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Histoire motard : John Britten

Hommage à un génie concepteur visionnaire de moto

Histoire : John BrittenLes mots "génie" et "tragédie", vont souvent ensemble. Mais il ne fait aucun doute que le Néo-Zélandais John Britten était un génie et que sa disparition en septembre 1995, à l'age de 45 ans, des suites d'un cancer de la peau, est une tragédie pour tout ce qu'il aurait pu apporter au monde de la moto.

Sa vie fut particulièrement dense, conciliant à la fois sa vie de famille et deux carrières à temps plein, à la fois en tant que promoteur immobilier, mais aussi en tant que concepteur visionnaire de moto.

Les motos qu'il a développées, par leur excellence technologique et leur ingénierie d'avant-garde, se suffisaient à elles mêmes pour l'on se rappelle du nom de John. Le fait qu'elles aient également remporté des courses à travers le monde en battant des machines de constructeurs établis aux ressources bien plus importantes, ne fait qu'ajouter à la dimension de son exploit. Ceci explique que ses réalisations aient été acclamées dans le monde entier.

Tout commence par un fait à la fois étrange et merveilleux : les motos de Britten ont été créées à Christchurch, capitale de l'Ile du Sud (South Island) de la Nouvelle-Zélande et surtout avant-poste le plus reculé au monde en matière d'évolution motocycliste. S'il y avait bien un lieu où il y avait peu de chance qu'il puisse y avoir de l'innovation, c'était bien là. Et le fait que cela ait quand même eu lieu là n'a fait qu'ajouter à la mystique des créations de John.

Mais l'autonomie supplémentaire que les Kiwis dégagent de cet éloignement de la scène mondiale de la moto, ajoutée à l'étincelle d'enthousiasme et de pensée innovante de John, a abouti à une série de machines qui n'auraient probablement jamais pu être construites ailleurs. Le fait que des motos aussi avant-gardistes et innovantes aient été construites si loin des épicentres de développement des deux-roues en dit également long sur la détermination de Britten. Lorsque vous étiez un pilote Néo-Zélandais qui courait sur une Norton Manx dans les temps anciens et que vous faisiez exploser le moteur, vous deviez le réparer vous même avec des pièces fabriquées localement et qui fonctionnaient souvent mieux que les originaux.

Ce que Britten a fait, c'est un effort supplémentaire en partant de zéro, en utilisant des techniques radicales et des matériaux avancés et tout ça sans la moindre qualification officielle en moto, avec sa seule expérience durement acquise à l'école de la vie.

L'autodidacte néo-zélandais

Cet autodidacte a commencé à l'âge de 14 ans. Il a alors une Indian V-Twin de 1927 abandonnée dans un fossé. Il l'a ramenée chez lui par le train et l'a remise en état de marche, peu de temps avant de faire la même chose avec un camion d'un état similaire qu'il a ensuite utilisé pour se rendre à l'école !

Son père Bruce était propriétaire d'un magasin de vélos avant de devenir l'un des principaux promoteurs immobiliers de Nouvelle-Zélande. Au décès de son père, John reprend l'entreprise familiale. Avant cela, il s'était déjà forgé sa propre carrière aux multiples facettes, abandonnant l'université en faveur d'un train de vie de hippie aux cheveux longs dans la nature sauvage de la Nouvelle-Zélande durant sa vingtaine. Cette période ne prit fin qu'en 1979 lorsqu'il acheta une écurie abandonnée et squattée dans une banlieue de Christchurch, qu'il latransforma en atelier pour fabriquer et vendre des lampes en verre et autres meubles de sa conception. Deltaplane, motos, restauration de vieilles voitures de sport britannique qu'il achetait à bas prix : toutes ces activités devaient être combinées à la restauration des écuries le soir et le week-end afin d'en faire sa maison. John assurait tout le travail lui-même, y compris mouler ses propres poignées de porte et robinets de salle de bain car il ne trouvait rien dans ses goûts.

La maison dans laquelle vécut la famille Britten était dotée d'une véranda à deux étages recouverte d'un toit en verre qui s'ouvrait automatiquement grâce à un système hydraulique conçu par John lorsque les températures dépassaient un certain niveau. Ce fut une bonne pratique pour la construction de motos, bien que la future épouse de John, Kristeen, un mannequin londonien de Christchurch, n'aurait pas pu le deviner à l'époque. Elle et leurs trois enfants étaient au centre de la vie trépidante de John, malgré ses efforts pour assurer deux carrières à plein temps en une seule vie.

