Chronique : Tu roules vite ?
Non, je roule juste
Il y a toujours ce moment gênant. Une pause café sur une aire d’autoroute, un collègue un peu trop curieux ou un cousin qu’on voit une fois l’an. Et la question tombe, immanquable, toujours sur le ton de la fausse admiration :
Dis, toi qui fais de la moto… tu roules vite ?
J’ai appris à sourire. À faire durer la gorgée. À ne pas répondre tout de suite. Parce que la vitesse, mon pote, c’est pas un chiffre sur un compteur. C’est un langage. Et comme tout langage, il faut le parler juste. Pas fort.

L’époque des chevaliers de bitume
Quand on a commencé la moto, on voulait aller vite. C’est humain, presque animal. La ligne droite appelait l’accélération, le virage appelait le défi. On sortait du lycée en cabrant sur le parking, on limait les sliders sur des départementales défoncées, on pensait que le talent, c’était de poser le genou avant les autres.
Et puis le temps a passé. On a vu tomber des copains. On a vu des plaques d'immatriculation plantées dans des fossés. On a commencé à reconnaître les bruits, à sentir les pneus, à deviner l’humidité de l’asphalte rien qu’au reflet d’un lampadaire. On a appris. Parfois à la dure.
Aujourd’hui, rouler “juste”, c’est rouler avec l’intuition du vieux briscard. Celui qui connaît la route comme une partition et joue chaque note avec précision. Pas besoin de jouer fort pour faire vibrer.
Entre frime et finesse
Je les vois encore, les jeunes loups en full cuir sur des machines de 200 chevaux, wheeling en sortie de rond-point, coup de gaz à chaque feu. Qu’ils s’amusent. Moi aussi, j’ai été ce con charmant. Mais aujourd’hui, je préfère un filet de gaz bien placé à une arsouille stérile.
La vitesse, ce n’est pas d'aller plus vite que le voisin. C’est de rouler plus intelligemment que la situation. C’est savoir quand ouvrir, quand temporiser, quand regarder loin. C’est être là, dans le flux, comme un poisson dans l’eau.
Il m’arrive encore de hausser le rythme. Mais jamais pour impressionner. Juste parce que la route, la moto, le moment l’exigent. Parce qu’il y a un rythme intérieur qui guide le poignet, comme un batteur qui connaît la mesure.
Le jugement des autres, ce bruit de fond
Ce qui me fatigue le plus aujourd’hui, ce ne sont pas les radars. Ce sont les regards. Ceux qui te classent dans une case parce que t’as un cuir, un casque fumé, ou une ligne Akra. Ceux qui pensent que tous les motards sont des ados attardés ou des dangers publics. À ceux-là, j’ai envie de dire : venez rouler un jour, vraiment. Venez voir ce que c’est que de lire la route, de respirer l’espace, d’être présent à chaque instant.
Et dans notre propre camp, ce n’est pas toujours mieux. T’as les intégristes du trail, les intégristes du circuit, les ayatollahs du vintage. Chacun avec sa vérité, son style, son rythme. Mais la vraie liberté, c’est de rouler comme tu l’entends, pas comme les autres voudraient que tu roules.
Ni lent ni fou, juste vivant
Je ne suis pas lent. Je suis vivant. Je roule à mon tempo. Un tempo qui respecte la mécanique, le paysage, l’humeur du jour. Je peux être vif, joueur, nerveux. Mais jamais inconscient.
Parce qu’un motard de 40, 50, 60 balais, il n’a plus rien à prouver. Il a juste envie de continuer à rouler. À vibrer. À être aligné avec sa machine, son corps et ce plaisir simple d’une route déserte au petit matin.
Conclusion sans chronomètre
Alors non, je ne roule pas vite. Je roule juste. Juste assez pour me sentir libre. Juste assez pour ne pas mourir idiot. Juste assez pour que, quand je coupe le contact, j’aie encore le sourire sous le casque.
Et la prochaine fois qu’on vous posera la question, vous saurez quoi dire. Ou mieux encore : vous répondrez par une autre.
Et toi, tu vis vite ou tu vis juste ?
Commentaires
manifestement il en faut pour tous les goûts, je vois de plus en plus de motards (plutôt jeunes) en BMW GS ou MT07, en wheeling à chaque feu vert, en stoppie à chaque feu rouge. à deux bécanes sur l'autoroute un qui fait un wheeling sur 2km et l'autre qui filme au smartphone.
24-06-2025 08:16le tout en tee-shirt et casque jet.
et je suis vraiment partagé entre la beauté du spectacle de leur maîtrise (que je suis loin d'avoir) et la stupidité de leur comportement qui met les personnes autour en danger s'ils se loupent.
mais clairement je pense qu'ils le font plus pour les regards que pour le plaisir des sensations.
le "rouler juste" est très personnel...
Je pense que mes motos ont eu mille qualités, dépasser les vitesses légales n'en font pas partie x)
24-06-2025 08:28"Je roule juste". J'achète ;)
24-06-2025 09:02Tu m'étonnes qu'on passe pour des "attardés ou des dangers publics". Nous quand on voit un panneau succession de virages dont le premier commence à gauche ou à droite, on sourit comme des bénets. On a appris à l'automobiliste à avoir peur à la vue de ce panneau (ATTENTION JEAN-LOUIIIIIS, ÇA TOURNE ON VA MOURRIIIIIIR !!!!).
