Pourquoi il faut défendre les concentres
Toutes les concentres ont un point commun : la mise à plat, temporaire, de l'échelle sociale.
Je ne sais pas quand a été interdit le carnaval en France, cette nécessaire soupape de sûreté sociale. A nous, motards, il reste les concentres pour nous échapper du lancinant monotone.

Toutes les concentres ont un point commun : la mise à plat, temporaire, de l'échelle sociale. Oh, elle n'est pas bien loin, elle pointe dans le vocabulaire, la posture, les agrégats qui se forment naturellement dans tout regroupement humain. Mais pendant quelques heures, le temps que les grumeaux de sociétés se forment, les motards se mélangent, oublieux de ces règles dont il est bon parfois de se rappeler combien elles sont omniprésentes et inflexibles.
La concentre, c'est cette anomalie dans la trame ordonnée de nos vies, un recoin de nomadisme qui subsiste malgré la cravate obligatoire et les panneaux qui te rappellent avec des dessins idiots qu'il faut se laver les mains après être allé pisser. Là, au contraire, personne ne viendra t'assommer avec un chapitre du Code civil si tu bouffes tes merguez avec les doigts et que tu as la goutte au nez. Tout le monde a la goutte au nez : ça caille, il fait humide -putain, on va en chier pour sortir de ce champ détrempé.
La concentre, c'est le moment où les dénominateurs communs se réduisent aux seules bécanes. Où tes qualités peuvent se mesurer à la distance que tu as parcourue pour venir planter ta tente sur ce bout de colline pas encore enneigée -mais ça ne va pas tarder, ils annoncent 15 centimètres cette nuit. Tu te résumes, un instant délicieux, à un couple simple, immédiatement lisible : toi et ta bécane. Rien de plus. Elle est ton CV, ton parcours de vie et plus seulement un véhicule.
Tu as remarqué ? C'est dans les concentres que la hiérarchie s'inverse brusquement : celui qui a la plus petite et qui vient de plus loin remporte le concours du plus courageux. 300 bornes en 125 et t'es soudain un demi-dieu vivant, un mec (ou une nana) qui en a. C'est un phénomène curieux. Pourtant je sais que ceux qui viennent en 125 en chient carrément moins que les amateurs de gros machins sur les derniers kilomètres, quand la boue transforme ta routière en enclume vicieuse qui se dérobe, quand la neige fait de ton confortable carénage un appendice fragile et coûteux ; le mec en 125 s'en fout : il pédale en rigolant dans la gadoue, gaz en grand.
Nous faisons connaissance, avec nos motos comme point de contact immédiat, lisible, manifeste. De là, nous rebâtissons une autre structure sociale. Nous racontons nos histoires, souvent avec de grands gestes. La moto fait ressurgir le conteur endormi en nous. Souvent drôle. Parfois triste, quand on parle de ceux qui ne sont pas là parce qu'à un stop/parce que sous la pluie/parce que trop vite… Ils sont là, bien sûr, mais différemment, comme plus flous dans le décor, à la limite de la zone de clarté des feux de bois.
Autour du feu, justement, se rejoue une scène qui remonte à si loin dans le passé qu'il faut creuser nos os avec du métal pour la retrouver. Pourtant tout ressort là, presque intact : le feu, le froid, la boue, l'épreuve, la Lune, le grand ciel, les contes. "Qu'est-ce qu'on mange ?" Le cadre est clair : il ressurgit des replis assombris de notre couche animale. Nous avons laissé en bas de la pente qui mène ici le gros de l'artificiel de nos vies "modernes" -on serait tous morts si on restait ici trois semaines, tellement on est plombés par le progrès.
La concentre, c'est aussi un peu ça : se rappeler ce qu'on a perdu presque complètement en devenant ce que nous sommes. Un retour en arrière pour quelques heures. Sentir sans risques que c'était très risqué alors. On redevient aussi un peu des mômes, qui s'amusent à se faire peur pour se sentir vivre.
Et puis je remonte sur ma bécane. On rentre en groupe. Celui-ci se dissout au gré des sorties d'autoroute ou des croisements. L'un à gauche, l'autre à droite. Je finis les derniers kilomètres seul, avec sous la pellicule de civilisation cette vieille trouille du sauvage qui sait qu'isolé, sans sa tribu, il pourrait tout aussi bien être mort.
Il reste de la boue de là-bas sur mon bras oscillant. Mon duvet humide sent le feu de bois. C'est officiel : j'ai chopé un putain de rhume.
C'est irremplaçable.
Commentaires
j'ai jamais fait de concentre, mais apparemment c'est un peu comme le camping où tu alignes des Bobo en gros SUV avec des vélos qui coûtent plus chers à l'unité que le minibus de la famille groseille juste à côté. Tout le monde attend devant la douche avec ses tongs et sa serviette, ou se trimballe avec son rouleau de PQ qui dépasse de la poche.
19-11-2019 07:19tu vis des entraides improbables pour mettre en place la caravane du voisin, faire démarrer le minibus en panne avec le SUV, creuser des rigoles pour ne pas être inondé par l'orage comme la nuit dernière,...
le genre de truc Chikouf: Chic on arrive, Ouf on repart
mes premières concentres remontent aux années 70.j'en ai pas mal a mon actif. Prendre la route avec un but est déjà excitant, en plus aller a la rencontre des "autres", c'est tout simplement magique.
19-11-2019 13:28Evidement qu'ils faut préserver les concentres, même les développer !
"Just you and your bike" (Continental Circus)
19-11-2019 13:52Tu admettras que ça commence mal. 19-11-2019 16:28
Cette chronique me donne envie de rouler sous la pluie / sur la neige.
19-11-2019 20:46sympa cette chronique
19-11-2019 21:13tom4
Bref: retour à l'essentiel !
20-11-2019 07:29Allez aux Millevaches, les 13, 14 et 15 décembre prochain : vous aurez les images qui vont avec l'article, c'est exactement l'ambiance !
20-11-2019 14:19Godzilla: J'admets
20-11-2019 16:44je m'y mettrai peut-être, vieux motard que jamais
V
Eh bien fais en quelques unes, et vient nous faire partager ce que tu y auras vécu
Perso, j'apprécie régulièrement de rencontrer d'autres motards dans des circonstances qui peuvent peut-être te paraître étranges ...
Bon, si on s'y croise pas, c'est pô grave hein
j'ai participé au Millevache en 2012 avec ma FJR et aux Éléphants en 2013 avec ma Verys 650.
21-11-2019 16:48Ambiances merveilleuses aux deux, partages aux deux même quand on ne parle pas la langue.
Sous la tente au Millevache, en bourgeois dans un gite pour les Éléphants. Quelles expériences d'amitié.
Un trajet mémorable avec les copains dans les deux cas.
Mais le retour difficile des Éléphants m'a vacciné (tempête de neige du côté de Munich et gamelle sans gravité pour moi sur l'autoroute).
Mais que des bons souvenirs !
Une remarque : les mauvaises routes ont été beaucoup plus difficiles à gérer avec la Versys (200 kg) qu'avec la FJR (300kg). Serait-ce dû au fait que la Versys est un bi-cylindres ?
Très jolie chronique, qui me conforte dans l'idée que je n'en ferais sans doute jamais: si déjà c'est pas tentant quand c'est aussi joliment présenté …
21-11-2019 17:27cajo: non, c'est pô grave effectivement
21-11-2019 20:04[attachment 32455 Elaphants201234.jpg]

