Le Repaire de Steph : KTM ou la renaissance du phénix ?
Stock colossal, dette astronomique, résultats plombés, dém' du boss...
C’est LE feuilleton de l’hiver : la chute de la maison KTM alimente les conversations depuis maintenant plusieurs mois et ce n’est pas près de s’arrêter. Petit rappel des faits : suite à un énorme excès de confiance, le groupe Pierer Mobility AG, propriétaire entre autres des marques KTM, Husqvarna, GasGas et MV Agusta s’est retrouvé en grande difficulté. Un stock colossal (on évoquait 265 000 véhicules non écoulés en 2024) et une dette qui ne l’est pas moins (1,5 milliard d’euros en juin dernier) ont fait s’écrouler l’empire de Stefan Pierer, le PDG de la marque, comme un château de cartes, avec des répercussions à la chaîne.

Premier épisode, la mise en redressement judiciaire (ou l’équivalent chez nos voisins autrichiens) en décembre dernier, imposant un arrêt de la production et l’établissement d’un plan de relance visant à rembourser les sous-traitants et à assainir la situation avant de remettre la machine en marche. Car si KTM et les marques qui y sont rattachées sont en mauvaise posture, elles pourraient bien emmener avec elles nombre d’autres enseignes. Ceux qui ont connu la fin de Voxan se souviendront que la faillite de la marque française a entraîné l’arrêt de MIG, fabriquant d’échappements emblématiques des années 90. Le plan de relance du Pierer Mobility ne prévoit pas le remboursement complet des dettes (on parle de 30% seulement), ce qui pourrait mettre à mal de nombreuses entreprises. Ou carrément rebuter les investisseurs potentiels (dont certains sont également ses créanciers… vous suivez ?).
Second épisode, Stefan Pierer, l’emblématique patron, vient de poser sa dém’. Alors on pourra toujours – et à juste titre -, fustiger son égocentrisme, qui l’a poussé à jouer la grenouille face au bœuf dans la fable de Lafontaine. Pierer voulait être le premier producteur de motos Européen, quitte à jouer la surenchère face à des géants comme BMW, Ducati ou Triumph. Malgré les nombreux signaux d’alarme (en interne comme en externe), la marque avait clairement pris la grosse tête, rachetant Husqvarna (et liquidant Husaberg par la même occasion), puis GasGas et enfin MV Agusta, persistant dans des designs toujours aussi clivants et se voulant « premium », terme galvaudé s’il en est. Pourtant, n’oublions pas que c’est aussi grâce à l’impulsion de Pierer que KTM est passée de marque de niche, cantonnée à l’off-road et souvent moquée pour sa fiabilité relative (aux États-Unis dans les années 90, KTM valait pour Kick Ten Minutes !), en icône des motos de caractère. Je le sais, j’en ai eu quelques-unes (je possède encore une enduro de la marque) et je me suis toujours régalé à leur guidon.
Troisième épisode, qui ressemble au début du démantèlement de l’Empire, MV Agusta a, selon une sémantique étudiée, « retrouvé son autonomie ». En clair, le groupe s’est séparé de sa dernière acquisition, qui tenait de plus en plus de la « patate chaude » au vu de la situation. Signalons au passage que l’histoire de MV (redevenue la pleine propriété des Russes du Black Ocean Group) n’a vraiment rien d’un long fleuve tranquille et semble marquée par la malchance. À chaque fois que les planètes s’alignent en sa faveur, un coup du sort la replonge dans ses vieux démons. Quant à savoir ce qu’il adviendra d’Husqvarna et GasGas dans les mois à venir… Sic transit gloria mundi (c’est juste pour le plaisir de vous faire réviser vos classiques !) comme disait mon grand-père.
Quatrième épisode, c’est le PDG des échappements Remus Stephan Zöchling, désormais président du Conseil de Surveillance, qui a la lourde charge de remettre de l’ordre dans tout ce foutoir. Première étape, on l’a vu, régler les dettes et rassurer les investisseurs afin de remettre au plus vite l’appareil de production en marche à Mattighofen. En théorie, c’est prévu pour la fin du mois de février, en relançant les chaînes de fabrication avec les 125 et 390 SMC-R et Enduro R. Et comme on ne redémarre pas une usine à l’arrêt depuis des semaines en appuyant juste sur un bouton, les nouveautés de plus grosses cylindrées présentées à l’Eicma ne seront pas produites avant le second semestre, au mieux. Reste à voir si, selon les délais, ce seront alors des millésimes 2025 ou 2026.
