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Chronique : rouler comme dans un film

Pourquoi on rêve tous de ça ?

Même à 50 km/h sur la rocade, le cinéma s’invite sous le casque. Un rétro bien calé, un moteur qui vibre et nous voilà McQueen en cavale, Cruise en mission, ou Kaneda dans Neo-Tokyo. La vérité ? La pop culture nous a mis en selle bien avant qu’on sache passer les vitesses.

Chronique : rouler comme dans un film
Chronique : rouler comme dans un film

Le rétro comme écran de cinéma

Il y a quelque chose de franchement ridicule dans ce que je vais vous avouer, mais tant pis : quand je me regarde dans le rétroviseur de ma moto, j’ai parfois l’impression d’être Steve McQueen. Pas celui, fatigué, de la fin de carrière - non - le McQueen de Bullitt. Regard dur, mâchoire serrée, prêt à dévaler les rues de San Francisco. Sauf qu’en réalité, c’est la départementale vers l’hypermarché et que la seule chose que je poursuis, c’est la fermeture de la crèmerie.

Mais l’illusion est là. Tenace. Délicieuse.

Pourquoi est-ce qu’on n’arrive pas à se défaire de cette manie ? Pourquoi, dès qu’on monte en selle, on se croit acteur d’un vieux film d’action ? Parce que la pop culture a fait de nous des motards bien avant qu’on ne le devienne vraiment.

Une étincelle dans le noir d’une salle de cinéma

Je me souviens très précisément du moment où j’ai su que je voulais une moto. Un samedi pluvieux de 1978. J’avais quatorze ans et mes parents m’avaient traîné voir Grease. Mes copains, eux, n’avaient d’yeux que pour Olivia Newton-John en combinaison moulante. Moi, j’étais hypnotisé par la moto de Kenickie. Noire, chromée, comme une promesse de liberté surgie au milieu des bananes gominées et des chaussettes bobby.

L’histoire d’amour ? Je m’en foutais. Ce que je voulais, c’était cette machine. Cette sensation. Ce frisson.

Spoiler : je n’ai jamais eu cette moto. Mais j’ai passé ma vie à courir après cette promesse.

Le cinéma n’a jamais filmé une moto. Il a filmé ce qu’elle signifie.

C’est ça, le pouvoir du cinéma : il ne montre pas la moto pour ce qu’elle est — un amalgame de métal, de câbles et de carburant — mais pour ce qu’elle représente. L’évasion, la rébellion, l’indépendance. Tous ces mots que le marketing recycle à l’envi, mais qui, à l’époque, avaient encore un goût de poudre.

Brando dans L'Équipée sauvage, c’était la jeunesse qui disait merde. McQueen dans La Grande Évasion, l’homme libre qui refuse l’enfermement. Même Fonzie dans Happy Days incarnait une forme de coolitude absolue, veste de cuir et regard mi-frondeur mi-séducteur.

Et nous, spectateurs fascinés, on absorbait ces images. Inconsciemment, on associait la moto à l’extraordinaire. Enfourcher une bécane, ce n’était pas se déplacer. C’était entrer en scène. Revêtir un costume. Incarner un rôle.

Retour brutal à la réalité (et c’est très bien comme ça)

Dans les faits, c’est un peu différent. Le gars qui joue les Easy Rider sur son 1200 GS ? Il va chercher le pain. Celui qui se rêve en Tom Cruise sur sa sportive ? Il respecte scrupuleusement les limitations, parce qu’il a déjà perdu six points. Et moi, qui me prenais pour Stallone dans Cobra sur ma première 500 GPZ ? J’ai surtout appris que la pluie, ça trempe et que les nids-de-poule, ça fait mal.

Mais au fond, c’est ça qui est beau. Cette capacité qu’on a tous à transformer la routine en épopée. Ce talent à voir dans un simple trajet boulot-dodo une aventure digne d’Akira. Car oui, Akira, chef-d’œuvre d’Otomo, a changé notre rapport à la moto : Kaneda et sa machine rouge, profilée comme un bolide spatial, ont redéfini les codes. Fini le rebelle en perfecto : place au héros néon dans un monde cyberpunk.

