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Portrait : Patrick Lucas, 40 ans au service de BMW

10 ans au service technique et 30 ans aux relations presse

Une vie de passion, un regard sur l'évolution du métier

Portrait : Patrick Lucas, 40 ans au service de BMWLes relations entre une marque et les journalistes ont tout intérêt à se construire dans la confiance et le respect mutuel. Des valeurs un peu old school, peut-être, mais essentielles à la pratique sereine de notre métier et que certains constructeurs ou importateurs peinent à mettre en place durablement.

Patrick Lucas quitte aujourd'hui la filiale française de BMW après 40 ans au service de cette marque, dont 30 passés à s’occuper des relations presse. Méfiez-vous des apparences : sous ses allures de notable de province, costume sobre et chemise claire, élégance en toutes circonstances, Patrick est un authentique passionné de la chose motorisée. Doté d’un sérieux coup de volant, malin, au sens précieux du terme, excellent organisateur, parfait entremetteur, attentionné et bienveillant, aux petits-soins pour les journalistes, il sait les choyer (bonnes tables et caves à cigare, en bon épicurien qu’il est), dans un seul but : qu’ils puissent découvrir toutes les capacités des véhicules BMW sur un itinéraire parfaitement approprié, tout en savourant les à-côtés que vivraient de vrais clients BMW en pareilles circonstances.

Pour Patrick Lucas, l’amour de l’auto et de la moto, relève d’une vraie noblesse d’esprit. A l’heure où tout s’accélère et se transforme en un gloubi-boulga d’instantanéité et de futilité, Patrick est l’un des derniers détenteurs d’une vraie noblesse de cœur : celle où le voyage est aussi important que la destination, une formule éventuellement convenue, mais qui ne sonne pas creux quand l’esprit de la balade est guidé par la qualité de la route et des tables. Quand le simple déplacement est aussi médiocre qu’insignifiant, alors rouler devient un art.

En trente ans de service de presse, il en a vu passer, des autos et des motos, mais aussi et surtout, des journalistes. A l’occasion de son départ en retraite, Le Repaire lui a demandé de nous faire le point sur la nature de son métier. Au-delà du récit d’une vie, c’est aussi un œil acéré et une fine analyse de la manière dont l’objet de nos passions a évolué et dont les médias, principaux vecteurs, arrivent à la diffuser et la partager. Rencontre avec, comme on dit, une figure du milieu.

Quelles ont été tes premières fonctions chez BMW ?

Je suis entré en 1977 au département moto. en charge de la technique pour Paris, la banlieue et la moitié Sud de la France. Mon rôle, c’était d’aller dans les concessions pour régler les problèmes techniques. Tu imagines, j’avais 25 ans, une petite voiture, un attaché case et une cravate et j’arrivais dans des concessions pour expliquer des choses à des types qui étaient mécaniciens depuis 20 ans et régler des problèmes sur lesquels ils buttaient. Fallait pas se rater !

Tu as donc une formation de technicien ?

Pas du tout ! J’ai une formation en architecture et j’ai pas mal bossé sur des immeubles et des garages, ça me plaisait moyennement. Mais j’avais des amis qui avaient une concession moto BMW et ils m’avaient parlé de ce poste. J’ai donc préparé mon entrée en travaillant pendant 18 mois chez eux, pour tout apprendre de la technique. Sur mon CV, j’avais changé les lignes « architecture » par « technique moto » et c’est passé !

Tu es donc incollable sur les flats, alors ?

