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Les traine-couillons

Vie de motard(e)s - témoignage... et APPEL DE PHARE...

Qui est le traine-couillon ?

C'est celui qui prend sa moto pour se rendre sur un lieu dit de travail, passe par des zones aussi intéressantes que des Zones d'Activité, des Axes Rapides ou Routes Pour Automobiles (sic !). Il pratique l'interfile et se fait régulièrement rincer la face à grand coup de pluies d'automne. Il est habillé souvent d'un grand sac poubelle que l'on appelle pudiquement 'combinaison pluie', et se distingue par une joie d'arriver entier matinée d'indifférence. Il guette chaque soir le bulletin météo sans que cela change grand chose à son quotidien : demain il se refait The Big Circus entre les monotones autos, les bus et ses voies. Tous les jours, il affronte l'ennui à son guidon et va gagner quelques menues monnaies destinées à nourrir la famille, payer ses traites et accessoirement le faire vivre. Sa brêle est d'un état de saleté repoussant, se veut naïvement confortable et ses pneus sont carrés.

Il se distingue de ceux qui ne roulent que pour le plaisir. Lui est assigné à l'obligation. Sa moto, c'est entre autre son véhicule de tous les jours. Non, il ne se fait pas toujours plaisir et oui il l'use prématurément pour rien. Des kilomètres identiques de bitume commun ne sont pas aussi glorieux que des routes de cols, et les paysages dont chacun rêve un peu ne se rencontrent pas forcément sur une nationale entre deux volées de feux rouges. La vague verte, pour lui, c'est une question d'allure. Oui, il faut être un peu mou du neurone gauche pour remonter chaque jour ces files arrêtées, se lancer dans 20 bornes d'interfile entre le camion Darty et la clio grise tirée à 5000 exemplaires ils-la-donnent-ou-quoi -?.

Tu te reconnais dans cette description ? Bienvenue au club des traine-couillons...

Mais ne baissons pas la tête ! Car le traine-couillon a ses privilèges que d'autres ne connaissent pas. J'en suis un, et j'en suis fier. Ma moto, c'est mon véhicule de tous les jours. Et je traîne aussi mes guêtres sur les voies rapides pour aller gagner ma pitance. Cette moto, c'est un rêve, et hélas, les rêves ne se multiplient pas comme autant de petits pains.

Comme moi, tu n'as pas les moyens de faire autrement ?

C'est courant, et tu fais donc bien partie des traine-couillons. Assez couillons (c'est leur signe de reconnaissance) pour aller se peler en risquant de finir leurs magnifiques destins sous les roues d'un trente huit tonnes taquin pour que leur entreprise ou administration puisse les faire bosser un peu. Assez crétins pour se chopper des rhumes récurrents à regarder pendant les feux rouges la buée se former sur les vitres des voitures voisines. Car en plus d'être idiot, tu es le pollueur de service, tu utilises un engin plus dégradant pour l'environnement qu'une moderne auto, tu n'utilises pas de vélo comme il se devrait, tu augmentes les statistiques des assurances en ville et en plus, tu es celui que les collègues assimile toujours au "Motard", le mythique motard qui leur a fait tant de chose sur leur petite route et dont ils te rabattent les oreilles à chaque pause café comme si tu étais leur unique représentant sur terre.

Pourtant, devrais tu te morfondre dans ton coin ?

Non, car à ceux qui désignent ton quotidien absurde en te montrant des belles images de week-end endiablé, tu fais remarquer que toi tu es sur la 4eme photo, en bas, à gauche. Non, car tes moments magiques, tu les vis aussi dans ce train-train. Rappelle toi, le bistrot du matin où le café chaud aux creux des mains fourré d'office par le patron, tu écoutes les gars raconter leur week-end à la pêche, avec moult détails ou commenter la dent du petit dernier. Rappelle toi ces histoires que tu a aussi vécues, la détresse partagée d'un petit jeune devant sa Bandit en carafe, le coup de main l'an passé à faire la circulation lors d'un accident, les gosses qui te saluent le matin parce que tu es le seul à avoir apparence humaine en hiver.

Rappelle toi le sourire de la jeune femme, toute fière sur sa MZ au feu que tu lui rendes son salut.

Rappelle toi le vieux briscard te demandant comment ton engin arrive encore à rouler du haut de sa vieille BM toute fripée d'origine, et dans son jus.

Rappelle toi les matins où tu pars avec le soleil, moment privilégié que tu ressens sur ton cuir.

Rappelle toi de ce petit cérémonial qui tous les jours te donne l'impression de vivre différemment : un gant, contact, puis l'autre, baisser le starter, ranger le U, mettre ton casque, pousser pour se dégager, vérifier que tout va bien et enclencher la première avec en fond un type qui hurle "Que les machines chantent, et les machines chantèrent - 2356 eme"

Rappelle toi la tranquillité d'esprit avec laquelle tu quittes ce vaste bordel organisé que l'on appelle la vie professionnelle alors que tes collègues vont se rejouer la réunion en Dolby Sound System dans leur bus ou au volant de leur voiture, coincé entre la Porte Machin et la Porte Bidule, où ils ont l'air bien malin comme se complaît à leur rappeler la radio.

Rappelle toi de ces arrivées le soir où tu regardes ta bécane arrêtée, raisonnant de cliquetis et dégoulinante de flotte, et tu lui dis "Brave bête, tu ne m'as pas lâché aujourd'hui".

Car le traine couillon a ceci de particulier : sa moto n'est pas un véhicule, c'est sa compagne de tous les jours. Si un jour elle éternue, c'est lui qui reste sur le carreau. Et si elle est pleine de vie, c'est sa journée qui commence bien.

8:0) - c'est pas un truc à deux roues avec un moteur, c'est celle avec qui on est lié tous les jours le temps d'un trajet -

Cram TeXeD - le 1er novembre 2002

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