Cinquième épisode, plus anecdotique, qu’en est-il de l’engagement de la marque en compétition ? KTM a largement bâti sa réputation sur ses succès en enduro, motocross, supercross, au Dakar et depuis quelques années en MotoGP. Une image trop importante pour tout abandonner. Mais ça n’a pas empêché les nouveaux décideurs de rationaliser cet investissement en réduisant largement la voilure. Fini les engagements sous d’autres couleurs, on se recentre sur le « produit » KTM et on limite le nombre de pilotes. C’est déjà le cas en off-road et il ne serait pas surprenant que dès 2026 il ne reste plus que le team officiel en GP. En tout cas, si j’étais Hervé Poncharal je passerais déjà quelques coups de fil à la concurrence, juste au cas où… D’ailleurs Pedro Acosta, nouvelle pépite des Grand Prix et pilote officiel de la marque, a fait le déplacement en Autriche durant l’intersaison pour s’assurer que, si la production des modèles de série est à l’arrêt, le service compétition est toujours au taquet.
Et la suite ? D’abord, un constat : il n’est jamais bon pour le marché qu’une marque aussi importante connaisse de telles difficultés. Malgré tout, il y a des raisons d’être optimiste. L’administrateur judiciaire a pu constater que les deux premières phases de restructuration avaient été accomplies avec succès, il a donc donné son feu vert à la troisième phase, comprenant la reprise de la production. Ensuite, KTM peut s’appuyer sur un solide réseau de distributeurs passionnés et les fans de la marque sont nombreux. Enfin, le gouvernement autrichien ne peut pas abandonner l’un des fleurons de son industrie : il y a trop d’emplois en jeu sur le territoire. Et puis le potentiel de la marque est toujours aussi impressionnant, qu’il s’agisse de capacité de production ou du savoir-faire. Je souhaite du courage à tous ses employés dans ces moments difficiles, ainsi qu’aux concessionnaires qui passent certainement de sales nuits depuis quelques mois. Et surtout, j’espère que les clients ne seront pas, comme souvent, les dindons d’une farce tragique. Ceux (les rares) qui ont acheté leur Duke 990 plein pot l’année dernière, alors que son prix a aujourd’hui baissé de 2000 euros ont toutes les raisons de l’avoir mauvaise. Mais j’espère du fond du cœur que KTM sortira plus fort de cette épreuve et, surtout, que les merveilleux jouets présentés lors du dernier salon de Milan se retrouveront très bientôt dans nos vitrines. En attendant, comme une lumière au bout du tunnel, la marque sera bien présente au salon de Lyon grâce au dynamisme de son réseau et vous pourrez admirer sur son stand l’ensemble des nouveautés promises à l’Eicma l’année dernière.
Commentaires
Bien raconté, bien dit, bien conclu.
04-02-2025 08:57Par contre il y a un danger latent qui n'est peut-être pas évoqué ici : KTM est détenu à 49% par l'Indien Bajaj. Et le Chinois CF Moto est égaelement présent dans une joint-venture.
On peut s'étonner que les deux, surtout le premier, n'aient pas levé un sourcil sur la comptabilité avant l'accident. Mais on peut également redouter un sauvetage sous la forme d'une prise de contrôle du groupe par un de ses actionnaires. Et Bajaj a les reins autrement plus solides que KTM.
Est-ce que ce serait le première fois qu'un groupe industriel européen a grandi avec l'apport de fonds asiatiques et a finalement disparu au profit desdits fonds ? Pas vraiment, l'histoire récente nous montre que c'est une stratégie, certes insidieuse, déjà déployée par certains industriels situés entre le Rhin et la mer du Japon.
“ Ceux (les rares) qui ont acheté leur Duke 990 plein pot l’année dernière, alors que son prix a aujourd’hui baissé de 2000 euros ont toutes les raisons de l’avoir mauvaise.”
04-02-2025 09:05Il existe biens des moyens pour KTM de récompenser ce type de client sans doute fidèle et passionné et ce même après l’achat: extension de garantie gratuite, accessoires KTM PowerParts offerts, etc. Mais comme l’écrivait Virgile: “Timeo Danaos et dona ferentes” (merci Wikipedia).
ArnoH,
04-02-2025 09:26On peut penser que Bajaj a les moyens d'éponger la dette de KTM, et que l'image de marque très positive de KTM vaut, aux yeux de Bajaj, bien plus cher que l'argent ainsi investi. D'autant plus que le nom de Bajaj ne veut pas dire grand chose aujourd'hui en Europe, c'est donc sans doute plus facile d'acheter une marque que d'en construire une.