Oui, j’en ai mangé ! A l’époque, on avait aussi des problèmes qui n’existent quasiment plus aujourd’hui, des problèmes de tenue de route. Les types adaptaient des carénages, modifiaient les suspensions, chargeaient trop leurs motos, ça pouvait donner des machines dangereuses. Quand j’en avais une comme ça, je démontais tout pour la remettre en configuration d’origine, puis on reprenait une par une les modifications du propriétaire pour voir jusqu’où ça tenait encore bien. Ensuite, par plaisir, j’ai acheté des R 80 G/S accidentées que je refaisais chez moi, j’adorais cette moto, j’en ai eu jusque quatre d’affilée. J’ai aussi fait des raids moto à l’époque, le Canada, le Cap Nord, Denver Panama, Madagascar. BMW France organisait ça pour des clients et je faisais l’assistance technique. C’était du boulot, parce qu’on faisait en sorte que personne ne reste en carafe, même en cas d’accident. Ca a été de belles aventures. On a eu aussi les années du Dakar, quand BMW France engageait la moto d’Hubert Auriol. C’est nous qui la préparions, il fallait tout faire, aller chercher des pièces un peu partout en France. Il fallait être vraiment polyvalent à l’époque, ce n’est plus comme maintenant où toutes les fonctions sont devenues spécialisées.

Puis après les flat, ça a été la série K…

Oui, les trois et quatre cylindres sont arrivés, mais simultanément, je suis passé au département de la communication de BMW, au milieu des années 80. D’abord sur l’auto, puis je me suis occupé des deux gammes, auto et moto.

Et là, tu te mets à organiser des présentations presse…

Oui, mais je n’y connaissais rien. Alors je me suis dit que j’allais faire ce que j’aimerais que l’on me fasse à moi, si j’étais journaliste. D’abord, un bel itinéraire, avec des routes vraiment adaptées au véhicule qu’il faut tester. Quand j’en vois qui proposent la même route pour un engin citadin et un autre sportif, ça me rend malade. Il faut que le journaliste, d’abord, ait envie de te remercier pour la qualité de l’itinéraire et le fait qu’il a vraiment pu juger le véhicule. Ensuite, on peut passer un bon moment ensemble : la qualité des lieux où l’on va, c’est important et durant toute ma carrière, j’ai mis un point d’honneur à faire découvrir des lieux et des régions aux journalistes. Par exemple, je n’ai jamais fait d’essais presse dans un endroit où ils étaient déjà allés auparavant avec une autre marque. La route, la découverte, deux valeurs importantes. Les journalistes me disent que sur certains essais constructeurs, ils arrivent, ils bossent, ils ne savent même pas où ils sont.

Ensuite, je découvrais et je validais moi-même les routes et je faisais des roadbooks simples, un peu comme en rallye. Et lors des présentations techniques, j’ai toujours refusé que les types du marketing viennent faire des discours compliqués avec des avalanches de superlatifs. Les superlatifs, ce sont les journalistes qui jugent si le véhicule le mérite et c’est pour cela que je veille à leur donner les meilleures conditions pour les essayer. L’essentiel, c’est de coller au produit : pour la présentation du scooter C1, par exemple, j’avais fait ça autour du Château de Versailles, mais je faisais guider les groupes de journalistes par des motesses. Le C1, c’était un scooter lourd avec un centre de gravité haut perché, mais on montrait que de frêles motardes pouvaient être à l’aise à son guidon.

On peut dire que tu as mis ta patte sur ce type d’événement ?

Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les journalistes. Et ça, c’est pareil, ça devient de plus en plus difficile à faire. Parce que de mon temps, tu gérais tout, mais aujourd’hui les services comptables sont centralisés et tu dois donc passer par de grosses agences qui ont, parfois, tendance à te sortir des prestations assez formatées. Moi, ça m’est arrivé de louer des villas privées, pour faire des présentations presse dans un salon et pas dans la salle impersonnelle d’un hôtel, d’aller au marché faire les courses pour le repas du soir. Tu vois maintenant un grand groupe passer des factures d’un artisan fromager dans leur comptabilité ? Tout cela, c’est de moins en moins possible…

Quelles sont tes plus grandes fiertés ?