La Britten V-1100 de 1992
La Britten V-1100 de 1992

John Britten était cependant un candidat peu probable à atteindre une telle expertise technique, car un handicap de lecture proche de la dyslexie a toujours rendu son apprentissage à travers les livres laborieux. C'est peut-être pour ça qu'il a fait preuve d'une telle créativité tout au long de sa vie : John a fait ce qu'il pensait être juste et qui fonctionnerait le mieux, pas ce que les livres lui indiquaient comme correct.

Il a donc développé une méthode innovante de travail avec des matériaux d'avant-garde, comme son procédé de réalisation de fibres de carbone. Il a utilisé sa propre conception de fourches à parallélogramme. Il a utilisé le moteur comme un élément totalement intégré au cadre. Il a mis l'amortisseur arrière juste derrière la route avant. Il a mis le radiateur sous la selle. Et il a utilisé son propre système d'injection électronique de carburant alors que l'EFI Marelli des Bimota/Ducati était encore à ses balbutiements.

Le V-Twin 'maison' est utilisé comme élément porteur
Le V-Twin 'maison' est utilisé comme élément porteur

John Britten était un innovateur. Et tout au long des dix années où nous nous sommes côtoyés, je me suis tenu à côté de lui à plusieurs reprises lorsqu'il examinait le travail d'un autre préparateur dans le paddock. Ceux que John admirait plus étaient ceux qui présentaient des caractéristiques de conception révolutionnaire. Il avait l'oeil d'un observateur critique, mais était en même temps en quête constante de connaissances pour alimenter son flot d'idées radicales. Le connaître a été un expérience stimulante, car lui parler de motos ou de maisons, de voler ou de vin, ou encore de ses innombrables centres d'intérêts était gratifiant en raison de la façon qu'il avait de vous pousser à revoir vos certitudes lors d'une simple discussion.

La Denco-Britten Aero-D-One "Winged Wonder"

J'ai rencontré John Britten pour la première fois en décembre 1987 sur le gazon surplombant le circuit de Manfeild dans l'Ile du Nord (North Island) en Nouvelle-Zélande. Pendant l'hiver européen, je courais en championnat NZ Bears. Nous étions tous les deux dans nos cuirs de course après être sortis du paddock pour regarder les essais et vérifier les conditions de piste. John était devenu un foudre de guerre au guidon d'une Triumph Tiger d'avant-guerre qu'il avait construite et réglée lui-même, mais ses intérêts ne se limitaient pas aux motos anciennes et il collaborait déjà avec un autre ingénieur local, Bob Denson, à la conception d'un redoutable moteur de 1.000 cm3 au méthanol pour sidecar de speedway, le Denco. John prenait ainsi déjà rendez-vous avec l'étape suivante logique de la conception du bicylindre en V à 60 degrés et 8 soupapes DOHC qui propusera la première de la série de sportives Britten. Celles-ci utiliseront toutes un format similaire, même si le refroidissement sera liquide et non plus par air comme sur la Denco. Mais c'est le format du cadre de la nouvelle sportive BEARS qui a fait parler de lui, que ce soit par la monocoque en Kevlar et Carbone, la conception modulaire permettant à la fourche WP et au réservoir d'être détachés du moteur sous pression et du bras oscillant, l'amortisseur arrière à l'horizontal, ou l'étrange carénage qui mettait à l'épreuve les théories de John sur la force d'appui à moto. Cela avait été travaillé une décennie plus tôt lorsque John construisait son propre planeur 7,3 mètres d'envergure. Le design de celui-ci était si efficace qu'il ne fallait qu'un vent de 16 km/h pour le faire décoller. Il fonctionnait si bien qu'il a même décollé seul, alors qu'il n'était pas arrimé, pendant que son créateur prenait une tasse de thé !

La Denco-Britten Aero-D-One
La Denco-Britten Aero-D-One

J'avais vu la Denco-Britten dans des magazines et j'avais hâte de la piloter. Porutant John n'avait pas construit l'Aero-D-One, ou Winged Wonder, comme une moto tape-à-l'oeil mais avec l'intention de gagner des courses pour démontrer l'efficacité de ses idées.

A ce moment-là, il avait déjà commencé à recruter le noyau de la bande d'assistants et d'admirateurs qui lui permettrait de créer une gamme de motos futuristes avec les plus maigres ressources. Cela comprenait notamment Mike Sinclair, l'ingénieur en chef de l'équipe de Kenny Roberts en GP500, qui résidait à Christchurch comme John. Rapide mais fragile, la fois où la Winged Wonder s'est le plus rapprochée de la victoire fut quand je l'ai moi-même pilotée lors de la dernière manche de la série NZ Bears en 87/88 sur le circuit Ruapuna, alors que le moteur de la Ducati F1 de Bob Brown cassait durant les essais.