"Mais la vraie liberté, c’est de rouler comme tu l’entends, pas comme les autres voudraient que tu roules."
mais j'étais inconscient à cette époque
24-06-2025 09:09Un bon résumé !
La vitesse me fait penser à LA question quand je vends une moto : " Elle monte à combien ? "
Ma réponse : 80/90 sur route et 130 sur autoroute
Fin des questions vitesses
C'est vrai... je n'ai jamais su à combien elles montaient, sauf la 125
Excellent édito : merci !!
24-06-2025 09:27Comme on dit dans la Chasse : "il n'y a pas de bons pilotes, il y a de vieux pilotes"...
V
Mouef, jamais fait le kéké wheelings donc encore raté pour l'identification à cette image d'Epinal. Mais je comprends l'idée.
Moi, c'est plutôt certains assureurs et quelques stéréotypés, qui, quand ils voient le modèle de ma moto, c'est "ah une sportive, on sait comment vous roulez"
Pas sûr qu'un custom ou même un trail -un vrai- entraine ce genre de reflexion. Même habillé en cuir.
Quant à ce passage:
-> cher chroniqueur, remets ta ligne d'origine, et constate que les regards seront probablement autrement moins hautains et dédaigneux. Ce n'est pas le look qui est souvent jugé, mais les nuisances générées. Et ce n'est pas uniquement les motards bien que nous soyons stigmatisés. Justement hier matin je suivais un Dodge Ram manifestement "décata". En centre-ville il a mis un coup de gaz plus fort que les autres: de ma voiture j'ai entendu gueuler dans la rue! Et j'étais bien content qu'il y en ait un qui se soit intercalés entre nous à une intersection, car si j'aime les mécaniques nobles, là, ses pets étaient tout sauf harmonieux. Surtout devant une école primaire.
Pour en revenir à cette ligne Akra: bah écoute, je roule full stock avec une visière complètement noire avec cette météo, et assez souvent quand je m'arrête, ce sont plutôt des compliments qu'on fait de ma moto.
Ah? Genre c'est nouveau?
Ah oui, le smartphone. Avant c'était la GoPro. Et avant c'était plus artisanal.
Mais ce que tu décris n'a ni changé, ni AMHA empiré. Ce qui a changé c'est la captation vidéo, puisque cela fait maintenant un peu plus de 20 ans qu'on peut étendre son image facilement bien au delà de son quartier.
Ma conclusion: ne voulons-nous pas juste être beaux sur nos chignoles? Et aujourd'hui plus qu'hier vu l'intolérance sociétale au nuisant, n'est-ce pas tout simplement en roulant raisonnablement tant en allure qu'en comportement lorsqu'il y a du monde?
(pour le reste, la dernière chronique parlait du coté solitaire: il faudrait savoir... en tout cas, c'est justement quand il y a personne que j'ouvre les gaz à émietter mon permis et ma carte grise dans un broyeur de la préfecture. Moins de scrupule, moins de danger pour autrui, aucune gêne) 24-06-2025 09:29
Encore une chouette chronique. Dans l'absolu on roule comme on peut et c'est différent à chaque fois. Dimanche, il pleuvait, la route était grasse, j'ai roulé comme un papy en ligier sans permis car la moto est partie de l'arrière sur le premier ronds point puis un peu de l'avant sur le second... Au retour, c'était sec mais il y avait des gravillons sur plein de portions. J'allais aussi vite que je pouvais.
24-06-2025 09:41Faut arrêter avec cette histoire d'échappements. Les miens ne sont pas d'origine mais parfaitement homologués. Le problème ce sont ceux qui sont sans chicane.
24-06-2025 10:09Et indépendamment de ça il suffit de ne pas accélérer comme un barge n'importe où
Bonjour,
24-06-2025 10:20"...La vitesse, ce n’est pas d'aller plus vite que le voisin. C’est de rouler plus intelligemment que la situation. C’est savoir quand ouvrir, quand temporiser, quand regarder loin. C’est être là, dans le flux, comme un poisson dans l’eau..."
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Et cela n'est pas obligatoirement l'apanage des 40,50, 60 ans et plus.
Je connais plusieurs jeunes qui roulent sans "voisins".
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Bonne journée
Inextenza: oui je trouve que c'est nouveau par l'augmentation de la fréquence, et peut-être aussi que ça se voit plus au milieu de la circulation urbaine de plus en plus congestionnée (pardon, apaisée).
24-06-2025 11:49statistiquement plus il y en a, plus ça se voit, et ça se partage aussi avec des appréciations négatives.
Au passage , dans le titre de la rubrique , le mot "vite" ici utilisé comme adverbe , ne prend pas de S .....
24-06-2025 11:54Et quand bien même il aurait été utilisé comme adjectif, le sujet étant au singulier , il n'y aurait pas de S non plus ....
A part ça , rouler vite , pourquoi faire ?
Sur la route , il suffit de rouler de manière non agressive , c'est tout ....