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La Mongolie en side-car par - 30°C : le Frozen Ride

La route sur un lac gelé lors d'une virée de 1200 kilomètres

Dans ces conditions, une aventure où chaque détail de préparation prend de l'importance

La Mongolie en side-car par - 30°C : le Frozen RidePour les besoins de la photo, on fait un petit feu, le matin, pour dégeler l'huile des bloc moteur et parvenir à démarrer ces braves Royal Enfield Bullet qui ont passé la nuit dehors, entre - 20°C et - 30°C. Mais en fait, avec une préparation mécanique aux petits oignons (et notamment une résistance qui réchauffe l'huile moteur, qui a nécessité l'installation de batteries de camion locaux, à 80 A, dans les paniers), deux et trois coups de kick pour dégommer le moteur et le gromono indien prend vie. Par contre, quand la Bullet démarre, elle tourne toute la journée sans s'arrêter car même après plusieurs heures de route, inutile d'espérer mettre sa main sur les ailettes pour les réchauffer : elles sont froides.

L'objectif du périple : s'imprégner encore plus fort de l'âme mongole. Car les chanceux qui ont eu la chance de parcourir ce pays louent l'accueil des gens, l'immensité des plaines parcourues de nomades et de chevaux, l'intensité du vert, omniprésent dans le paysage. Mais ça, c'est pour les touristes. Car les Mongols vivent aussi un hiver particulièrement intense, là aussi.

Frozen Ride, petite pause sur la glace
Frozen Ride, petite pause sur la glace

Cette expédition, baptisée Frozen Ride, est née d'une rencontre et d'une envie collective : d'un côté, celle d'Alexandre Zurcher, de l'agence Vintage Rides et de l'autre, le duo Sylvain Tesson et Thomas Goisque, respectivement journaliste / écrivain et photographe.

Tesson a déjà publié plusieurs livres et le duo a signé "Berezina", où ils ont repris le chemin de la Retraite de Russie de Napoléon, en hiver, mais au guidon d'une side-car Ural ; un ouvrage élu "meilleur livre de voyage" en 2015 par le magazine Lire. Et au milieu, l'homme qui sait parler à l'oreille des chevaux. Ou des side-car, en l'occurrence : Jean Burdet, l'homme qui fabrique aujourd'hui des side-cars sous propre marque et qui a aussi passé les 40 dernières années à barouder, des quatre coins de l'Europe à la lisière du Sahara en passant par le Khardung La, le plus haut col carrossable du monde, à 5602 mètres d'altitude en haut de l'Himalaya.

Frozen Ride : on roule sur plus d'un mètre de glace
Frozen Ride : on roule sur plus d'un mètre de glace

Bref, pendant que certains ne conçoivent l'hiver qu'au chaud au fond du canapé, cette petite équipe a décidé d'aller se les geler, avec pour objectif de traverser le lac Khövsgöl. Situé très au nord près de la frontière russe, le lac Khövsgöl est un lac très important dans la culture mongole. C'est le second plus grand du pays (après le lac Uvs), ses dimensions étant de 136 kilomètres de long sur 36 de large. 96 cours d'eau se jettent dedans et un seul en sort, la rivière Egiin Gol. Il est considéré comme étant l'un des plus anciens grands lacs existants, avec une antériorité de plusieurs millions d'années : sa pureté lui donne le surnom, dans la culture mongole, de "Perle Bleue Foncée" ou de "Mère Océan".

Et un truc pareil, ça mérite bien qu'on lui rende visite, même au plus profond de l'hiver. Surtout, au plus profond de l'hiver !

Chaque détail devient important...

Comment faire pour passer des journées dehors, à rouler par - 30°C, soit une perception, avec le vent relatif, qui frôle les - 60°C ? Déjà, faut être un peu givré (jeu de mots, là...). Et surtout, c'est là qu'on se rend compte que des détails insignifiants peuvent prendre une importance considérable.

