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Ce que promet l'aube

Je roule vers le soleil levant sur une route isolée. Je guette, bas sur l'horizon, ce que promet l'aube.

4:57. Je roule vers le soleil levant sur une route isolée. Je guette, bas sur l'horizon, ce que promet l'aube.

Ce que promet l'aube (c) photo : Roberto Nickson
Ce que promet l'aube (c) photo : Roberto Nickson

Je n'ai croisé personne depuis que je roule. Vu d'en haut, je dois être la seule tache lumineuse mobile à des kilomètres à la ronde. Mon phare pointe plus ou moins vers l'est. L'air est calme : il n'a pas plu.

Tout à l'heure, j'ai cru que ça y était, mais ce n'était que l'éclairage orange d'un village que j'ai laissé à ma droite. Je n'ai pas retenu son nom. Je me souviens que ça commençait par un "V".

Je ne suis qu'à moitié réveillé. Je fais des grimaces sous le casque, je tire la langue, je cligne furieusement des yeux pour me réveiller. J'ai surtout peur de m'emplafonner un lapin, voire un blaireau et BANG ! je ne saurai pas ce qui m'arrive. Même à seulement 110, ça se passe bien trop vite : l'autre jour, à vélo, j'ai été mortifié de rouler sur un long serpent qui traversait la piste cyclable ; rien pu faire pour l'éviter. Je me rappelle le choc mou de mes pneus sur son corps et je me demande s'il a survécu. Probablement pas.

Je surveille le bas-côté. Je guette les petits points lumineux qui signalent les rétines des animaux de nuit, celui plutôt blanc des renards, celui tirant sur le vert des cervidés. Ou est-ce l'inverse ?

Hier soir, j'ai filé vers ma sortie de secours temporaire, droit vers le soleil couchant, chaud. Je trouve amusant de le retrouver à nouveau devant moi ce matin en rebroussant chemin. Lui a fait apparemment cent mille kilomètres, moi j'en ai parcouru deux cents à peine. Je pensais m'arrêter là ‒doigt sur la carte‒ mais de colline en colline je me suis retrouvé aux environs d'ici ‒rond sur la carte. Alors j'ai dû me réveiller plus tôt ce matin pour rentrer : j'embauche à sept heures et je veux repasser par la maison pour prendre une douche et me raser.

Hier soir, j'ai posé un pneu avant timide sur un sentier en fond de vallée. Une étable loin sur la gauche ; un ruisseau étroit ; des vaches caramel à grandes cornes ; deux buses planent au-dessus d'un bosquet. J'ai bien tendu l'oreille après avoir coupé le moteur. J'ai béquillé sur un affleurement de schiste. Le pot faisait un tic-tic-clac discret. En vingt minutes, mon campement était prêt. J'ai appris un nouveau noeud pour bien raidir la drisse de la moustiquaire.

Le réveil a sonné à quatre heures. J'ai pu remballer sans lumière ‒merci la pleine lune : c'était le premier défi du matin. Je suis encore fatigué, donc je frissonne ; je m'y attendais.

Moteur. Je n'aime pas les éclairages à leds. La lumière est froide, tranchée, médicale. Le faisceau est trop dilué en plein phare et trop près en feu de croisement : cela m'agace. Je m'avance et recule sur la selle : je tente en vain de modifier l'assiette.

Pas de fioritures ce matin : j'ai filé vers la nationale. J'ai traversé des villages aux réverbères éteints, où j'avais l'impression, fatigue aidant, de rouler à toute berzingue... le compteur indiquait trente.

Je passe sous un pont dont j'éclaire brièvement le tablier. Les traits de la bande médiane disparaît sous mon poing gauche à un rythme hypnotique : flouf-flouf-flouf. Je vois leurs reflets sur le saute-vent. Il me reste deux tiers de réservoir. De tête, je fais des calculs d'autonomie avec des chiffres trop compliqués pour mon cerveau matinal : il y a des quarante-trois et des quatre-vingt-dix-sept. Je capitule : après tout, j'ai une jauge.

Ah ! Est-ce une fine bande plus grise, un peu à gauche ? Il me semble que je distingue mieux les contours des nuages.