Un conte de fée semblait se dessiner quand les 120 chevaux sortaient du moteur Denco. C'était énorme à l'époque et cela me permettait de passer de la quatrième à la première place en un seul passage sur la ligne droite à la fin du premier tour. Mais après avoir mené pendant la majeure partie de la course et me dirigeant vers la victoire, je suis repassé second, puis troisième alors que l'un des cylindres s'arrêtait par intermittence. Vous pouvez deviner la suite : dans le dernier virage du dernier tour, avec le titre à portée de main grâce à la toute première superbike construite par un néo-zélandais, le moteur V-Twin s'est coupé. Puis il a repris d'un coup alors que j'étais complètement sur l'angle dans la longue courbe rapide avant la ligne droite et le drapeau à damier. Le highside résultant m'a envoyé directement à l'hôpital où j'ai rejoint John qui était déjà là après s'être crashé sur la moto lors des essais, raison pour laquelle je m'étais retrouvé dessus !

La 'Winged Wonder' avait de quoi attirer les regards
La 'Winged Wonder' avait de quoi attirer les regards

La Britten V-1000

Le manque de fiabilité du moteur Denco a convaincu John de construire le sien. C'est ainsi que le Britten V-1000 est né, faisant ses débuts sur la scène internationales en mars 1989 à Daytona avec Gary Goodfellow, un pilote néo-zélandais, aux commandes.

John a toujours pris soin de faire appel à des pilotes locaux autant que possible. A une époque où Bimota et Ducati venaient à peine de commencer à créer le futur injecteur électronique pour quatre temps de course, la Britten à injection était à l'exact opposé et son poids à sec de 139 kg était vraiment remarquable, même si des problèmes avec le logiciel ont troublé les débuts à Daytona. L'équipe eut en effet du mal à obtenir les 135 ch à 9.500 tr/min que le moteur de 999 cm3 (94 x 72 mm) produisait pourtant sur le banc d'essai. Mais la moto des "Shaky Isles" (avec la carte de la Nouvelle-Zélande tatouée sur le carénage) a été bien travaillée en 1989, permettant aux deux motos Britten pilotées par Goodfellow et Robert Holden de courir à l'avant de la Daytona BoTT en mars 1990. Holden termina finalement 5e, mais Goodfellow abandonnera à cause d'une fuite de carburant.

La Britten V-1000
La Britten V-1000

Cette année-là, la Britten a fait son apparition en Europe pour la première fois, terminant deuxième sous la pluie à Assen au mains du pilote de Superbike allemand Hayri Winter, avant d'être présentée au salon de Cologne. Le designer Bimota Pierluigi Marconi et le spécialiste du cadre Fritz Egli étaient sous le charme du moteur Britten, chacun commandant des moteurs à John, à condition qu'il trouve un moyen d'installer un démarreur électrique pour une utilisation sur route. Marconi a parfaitement résumé la réussite de John :

John Britten a conçu le seul moteur de moto au monde qui laisse aux fabricants de moto la main totalement libre sur le cadre. En créant le moteur comme élément porteur, il donne à des gens comme moi le moteur que nous aurions construit nous-même si nous l'avions pu. Sa conception est innovante car elle comprend des éléments essentiels comme l'injection de carburant, un angle de soupape étroit, un rapport alésage/course correcte et une excellente respiration avec un conduit d'admission directe. C'est le meilleur qui soit, aujourd'hui tous les autres moteurs font des compromis, mais le Britten est déterminé à poursuivre l'excellence.

Britten s'est focalisé sur la compétition et voulait sa victoire à Daytona
Britten s'est focalisé sur la compétition et voulait sa victoire à Daytona

La Britten V-1100

L'Egli-Britten et la Bimota BBI (le B de Britten, pas de BMW) n'ont finalement jamais vu le jour, mais uniquement parce que Doug Polen a mis John en colère en remportant Daytona en 1991 alors que Paul Lewis parvenait à hisser la Britten à la deuxième place. Mais les wheeling du victorieux Polen ont alimenté la détermination de Britten à revenir à Daytona pour gagner. Au lieu de renoncer à la course pour développer son moteur de route, en parallèle de la conception d'un avion pour lequel il avait eu "une idée vraiment inhabituelle", John est reparti d'une feuille blanche pour réaliser la Britten V-1000 Mark 2 qui vaincrait la Ducati. En conservant le même moteur, il s'est concentré sur le cadre en fibres de carbone, rendant la moto aussi mince et aérodynamique que possible mais sans pour autant utiliser de carénage conventionnel. Il y a installé sa propre fourche à parallélogramme en carbone, similaire au design du type Fior, mais avec une géométrie différente. Le premier test s'est mal passé puisque la fourche s'est cassée en raison d'un défaut de conception (et avec une caméra de télé embarquée !), mais des modifications ont été apportées et le système a finit par fonctionner.