Cela dit, je ne suis pas dans les petits souliers de Monsieur Bajaj, et toi non plus, donc tout ce qu'on dit reste de la spéculation!
J'ai roulé KTM et Husqvarna en TT jusqu'en 1985, un petit accro avec une PE 175 en 1980 et ensuite avec des Yamaha.
04-02-2025 11:07Jamais eu un seul soucis avec les Katoches sauf que comme toute bonne mécanique il faut bien l'entretenir.
KTM a voulu élargir son marché et il partait de loin. Comparé à une japonaise à qualité équivalente KTM a toujours été cher et la politique de croissance forcée a eu ses limites.
Et puis je serais client de KTM je ne saurais plus à quel saint me fier, tantôt autrichien, tantôt indien et tantôt chinois, à ce prix là il y a de quoi se poser des questions.
Les problèmes de fiabilité exposés ici et là sont courants avec des moteurs un peu poussés et l'entretien ne doit pas se faire à l'économie.
Fiable ne veut pas dire forcément économique.
Il faut néanmoins que KTM perdure sinon c'est une victoire de plus pour l’Asie.
Y’en a marre du sempiternel schéma « les gentils industriels européens responsables et passionnés contre les froids financiers asiatiques sans scrupules », parce qu’outre le cliché c’est surtout anti productif au possible quand il s’agit de sauver des emplois et des ressources en Europe.
04-02-2025 11:18Non Pierer n’est pas la pauvre victime de l’ogre. Tous les partenariats sont à son initiative, Bajaj comme CF Moto, tout simplement parce que c’est un financier. Aujourd’hui c’est tout simplement, en tant que financier, dans son intérêt de démonter une structure au profit d’autres plus rentables où placer ses billes.
Il se présente lui même ainsi : « Pierer décrit son activité entrepreneuriale antérieure de manière autocritique comme celle d'une « sauterelle », dans ce contexte, il s'agit du rachat d'entreprises en difficulté économique, de leur assainissement et de la revente rentable. »
On en est à la revente rentable, point.
Et on devrait s’intéresser à ses propres placements actuels, je ne serais pas surpris que ce soit au hasard chez des Bajaj ou CF Moto.
Les entreprises européennes ne sont pas détruites par les perfides asiatiques mais à l’initiative de leurs propres dirigeants et actionnaires, car la finance n’a ni frontière ni conviction et va simplement au profit.
Il ne s’est d’ailleurs pas battu des masses quand il s’est agit de « l’évincer » de la tête de KTM.
Jeannot,
04-02-2025 12:11Je suis entièrement d'accord avec toi, mais qui, ici, a dit que Pierer était "gentil" et que Bajaj était un "ogre" ? En tout cas, si c'est ce que tu as compris de mon message, c'est que je me suis très mal exprimé. On est dans des décisions de gestion, il n'y a pas de gentils et de méchants.
Je pense qu’il parle de l’article.
04-02-2025 13:12Je suis d’accord sur un point : Pierer est un financier avant tout.
Mais par contre, la cession de KTM, c’est pour lui tout sauf rentable. Il s’est planté par excès d’investissement, il ne peut plus rembourser, les banques reprennent le contrôle.
Il va laisser quelques millions de sa poche dans l’affaire.
Pierer a été déboulonné et Remus ne voit qu'une chose récupérer ses billes qu'il a mis dans KTM (qui proposait entre autre des akra en option😄). Dans les affaires il faut jouer le jeu sinon on dégage, quant a Bajaj ou CF leurs intentions ne sont pas nobles non plus, c'est autant de points de ventes à avoir sous contrôle et dans une économie mature c'est un sacré coup pour faire des économies de temps et d'argent.
04-02-2025 14:35Déjà que Pierer a viré Kronreif et Trukenploz...
04-02-2025 16:15KTM = Kronreif und Trunkempolz Mathighofen/Motorfahrghebaut si je me rappelle bien...Je vois pas de Pierer là-dedans !
Chronique sympa, j'espère qu'elle sera renouvelée
04-02-2025 18:55@AlainR @Jeannot
05-02-2025 14:25Je ne présentais pas Pierer comme le "gentil" de l'histoire et Bajaj le "méchant" de l'histoire.
Mais si il est assez évident que nos industriels européens ne sont pas tous des anges ou des visionnaires, on ne peut pas non plus nier que les rivaux asiatiques sont plus que prompts à prendre le contrôle d'acteurs historiques à forte image grâce à leur puissance financière hors du commun.
Le vrai point noir, c'est que leur puissance financière vient souvent de la déportation de la production chez eux. Autant dire que l'industriel européen a soigné sa marge mais nourri largement son acquéreur.