Quand les marques vendent du rêve et qu’on en redemande

Les constructeurs ont compris la leçon. Ils ne vendent plus seulement des motos. Ils vendent du mythe.

Harley-Davidson vend du Easy Rider. Triumph, du James Bond. BMW, Mission Impossible. Ducati, c’est la Dolce Vita qui s’emballe à 270 km/h. Même les Japonais ont suivi : Kawasaki, avec sa Ninja de Top Gun ; Yamaha et sa R1, vue dans tous les blockbusters des années 2000 à aujourd’hui.

Et franchement ? On est ravis. On paie pour ça. Parce qu’on ne veut pas juste une machine fiable. On veut une histoire. Une légende.

Le supplément d’âme, version V2

C’est pour ça qu’une moto qui ne « raconte » rien nous laisse de marbre. Même si elle est parfaite sur le papier, elle reste froide si elle ne nous évoque aucune image, aucun héros, aucun frisson. Une moto, c’est un personnage. Et certaines traversent les décennies sans vieillir, simplement parce qu’elles ont eu leur quart d’heure de gloire sous les projecteurs.

La Fat Boy ? C’est Schwarzenegger dans Terminator 2. La Bonneville ? McQueen dans La Grande Évasion. La Ducati 996 ? Matrix Reloaded. Ces motos-là ne sont pas de simples véhicules. Ce sont des icônes.

Et demain ? YouTube, TikTok… et toujours ce même rêve

Aujourd’hui, les jeunes regardent plus TikTok que Top Gun. Mais la moto reste. En drift sur fond de rap dans Cyberpunk 2077, en poursuite nocturne dans une vidéo de Bike Exif, en wheelie au ralenti dans une story Instagram.

Parce que le fantasme tient bon. Parce que l’envie de jouer un rôle, d’habiter un cliché, de vibrer un peu plus fort que le RER B… ne disparaît jamais.

C’est grave docteur ? Non. C’est magnifique.

Alors oui, on rêve encore de rouler comme dans un film. En Bandit 600, en Africa Twin, en Scrambler, en 125 custom. Qu’importe la cylindrée, tant qu’il y a du panache.

Et si la pop culture a transformé la moto en cliché… tant mieux. Les clichés, c’est comme les virages : on y revient toujours. Et puis, franchement, entre se prendre pour Steve McQueen ou pour Monsieur Tout-le-Monde, tu choisis quoi, toi ?

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Commentaires

ludo51

Ah ben désolé mais jamais eu besoin de voir un film pour me faire le mien ; je n'ai jamais rêvé non plus d'être le héros d'un de ces films , pas plus que tel ou tel modèle de moto m'eût inspiré cette idée...
Je roule depuis plus de 50 ans parce que j'aime ça , parce que le sentiment de liberté procuré est quelque chose d'irremplaçable et que c'en est devenu une drogue quotidienne ....Le cinéma c'est juste dans ma tête , où je me vois sur une petite route sinueuse de montagne quand je suis coincé dans le trafic , à la rigueur en train de faire la course avec Agostini ou Quartararo quand je pète un plomb salvateur , mais le seul héros , ben c'est moi tout seul ....

03-06-2025 08:21 
Chanabo

C’est tellement pas moi ça. J’en rien à faire de l’image de la moto véhiculée par la pop culture.

03-06-2025 08:25 
cricridu34

C'est quoi la "pop-culture" ?

03-06-2025 09:21 
Borisjc

Un truc qui est vrai : rouler sans casque, paisiblement, c'est bonnard !! Dommage que ce soit interdit en France.

V

03-06-2025 10:04 
Gouniaf

Je n'ai jamais compris ce culte autour de Steve McQueen. C'est sans doute générationnel.

03-06-2025 10:53 
inextenza

"Le cinéma n’a jamais filmé une moto. Il a filmé ce qu’elle signifie."