À la différence de Honda et Suzuki, qui séparent leurs activités, j’ai parfois essayé de présenter des autos et des motos en même temps, pour que les journalistes spécialisés découvrent un autre aspect de la marque BMW. Ainsi, j’ai présenté la première Z4 et la R 1150 Rockster au même moment en Corse. J’ai aussi été le premier à faire des présentations presse moto dans le désert des Bardenas en 1999. En auto, un des plus beaux coups, ça a été de faire le roadster Z8 dans le port de Monaco. Je ne voulais pas aller au Café de Paris ou dans les mêmes hôtels que les autres. J’ai donc loué deux yachts et j’ai dû un peu batailler pour avoir les autorisations de garer les Z8 devant les bateaux. Ce que je ne savais pas, c’est que dans ce monde-là, tout se paye chaque jour et en liquide, le carburant, l’huile, les frais de port et de personnel. Je me suis donc retrouvé à me trimballer avec de grosses valises de billets, c’est une expérience étonnante. Sinon on faisait une belle grande boucle avec les Z8 et on rentrait dans Monaco en faisant rugir le Z8 dans les tunnels.

D’autres fiertés ?

Oui, c’est que quand tu considères l’art de rouler comme une noblesse, tu noues de vraies relations durables avec les gens. Il m’est arrivé d’aller dîner chez des chefs étoilés, je n’ai jamais fait ça pour leur vendre une BMW, simplement pour faire découvrir un univers aux journalistes. Certains, comme Georges Blanc, qui roulait sur une autre marque allemande, est venu chez nous, parce qu’il a découvert notre univers. Mais le plus important, c’est la relation que tu crées avec les gens, la relation qui dure…

Qu’est-ce qui a changé dans la façon de travailler ?

Le rapport au temps. A l’époque, il n’y avait pas de journalistes sur Youtube, pas de blogs, pas de réseaux sociaux. On faisait un peu du journalisme à l’ancienne, on prenait le temps de faire les choses bien. Aujourd’hui, le journaliste a la pression, il est à peine descendu de l’avion qu’il doit faire une vidéo de présentation du véhicule, puis une autre pour son premier ressenti au bout de dix kilomètres, puis écrire son article dans la nuit et ne pas prendre le temps de venir dîner et profiter du lieu. À nous de nous adapter en leur fournissant des conditions pour travailler, en repérant les lieux où ils peuvent tourner, en leur donnant toutes les informations dont ils ont besoin, le plus vite possible.

Ca doit être compliqué parce qu’il y a de plus en plus de journalistes…

Eh non, c’est le contraire. Il y a de moins en moins de monde dans les rédactions et le temps qu’ils peuvent consacrer à un sujet est compté. A une époque, la plupart des grands journaux de province, Nice-Matin, le Progrès de Lyon, Ouest-France, la Voix du Nord et bien d’autres, ils avaient un type qui couvrait la rubrique moto. Ce n’était pas son activité principale, mais c’était un journaliste passionné et on s’occupait d’eux aussi. Je me souviens, sur la K75, on avait quasiment 75 invités. Comme on se connaissait bien et qu’ils savaient que j’avais commencé comme technicien, ça leur arrivait de me faire des blagues, genre me mettre une moto en panne, pour voir si j’avais pas perdu la main. Aujourd’hui, tous ces types-là ont disparu et qu’est-ce qu’il reste, comme grand média qui couvre encore la moto, le Figaro et France Inter, c’est tout…

Et concernant le profil des journalistes et la façon de faire le métier, qu’est-ce qui a changé ?

A l’époque, il y avait quelques grands noms et quelques grandes plumes qui faisaient trembler les services de presse. Je pense à André Costa, de l’Automobile Magazine, par exemple. Aujourd’hui, on a globalement, à part quelques exceptions, des gens qui sont moins calés techniquement et c’est encore plus le cas avec les nouveaux supports. Ca nous oblige à repenser notre métier, à proposer les informations autrement, de manière plus claire… De même, dans le passé, c’était important pour les journalistes de faire des mesures chrono, pour vérifier les chiffres des constructeurs, à l’époque, la notion de performance était importante. Aujourd’hui, il n’y en a quasiment plus qui font des mesures. C’est pareil pour les gros comparatifs avec 10 motos, ça aussi, c’est quasiment fini !

