Kronik Championnat moto - Circuit 8 : Retour à Villeponceau, épisode 2
Le titre et le sacre du Champion ?
Epilogue de la Kronik estivale
Jordan est hors course : Président a tranché. Valentin sera champion ce soir. Mais Christopher compte toujours finir cette ultime manche en tête.
Quand Président a fait un signe négatif à Tonton, Charles s'est jeté sur le panneau pour expliquer la situation à Valentin. Il l'a claqué violemment contre le muret et a hurlé pour attirer l'attention de son poulain.
"5 OUT"
Valentin hésite une fraction de seconde avant de comprendre : Jordan est hors course.
Les feux passent au rouge. Valentin est déconcentré : il ne sait pas ce que cela implique.
Mais Valentin n'est pas le seul à avoir vu le panneau : Christopher a été beaucoup plus rapide à saisir ce qu'entraîne l'abandon de Jordan. Lui qui faisait tout à l'heure des calculs dans sa tête sait maintenant qu'il peut aller chercher le titre de vice-champion -titre honorifique, certes, mais titre tout de même- s'il prend la 1ere place.
Le feu passe au vert. Valentin lâche l'embrayage. Il se donne mentalement un coup de pied aux fesses : il y a encore des flaques sur le circuit, il ne s'agirait pas de s'aventurer sur le mouillé avec des pneus refroidis par deux tours de chauffe.
Dans les stands, le temps s'étire. André est resté figé au milieu de la voie de dégagement. Il hésite à s'élancer pour coller son poing dans la figure de Président. Il en meurt d'envie : ce salaud s'est vengé. Il n'a toujours pas digéré le championnat 1988.
Jacqueline s'est redressée. Elle sent, dans la tension des épaules de son mari, son élan réfréné. Tonton fait quelques pas, sonné. Madame la Présidente plisse des yeux. Elle réfléchit très vite, regardant alternativement son mari, André, Jacqueline, Jordan.
Christopher, lui, attaque à fond. Il est hors de question qu'il laisse passer sa chance. Il lui faut remporter la course. Valentin est rapide, mais comme il a maintenant le championnat dans la poche quoiqu'il se passe, il va peut-être rouler "mou" ? Il prend la roue du leader et s'accroche.
Dernier virage avant la ligne droite des stands. Christopher veut faire l'intérieur au freinage, quitte à forcer le passage. Mais ses pneus sont trop froids. Il glisse et perd l'avant. Il percute Valentin au niveau de la roue arrière. Les deux motos se couchent dans un fracas de plastique et de métal. Etincelles oranges. Christopher reste un moment emmêlé à sa moto. Valentin passe sur le dos et glisse vers le bac à gravier.
Alicia a poussé un hurlement étranglé. Et puis elle fonce, bondit par-dessus le muret côté stands et court, éperdue, vers la scène du drame.
Sa mère n'a pas pu la retenir. Dans un éclair de lucidité, elle a compris la situation. La brusque volte-face de sa fille ces six derniers mois, son soudain intérêt pour la course. Valentin et son père. L'étrange triangle de rivalité que ce dernier forme avec André et Jacques, pondéré par leurs femmes.
De la terrasse de la tour de contrôle, Madame la Présidente comprend la situation à peine plus tard. Le sprint d'Alicia est sans ambiguïté. Cela lui fait un choc, un choc d'autant plus intense qu'il n'y a pas si longtemps, c'était elle qui s'était mise à galoper, folle d'angoisse, vers un pilote tombé à terre.
Ce même pilote, aujourd'hui, a la main sur le micro de son casque UHF. Il a entendu la fille d'André crier, sans savoir pourquoi.
- "Chute dans le huit", grésille un commissaire de piste dans son casque.
Président tourne la tête. D'où il est, il voit mal.
Tonton, lui, n'a rien compris. Il a juste vu sa nièce partir en courant vers la piste. Il ne sait pas ce qui se passe, mais il sait une chose : on ne court pas aveuglément sur une piste en proie à la panique, comme c'est visiblement le cas pour Alicia. Alors Tonton fait quelques enjambées, l'attrape au vol et l'immobilise dans ses bras. La gamine est incroyablement forte !
André sort de sa torpeur. Sa colère, sur le point de déborder et de s'abattre sur Président, est brusquement déviée à la vue de sa fille transformée en boule de panique frénétique.
Valentin termine sa glissade le cul dans le gravier. Il se relève aussitôt, le plein d'adrénaline effectué. Il est confus, perdu. En colère. Il voit sa moto couchée. Un commissaire agite un drapeau jaune.
Son père a donné un violent coup de poing dans l'épais plexiglas du muret des stands.
Les motos, indifférentes, déboulent dans la ligne droite des stands dans un puissant grondement.
De l'autre côté du muret, cinq regards se croisent. Ils rejouent en quelques secondes une scène du passé, une blessure jamais cicatrisée : deux femmes sur ce même muret et trois pilotes rivaux en piste, une chute dans la dernière course et un championnat qui s'était achevé de manière désolante pour tous.
- "Pourquoi est-ce qu'on fait ça à nos gamins ?" se demande Madame la Présidente dans un souffle.
Brusquement, elle prend sa décision. Elle rentre dans la tour de contrôle en un coup de vent, ouvre sans ménagement la porte du PC course, s'empare d'un casque UHF et dit :
- "Jacques ? Drapeau rouge. On arrête la course. Ils réparent. On relance."
- "Hein ?"
- "Drapeau rouge. On relance la course".
Silence dans les écouteurs. Président réfléchit. Or, elle ne veut pas qu'il réfléchisse. Elle veut qu'il s'exécute.
- "Jacques ?"
Cela sonne comme une question, mais c'est en fait un ordre doublé d'un ultimatum.
Président connaît bien cette inflexion de voix. Il capitule dans l'instant :
- "De Président à la direction de course : drapeau rouge. Drapeau rouge. Interruption de la course."
Moment de flottement dans la tour de contrôle.
Les haut-parleurs du circuit relayent l'information quelques instants plus tard. Madame la Présidente ressort sur la terrasse. Elle regarde Jacqueline et seulement Jacqueline. Elle a un petit geste de la main, comme on remet les compteurs à zéro, comme on accorde son pardon, comme on efface l'ardoise, une ardoise qui empoisonne l'air depuis trente ans.
Jacqueline hoche la tête et articule :
- "Merci, Anne."
Tonton a relâché son étreinte sur Alicia. Elle soupire en voyant Valentin aider un commissaire à relever sa moto. Elle marche maintenant vers lui, à découvert, à la vue de tous.
Les plus grandes victoires se passent de championnat.
Commentaires
Mardi prochain : reprise du cours normal des élucubrations.
11-09-2019 16:36Tout en haut c'est signé David... I'm confused... Avec le virtuel on finit par croire qu'on connait les gens... et patatras !
12-09-2019 14:07Merci pour ces chroniques pleine de romantisme, d'huile, de bruits et d'humanité. Et bonne rentrée !
J'écris, David poste.
12-09-2019 18:21Parfois, nous oublions que nous ne sommes pas nous-mêmes.
J ai dévoré toute la série, sans pouvoir la lâcher. Merci
30-11-2019 14:02