Si je fais un amalgame avec l'équitation: on y parle d'un couple (une des phrases imagées: "c'est le seul sport individuel qui se pratique à deux"), voire de chercher à être un centaure.
En gardant cette philosophie en tête, est-ce que un film comme Burt Munro ne serait pas justement du cinéma où on a filmé une moto? De fait, un cinéma filmant une épopée héroïque d'une moto et de son quasi-concepteur-pilote?

Citation
cricridu34
C'est quoi la "pop-culture" ?
Dans le cas de la moto, la "culture populaire" (ou "pop-culture") est très bien décrite dans cette chronique: de manière contemporaine, cela va des "blousons noirs" stéréotypés rebelles, à une forme ultra-futuriste qu'on trouve dans certains ouvrages mangas et films animés; le plus connu étant effectivement le chef de gang (bref, encore un rebelle!) de motards Kaneda, pilotant (j'allais écrire chevauchant, mais là, non, il est DANS la moto dingue ) une machine très différente que toutes les autres.
D'ailleurs, là aussi, effectivement on ne filme pas une moto, ce n'est qu'un accessoire. Mais l'accessoire en question était tellement différente de tous les autres véhicules du film, et tellement différente de tout ce qui était connu alors: ne pourrions-nous pas, tel que écrit dans la chronique, en faire le second rôle mécanique le plus marquant de la culture populaire de ces 30 dernières années?

Sinon, petite remarque sur le fond de la chronique, cette moto de Akira n'a pas été la première à installer ce genre de lignes, et de "style néon". Si j'osais même un avis très personnel: je ne serais pas étonné que Katsuhiro Otomo (réalisateur de Akira) se soit très inspiré des motos d'un film américain de 1982 (donc quelques années avant Akira, 1988) emblématique de la nouvelle science fiction: TRON.

La moto dessiné par l'équipe de Otomo pour Akira

La moto dessinée par l'équipe de Lisberger pour Tron
(oui, ça a salement mal vieilli; la suite sortie 30 ans après a bien dépoussiéré le design initial tout en y restant fidèle )

03-06-2025 11:03 
gach38

Le cinéma n'a joué aucun rôle dans mon intérêt pour la moto.
C'étaient les vitrines des concessionnaires, les motos dans la rue, les concentrations qui m'ont eveillé les sens en plus des revues que j'achetais avec mon argent de poche.
Donc je me fous du blingbling cinématographique.

03-06-2025 11:56 
Meuldor

Moi ce sont plutôt les pilotes qui m’accompagnent sous le casque. Les Auriol, Neveu, Sarron, Zarco ou les aventuriers de la presse moto. Le cinoche c’est du flan et des scènes impossibles qui ne collent pas avec un tant soit peu de crédible.

03-06-2025 12:39 
cricridu34

Merci inextenza,

Tu confirmes donc bien que ce n'est pas mon monde.

Jamais eu besoin de tout ça pour être attiré (et plus, quand affinités) par la MOTO.

03-06-2025 13:14 
Saintbab

Gamin y'avait une série basée sur Serpico je crois. Il avait un 750 four ou une 900z, un truc dans le genre et ça en jetait
Sinon les 1eres gsxr 750 dans la rue c'était magique.