27-11-2019 09:33Vraisemblablement plutôt grâce à la qualité des suspensions de la FJR.
[attachment 32460 1000V201205319.jpg]

28-11-2019 09:21Millevaches:


28-11-2019 09:402014
2013
[attachment 32461 lospinguinos2009.jpg]

29-11-2019 06:52l'est à fond, le cajo, là.
30-11-2019 08:40tiens, pour une fois je m'offre un smiley :
[attachment 32466 VVVV.jpg]
Y a certaines concentres qui relèvent plus du challenge !!..j'ai essayé 2 fois :
la 1ère fois ma passagère n a pas apprécié :
la 2 eme fois j'ai pas réussi à atteindre la concentre :
Mais oui bien évidemment il faut défendre a tout prix l'esprit des concentres !!!
30-11-2019 16:29
... attends, j'ai de quoi te réchauffer

30-11-2019 19:27[attachment 32468 Arguis13.jpg]
[attachment 32476 IOM.jpg]
TT of IOM ... au delà des compèt' une gigantesque concentre dans un état d'esprit festif et respectueux pour l’événement et son histoire.
02-12-2019 18:33(ici l'apéro des Français, à Douglas le mercredi)
Faire une concentre hivernale, ça ne s’explique pas, ça se ressent.
02-12-2019 18:351000 vaches 1974, 2011, 2017
Elephant 1982, 1983
J’espère faire les 1000 vaches cette année mais cela va grandement dépendre du temps.
A presque 70 balais faut se ménager….
[attachment 32482 Arguis15.jpg]

04-12-2019 12:10[attachment 32488 DragonRallye.jpg]

06-12-2019 07:30Dragon Rallye (nord du Pays de Galles)
La photo n'est pas de moi, j'y suis pô allé ...
[attachment 32501 imo02.jpg]

10-12-2019 08:00[attachment 32559 milleV.jpg]
Je crois que "frais", c'était le mot juste.....
TOM > bien vu
mais "humide" voire "très humide" aurait mieux convenu ... parce que cette fois encore le réchauffement et le dérèglement climatique sont des faits qu'on vérifie 
18-12-2019 08:41C'est surtout un probleme de malchance car de la neige, il y en avait, il y a peu de temps sur le plateau.