Changements radicaux pour la Britten lors de son passage à 1.100 cm3
Changements radicaux pour la Britten lors de son passage à 1.100 cm3

John avait également décidé de faire une nouvelle version de 1.100 cm3 du moteur 8 soupapes en le réalésant jusqu'à 99 x 72 mm pour atteindre 1.108 cm3 exactement, fabriquant personnellement tous les composants à l'exception des pistons et de la boîte de vitesse. La fibre de carbone était de retour pour le cadre, la fourche et maintenant les jantes.

Trois semaines avant Daytona, la moto n'existait pas encore, mais un effort surhumain de la part de son équipe lui a permis d'arriver à temps en Floride après avoir livré 171 ch à 9.700 tr/min sur le banc d'essai et de casser un cylindre aux essais. Le mécanicien Mike Brosnan l'a soudé et John a envoyé à Andrew Stroud sur la grille avec plus d'espoirs que de réelles attentes. Parti du fond de la grille, la Britten était clairement plus rapide que la Ducati Factory de Picotte. L'interruption de la course à cause de la pluie ne semblait que reporter la victoire de la Britten. Malheureusement, le contact a été laissé sur la moto durant la pause et la batterie était à plat au moment de repartir. Sur sa moto immobile, Stroud voyait alors lui échapper cette victoire qui lui tendait les bras. La victoire à Assen quelques semaines plus tard ne sera qu'une maigre consolation d'autant que la direction de Daytona annonçait qu'il n'y aurait plus de Battle of the Twin en 1993.

Fourche type Fior, carénage monocoque, moteur porteur...
Fourche type Fior, carénage monocoque, moteur porteur...

La Britten Motorcycle Company

John a donc fondé la Britten Motorcycle Company. Il a ainsi entamé la fabrication des dix répliques de sa V-1000 en édition limitée. Britten s'est alors tourné vers le Tourist Trophy en 1994, mais l'expérience s'est tragiquement conclue avec la mort de Mark Farmer lors des essais. Cette tragédie a choqué et inquiété John, jusqu'à ce qu'une inspection officielle mette hors de cause tout problème mécanique dans cet incident. Un peu plus tôt, la Britten avait enfin triomphé à Daytona et signait la première des quatre victoires d'Andrew Stroud (1994, 1996, 1997 et 1998) avant d'enchaîner aux trois premières place du GP de Nouvelle Zélande et remporter la catégorie Formula 1 du championnat national avec Jason McEwan. Mais bien que cet exploit et les records de vitesse de plus de 300 km/h que la moto avait atteint fin 1993, ait apporté à John la renommée chez lui, ce n'est que lorsque Stroud remporta les BEARS World Series en 1995 à Daytona, Thruxton, Zltweg, Brands Hatch et Assen que la Britten connut le succès sur la scène internationale, avec Stroud sacré champion une épreuve avant la fin du championnat et Stephen Briggs, sur l'une des répliques, terminant à la deuxième place. Une fin de conte de fées, quoique juste à temps : John Britten décède trois semaines après le sacre de Stroud...

Andrew Stroud a finalement fait triompher la Britten à Daytona en 1994
Andrew Stroud a finalement fait triompher la Britten à Daytona en 1994

John Britten a certainement accompli beaucoup de choses dans sa courte vie, plus que la plupart en deux fois plus longtemps. Mais il avait encore beaucoup à accomplir, tant de projets passionnants que son esprit fertile avait hâte de terminer. Avec sa perte, les projets auxquels il avait l'intention de donner vie ne se réaliseront jamais, notamment la Britten Supermono, un monocylindre à 6 soupapes et refroidissement liquide avec cylindre et culasse coulés d'une seule pièce et attachés à un carter en fibres de carbone destiné à transformer cette sportive en machine de moins de 90 kg grâce à son fameux châssis. John avait même prévu que ce même moteur de 650 cm3, dont il espérait tirer 100 ch, soit également utilisé pour les courses Open de motocross sous une forme moins pointue, avec une boite à seulement trois rapports, mais serve aussi de base à une famille de mono 4 temps pour diverses applications.

La V-1100 restera comme la consécration de Britten
La V-1100 restera comme la consécration de Britten

Avant de nous quitter, John Britten eut au moins la satisfaction de savoir que les motos portant son nom, imaginées, dessinées, construites, développées et pilotés par lui et à l'aide d'une poignée d'ami, étaient parvenues à vaincre les machines des fabricants les plus réputés.

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