03-06-2025 13:19 
inextenza

Cricridu34, c'est assez large, et il ne faut pas négliger les influences inconscientes.
Ce qui m'a fait venir à la moto ne sont pas les films, ni les livres. J'en suis certain, car ce sont les sports mécaniques et les mécaniques sportives qui m'ont fait venir à la moto. A la base je regardais la F1 à la TV, et j'ai été bercé dans une Celica première du nom, puis quelques voitures plus tard des Mazda sportives. Ce qui m'a fait diviser le nombre de roues a été de regarder les courses motos sur M6 à l'époque, et à ce moment-là la fille ainée de la personne qui s'occupait de moi après le collège venait de passer le permis et acheté une 400FZR. Cela a fait passer les motos sportives de l'image à la réalité, fin de l'histoire. 3-4 ans plus tard, entre une conduite accompagnée dans un coupé 2 litres et le permis Al, il n'y a pas eu d'hésitation.
Pourtant, est-ce que les films intégrant des motos ont pu m'influencer? Pas consciemment, non, j'en suis sûr: je suis incapable de citer un film qui m'aurait marqué avec une moto quand j'étais pré-ado / ado (je n'ai vu les films que j'ai cités plus haut qu'une fois adulte).
C'est d'autant plus aidé que dans les années 80/90, les "motards" du cinéma étaient exclusivement des "bad boys", à l'image de Rusty James (Par FF. Coppola, avec entres autres Mickey Rourke, et anecdotiquement le tout jeune neveu inconnu du réalisateur, Nicolas Cage). Et même les Terminator (en tout cas les deux premiers) mettent en avant des motos... très américaines dirons-nous. Pas mon style. Mais quand même...
Il y a eu également sûrement quelques pubs, et des dessins animés. Là par contre les dessins animés ont proposé beaucoup de motos à l'allure plus sportive! Et comme les dessins animés servaient à l'époque à faire vendre des jouets, on se retrouve vite avec des motos venant de "Mask", de "Jayce et les Conquérants de la Lumière", ou même de "Goldorak" (sisi, il y en avait!) désolé les quadras et les quinquas qui viennent de se prendre un tape derrière la nuque en lisant ces noms de dessins animés.
Je ne mettrais pas mon gant à couper que cela ait pu m'influencer inconsciemment V

03-06-2025 15:07 
cricridu34

C'est désolant (si,si) mais les dessins animés que tu cites...

C'est mon fils qui les regardait.

C'est pas une tape derrière la nuque, là.

C'est un grand coup de matraque. Je te dis pas merci.











Sans rancune, quand même.

03-06-2025 15:26 
inextenza

timide timide timide

03-06-2025 16:03 
Daniel_San

La moto, c'est une part de rêve et de liberté.
C'est aussi l'air du temps, pour ne pas dire un phénomène, en témoignent la centaine de milliers de permis A1 et A2 délivrés chaque année, et les ventes de VN.
Il y a la moto, le look qui va avec, la ligne d'échappement et les accessoires, le côté loisir ou pratique, tout un tas de préoccupations et un vrai business juteux, qui sont bien loin de ce qu'ont pu faire MacQueen, Schwartzenegger ou Cruise sur des bécanes hollywoodiennes.
C'est peu comme si Cosmos 1999 avait motivé Thomas Pesquet à devenir astronaute...

03-06-2025 16:53 
Godzilla

Citation
Borisjc
Un truc qui est vrai : rouler sans casque, paisiblement, c'est bonnard !! Dommage que ce soit interdit en France.

V



Déjà qu'en vélo des fois le vent qui siffle aux oreilles en descente me fait penser que je ne suis qu'un grand truc fragile fait d'eau et dos, alors sans casque à moto...

Sans compter qu'au premier scarabée dans la joue...

03-06-2025 18:35 
BIG83

Salut
Pfff Steve MC Queen ? Sérieux ?

Rien ne vaut J.Lefebvre et M.Galabru avec de vraies motos...j'aime

dans...???

Vous avez jusqu'à minuit.
V

03-06-2025 23:19 
Kakou29

Quelques messieurs trop tranquilles

04-06-2025 06:35 
Goupil62

En Italie, à douze ans je "piquais" la 350 Morini de mon grand oncle pour faire le tour du village.

La passion est venue des discussions d'adultes au sujet des Ducati, Morini, Moto Guzzi, etc.

Je n'ai jamais été influencé par le cinéma parce qu'il ne montrait que quelques bribes de la moto &, souvent, les protagonistes motards étaient doublés.

Mais la lecture des grands prix avec les exploits d'Agostini (roi en son pays), Pasolini, Read, Sheene, etc. ont bercé mon enfance & adolescence.

@ ludo51

Idem, les McQueen, Cruise & consorts sont là mais le seul, le vrai acteur de la moto, bin .....

C'est moi 🤣

04-06-2025 08:03 
BIG83

Salut
Kakou
Minuit j'ai dit...
Après, on ne peut pas dire de Steve MC Queen que ce n'était pas un motard et passionné.
ISDE, courses de désert et autres.
V

04-06-2025 08:44 
 

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