Tu as suivi l’évolution de la gamme moto sur 40 ans. Quel est ton regard là-dessus ?

La vraie rupture, c’est la S1000RR. Notre marque ne bougeait pas trop au début, puis elle a innové, s’est diversifiée, mais des fois on se demandait où ils allaient vraiment. La S1000RR, elle a tout changé, car on parlait depuis longtemps en amont, on avait des doutes en interne, on l’a fait et elle a montré qu’on pouvait rajeunir notre gamme et faire de la performance. Dès lors, on pouvait lancer le second étage de la fusée avec la gamme R nineT, sans se faire taxer de passéistes. Et regarde : à mon arrivée, on faisait à peine 2000 motos par an et encore, en comptant sur les gros marchés de la Gendarmerie. Maintenant, avec la gamme qu’on a, on est à plus de 16 000, aussi grâce à nos deux piliers que sont la GS et la gamme Touring.

Vous faites des motos performantes alors qu’on ne peut plus rouler…

C’est le paradoxe de notre temps. A l’époque, on pouvait ressentir un vrai sentiment de liberté, se faire plaisir avec de gros parcours et de beaux road books. Aujourd’hui, on ne peut plus le faire. De plus, dans le temps, BMW avait de belles et bonnes relations avec les forces de l’ordre et il nous arrivait de les inviter sur nos présentations, ou de leur prêter des motos. Cela facilitait les choses le jour de l’essai, ou sinon, pour les premiers 4 cylindres rapides que l’on a eu, j’avais eu l’autorisation de réserver une portion d’autoroute terminée, mais pas encore ouverte au public, pour faire des essais de vitesse maxi. J’avais fait venir la Gendarmerie sur l’événement et je leur avais même demandé d’arrêter mon patron, car je savais qu’il avait oublié ses papiers. Mais le monde a changé et je ne me vois pas faire ça aujourd’hui.

C’est vrai que ça roulait de manière un peu plus rock’n roll dans les grandes années, mais en moto je n’ai connu qu’un seul accident sérieux avec un journaliste, un type du Sud, il y a longtemps, qui a fini dans un arbre avec quelques fractures. En ce temps-là, il n’y avait pas de téléphone portable, mais la première auto qui s’est arrêtée, c’était un pompier. Et en auto, j’ai pris la liberté de ne plus inviter des journalistes qui ne savaient pas rouler et qui se prenaient pour des pilotes.

C’est vrai que les radars ont changé pas mal de choses. Du coup, maintenant, l’idéal, c’est de passer une petite frontière : le Pays Basque, par exemple, c’est top. Tu as encore de belles routes, personne dessus et là-bas les flics ne te harcèlent pas.

Tu pars avec de la nostalgie ?

Je ne suis pas nostalgique, j’en ai bien profité, j’ai fait des choses passionnantes et variées, qui ne seraient plus possibles aujourd’hui car de mon temps, il fallait tout mener de front alors que maintenant chacun est dans une tâche spécialisée. C’est pour cela qu’après 40 ans de métier, à 65 ans, c’est le moment. J’ai fait mon annonce aux médias, pour ne plus pouvoir faire marche arrière. Car je sais ce qui arrive chez BMW, la M5, la nouvelle Série 8, de bien belles motos. Et ça, c’est un coup à ne plus partir !

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Commentaires

MOZZER

Bonjour,

Voilà un entretien qui fait plaisir. Je ne connais pas ce gars, mais il s'est fait plaisir tout au long de sa carrière et part sans être blasé. Et avec beaucoup de style.
longue vie à lui.

Mozzer

31-01-2018 09:06 
 

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