Frozen Ride : le lac recouvert d'une grosse couche de neige
Frozen Ride : le lac recouvert d'une grosse couche de neige

Tenez : l'humanité se divise en deux parties (oui, il y a ceux qui tiennent des flingues et ceux qui creusent, mais on en parlera un autre jour). Non, l'humanité se divise en deux parties : ceux qui suent des pieds et les autres. Rien n'est grave et aucun groupe n'est supérieur à l'autre, c'est juste factuel. Cela dit, si vous suez des pieds, exprimez ce trait fort de votre personnalité avant le départ. Car une fois sur place, deux scénarios s'offrent à vous. Un : vous suez des pieds, l'humidité va geler et avec le froid, vous aller vous cailler grave avant de vous faire amputer. Deux : prenez deux paires de rechange que vous laissez au chaud dans votre blouson, sur votre poitrine et toutes les trois heures, vous changez pour une paire sèche. Et tout se passera bien. Avouez que cela ne tient pas à grand chose !

Difficile aussi de mettre des casques avec des écrans, à cause de la buée. Une grosse cagoule en néoprène et un jet, ça fait l'affaire. Sauf qu'avec le vent, on a parfois une larme qui gèle au coin de l'oeil et elle gèle alors instantanément. Il faut laisser, car si l'on cherche à la retirer, cela peut provoquer des coupures de la peau et des saignements !

Frozen Ride : Jean, gelé
Frozen Ride : Jean, gelé

Et le reste est à l'avenant. Évidemment, ce truc là, sans faire de mauvais esprit ni de sexisme, c'est plutôt un truc d'hommes (ce qui n'a pas empêché Alaska Girl de faire 30.000 km). Car on ne se lave pas de tout le voyage : forcément, l'eau est gelée en permanence. "Au plus doux de la nuit, il faisait - 17 °C dans les endroits où l'on dormait", témoigne Jean Burdet. "Du coup, il faut être imaginatif", reprend-il : "si tu veux te brosser les dents ou boire un coup dans la nuit, car la nourriture mongole est assez salée, il faut mettre une petite bouteille d'eau en plastique contre ton corps, dans ton duvet. Et normalement, le matin, la chaleur de ton corps aura été suffisante pour faire fondre une petite moitié de la glace et tu pourras te lavouiller les dents".

Frozen Ride : rencontre avec les Mongols
Frozen Ride : rencontre avec les Mongols

Entre le logement chez l'habitant, les matelas posés par terre et la cuisine au feu de bois dans une sympathique promiscuité, nos amis dégageaient une subtile fragrance, mélange de sueur, de fumée, de rance, d'odeur mécanique : c'est probablement à cela que l'on reconnaît les vrais aventuriers !

Une culture riche et peu accessible

Alors pourquoi va t'on rouler sur un lac gelé par - 30°C ? Pour cette sensation rare de pouvoir rouler sur cette surface surréaliste, parsemée de zébrures, d'éclats, de cristaux et dont l'épaisseur peut atteindre 1,20 mètre (des camions de 30 tonnes passent aussi sur le lac, de quoi rassurer nos Enfield attelées !), pour dépasser des cargos emprisonnées par les éléments !

Frozen Ride : des cargos emprisonnés sur la glace, les motos passent !
Frozen Ride : des cargos emprisonnés sur la glace, les motos passent !

Pour le dépassement de soi, car dans ces conditions et avec le froid, faire 150 kilomètres par jour est déjà un exploit physique. Pour tutoyer l'incertitude, car la moindre averse de neige, la moindre travée de poudreuse peut compromettre l'avancée; malgré les pneus cloutés.

Pour atteindre, enfin, des lieux et des cultures reculées, telle celle des derniers nomades Tsaatans et pour aller assister au festival des glaces de Khatgal ou les sculptures éphémères célèbrent l'âme mongole, ainsi que le festival des aigliers. De quoi découvrir une Mongolie à l'écart des touristes !

Frozen Ride : le festival des glaces
Frozen Ride : le festival des glaces

Outre le moment vécu, qui restera certainement à jamais dans la mémoire des participants, plusieurs choses vont sortir de ce Frozen Ride : un film documentaire, un livre écrit par Sylvain Tesson, tandis que l'agence Vintage Rides va le proposer à son catalogue pour un départ l'hiver prochain. Vous en êtes ?

Cloutage des pneus pour le Frozen Ride
Cloutage des pneus pour le Frozen Ride

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