Oui ! Il arrive. C'est net. Une barre plus claire s'installe, se déploie insensiblement. J'en suis soulagé. Non : en fait je suis heureux d'assister au petit miracle quotidien du retour de la lumière. Des millions de générations d'animaux qui vivent encore dans mes gènes soupirent collectivement de réconfort d'avoir survécu à l'ombre, une fois de plus.

Je voudrais m'arrêter et couper le moteur pour profiter du spectacle, shamane de bord de nationale baigné des premiers rayons, attentif aux promesses de l'aube.

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Attention Kronik ! 100% mauvaise foi ! Ceci n'est pas un article ni une brève (voir historique si nécessaire). L'abus de kronik peut être dangereux pour la santé de certains. Ne pas abuser.

Commentaires

Picabia

Ce me rappelle mon épopée fin aout en partant d'Espalion au petit matin et traversant le plateau d'Aubrac, cette lumière rasante et une fin de nuit bleutée. Un peu avant Nasbinals le blizzard s'est levé et avec lui une aube cotonneuse et pénétrante. Inquiétant et seul au monde puis revint le soleil et quelques pèlerins croisés sur la route sinueuse tandis que je filais en direction d'Aumont-Aubrac.

14-09-2021 08:32 
waboo

même si le final est le retour au bercail, le trajet.. toujours le trajet... sourire

14-09-2021 09:20 
KPOK

le tout dernier ne finit pas au dit bercail.
heureusement ? je ne sais pas.

Picabia : oui, le Massif central se prête bien à la mélancolie cotonneuse des levers de soleil après une nuit trop courte. Je ne suis pas allé jusque là : je me suis arrêté un peu après Le Donjon (pour le nom).

14-09-2021 10:23 
Aristoto

Très chouette kronik. Il y une quinzaine de jour, le dimanche soir vers 22 h 00, je sortais de Hauterive (26) en direction de Beaurepaire. Je roulais pas très vite (+/- 100 kmh) en ligne droite , quand dans la nuit noire un animal (un lapin ?, un chat ?, un renard ?) s'est jeté sous mes roues. Très désagréable sensation, comme rouler sur une grosse pierre 2 fois de suite (roue avant et arrière) mais la moto n'a pas bougé... et je ne me suis pas arrêté. Je doute qu'il ait survécu, ça m'a travaillé longtemps... détestant tué le moindre insecte.

La prochaine fois je penserai à scruter sur les bas côté les rétines des animaux de nuits.

So long V

14-09-2021 13:57 
thom

C'est bôôô.sourire

14-09-2021 15:55 
Meuldor

Je pars travailler à 6h30 tous les matins et j’assiste souvent au lever du soleil. La plupart du temps dans le train entre Albi et Toulouse et le vendredi en moto. Été comme hiver l’aube produit toujours ce même enchantement. J’avoue faire une pause entre là mi décembre et début février pour la moto si tôt le matin. Le soir c’est le bonus du coucher de soleil en hiver. Merci pour cette kronik si bien écrite.

14-09-2021 18:49 
tom4

pas mal cette kronik
limite ça me donnerait envie d'aller faire un tour à moto :)

tom4

14-09-2021 18:56 
la carpe

Ben moi j'ai horreur de rouler en moto la nuit, c'est la seule situation, avec une pluie diluvienne ou une neige verglaçante, où je me dis que je serais mieux en voiture. Je trouve ça nul et dangereux, quelles que soient la beauté et l'euphorie du lever de soleil qui va poindre. De plus, j'ai fait récemment l'expérience que, la nuit, on ne voit pas les nouveaux radars gris perchés sur leur mat.

14-09-2021 19:36 
tom4

Citation
la carpe
De plus, j'ai fait récemment l'expérience que, la nuit, on ne voit pas les nouveaux radars gris perchés sur leur mat.

tu as peut être le fusible de ton éclairage de compteur qui a laché :)


tom4

15-09-2021 11:23 
la carpe

En tout cas, le fusible du radar était nickel et m'a bien rétro-éclairé !

15-09-2021 17:52 
 

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