le dire, c’est la moto qui les a tenus.

Parce que quand t’as plus goût à rien, la simple idée de préparer ta bécane, de checker la pression des pneus, de planifier un itinéraire… ça te donne un objectif. Une accroche. Une étincelle.

Je dis pas que c’est une solution miracle. Mais c’est une béquille qui t’évite de tomber. Une forme de résilience à moteur, qui t’oblige à remettre un gant devant l’autre, un pied par terre et un doigt sur le démarreur.

Et puis, il y a l’effet secondaire que tous les thérapeutes devraient prescrire : l’euphorie post-balade. Ce moment où, garé devant un café, tu retires ton casque, le cœur encore un peu rapide et que tu te dis : “Putain, j’suis vivant.”

Le cuir comme armure mentale

C’est bête, mais le simple fait de s’équiper crée une posture mentale. Tu mets ton blouson, ton casque, tes gants. Et d’un coup, t’es différent. Tu passes en mode motard. Plus sûr, plus ancré. Un rôle, presque un alter ego.

Quand le monde te bouffe, que le quotidien t’écrase, enfourcher une moto, c’est redevenir acteur de ta propre vie. Tu choisis ta route. Tu reprends du pouvoir. Et ça, psychologiquement, c’est puissant.

C’est pas un hasard si certains se remettent en selle après un divorce, un licenciement ou un deuil. La moto, c’est une reconstruction ambulante. Elle ne panse pas les plaies, mais elle les rend supportables.

Et les autres dans tout ça ?

Parce que le miracle, c’est aussi les rencontres. Les “salut” de la main gauche, les discussions à la pompe, les virées improvisées avec des inconnus devenus potes pour 100 bornes. T’es jamais vraiment seul dans ce monde-là.

Et quand tu parles à un autre motard, tu peux direct zapper la météo et les impôts. On va droit au but. La route, les pneus, les sensations. C’est un langage commun. Une thérapie collective sans salle d’attente.

Et ça fait un bien fou. Parce que dans cette société qui parle trop et écoute peu, on a trouvé une façon différente d’être ensemble. Moins de mots, plus d’essentiel.

Conclusion (non remboursée par la Sécu)

Je le dis sans honte : la moto m’a sauvé la tête plus d’une fois. Elle m’a évité le pétage de plomb, le burn-out, le cynisme total. Elle m’a reconnecté à moi-même, aux autres, au présent.

Alors bien sûr, elle ne résout pas tout. Elle coûte un bras, elle fait mal aux genoux et parfois elle te met au tapis. Mais elle te rend vivant. Intensément. Authentiquement.

Et dans ce monde sous anxiolytiques, c’est peut-être bien ce qu’on a de plus précieux.

Alors, si t’as la tête pleine et le cœur lourd, oublie le psy pour une fois. Prends juste la route. Elle t’écoutera mieux que n’importe qui.

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Commentaires

Chanabo

Oui se balader tranquillement en moto, ça apaise. Mais câliner son chat c’est bien plus efficace.

13-05-2025 08:49 
BIG83

Salut
Ou les deux :
[www.tiktok.com]
V

13-05-2025 08:59 
fift

'tain j'en ai des frissons tellement c'est un texte que j'aurais aimé, à défaut de pouvoir, écrire.
Certains passages collent tellement à mon vécu que j'ai l'impression que tu es venu lire dans ma tête.


Etre là, maintenant (et uniquement là, maintenant), dans l'instant, sans penser ni au passé ni au futur, c'est salvateur.


Oui, la moto sauve. Même quand il pleut, même dans les bouchons. Parce que tu es concentré sur tes sensations, sur cette voiture là-bas. ... elle y va, elle n'y va pas ?, sur tout ce qui t'entoure et seulement ce qui t'entoure.

Comme tu le dis, rouler à moto c'est se sentir vivant.

13-05-2025 09:45 
XM

tu as le traitement de choc avec un gros road trip, planifié ou pas, et le traitement de fond au quotidien avec les trajets - travail, qui permettent une transition entre le pro et le perso.
mais oui, le côté thérapeutique a une efficacité confirmée

13-05-2025 10:12 
ludo51

Combien de fois , travaillant de nuit (en CHR) , je partais bien avant l'heure , histoire de faire une vingtaine de km (au moins) avant de bosser , prendre l'air du soir dans la truffe et se sentir vivant ....
Combien de fois en sortant du boulot au petit matin , je faisais une boucle d'une vingtaine de km (au moins) avant de rentrer , prendre l'air du jour qui se lève , se débarrasser des miasmes de lanuit et se sentir vivant ....
Combien de fois ? Ben à chaque fois en fait , sauf cas de force majeure ...

13-05-2025 10:30 
Goupil62

Le meilleur médicament, la panacée : quarante-cinq ans de moto & toujours les mêmes sensations.

Certes, le monde, comme les mentalités, ont changé mais ce rapport avec la moto reste le même.

Ce texte, quelque part, est le miroir de ma vie, surtout suite à mes deux divorces ✌🏻

13-05-2025 10:39 
Meuldor

Pas mieux. Le retour du vendredi après-midi pour rentrer du boulot en faisant une boucle d'une heure de plus rien que pour profiter et me vider de la semaine. Puis le dimanche matin, encore plus serein. Un temps rien que pour moi (parfois pour nous si Madame veut) avec un choix d'itinéraire en fonction de ma forme (de longues courbes pour rêver ou des petits lacets sur route étroite pour me prendre pour un pilote). Puis la moto c'est parfois un lien avec ceux qui ont quitté ce monde, mon père et ma s½ur. Je ne vais les voir au cimetière qu'en moto car c'est eux qui m'ont transmis la passion. Sur ma moto je correspond à l'homme que je souhaitais être étant petit et ça me fait du bien quand je remets pied à terre. Bonne route à tous et merci pour la chronique.

13-05-2025 11:24 
INXS

Magnifique article qui a tout dit de façon humble et intelligente.
Mille bravos 👏👏👏👏👏👏

13-05-2025 11:26 
anguille37

Un bref instant pour communier, savoir que sous le casque d'autres partagent tes impressions, tes ressentis, tes humeurs et ton vague à l'âme.
Merci pour avoir saisi l'occasion d'exprimer simplement, joliment ce que beaucoup taisent, enfouissent ou cachent sous un casque pour masquer ce qui nous marque.
Un article à afficher sans honte dans tous les lieux où se rencontrent les blessés de la vie. Un plaidoyer pour la moto car elle est une porte qui s' ouvre sur l'espoir....

13-05-2025 12:34 
Daniel_San

Belle chronique, qui fonctionne de manière similaire pour d'autres activités passion et sérieuses : escalade, trail, plongée, parachutisme, avion, parapente, spéléo...
Bref, quand on s'équipe.

13-05-2025 13:01 
BIG83

Salut
Et quand on travaille à moto, on fait comment ? inquiet
V

13-05-2025 13:22 
Aristoto

"Une échappatoire régulatrice" totalement d'accord... une moto en bon état dans le garage et c'est de l'espoir de moments intenses, personnels vrais, calmes et d'une solitude sereine.

C'est l'espoir de nos aventures personnelles au bout du département en attendant de partir au bout du continent, en 3 heures ou 3 semaines, une envie d'ailleurs, de découverte de choses simples, de nature, de patelins tranquilles et isolés.

C'est des endormissements plus tranquilles à lister l'équipement de notre futur road trip, direction le Faro ou le Cap Nord, que l'on fera un jour, c'est sûr, à notre rythme en RE 350 ou V85 TT ... c'est mieux que compter les moutons et ça marche!

C'est vrai que quand on s'équipe, cette armure nous redonne une protection psychologique sur le monde extérieur, plus d'assurance, plus fort, toujours jeune... un recentrage sur nous même. C'est peut-être pour ça que j'aime rester en botte, pantalon de moto et blouson plusieurs heures après une virée comme si je voulais prolonger ces moments privilégiés et ne pas revenir à mon quotidien à contraintes (mais sans la fatigue après 200 kms de petites routes).

Merci Chris pour cet article. je n'avais plus commenté depuis le départ de Kpok et ses chroniques qui me parlaient bien.

V à tous... On the road again

13-05-2025 15:04 
 

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