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Essai moto sportive Elf 5

La dernière de la lignée

L'ultime expression de la philosophie de conception de motos d'ELF fut l'ELF5, elle-même évolution de l'infructueuse ELF4 et qui a permis à Ron Haslam de terminer à la 11e place du Championnat du Monde 500 GP en 1988 avec deux septièmes places à Spa-Francorchamps et Brno comme meilleurs résultats. Dans la mesure où il a terminé dans le tableau final devant Randy Mamola (dont la Cagiva était handicapée par des pneus Pirelli) et Patrick Igoa sur la Yamaha V4 de 1987, ELF pouvait à juste titre affirmer que son objectif avait été atteint en prouvant que sa lignée de motos alternatives initiée en 1978 et désormais équipée de moteurs Honda NSR500 V4 de 1987, était capable de rivaliser avec les machines d'usine de conception conventionnelle. Dans quelle mesure cela était-il dû au pilotage déterminé d'Haslam ? Nous ne le saurons jamais. Mais le fait que Ron souffrait d'un ulcère à l'estomac durant la majeure partie de la saison fait que ses résultats et ceux de l'ELF5, sont encore plus louables.

Essai de l'ELF5 de Grands Prix
Essai de l'ELF5 de Grands Prix

Ayant piloté la plupart des modèles ELF précédents à un moment ou à un autre, j'avais hâte de goûter aux évolutions de la dernière de la lignée, d'autant plus que j'avais précédemment pu tester la NSR500 de Wayne Gardner, sacré avec le même moteur que l'ELF5 mais utilisant un châssis plus conventionnel. Les adieux aux Grands Prix organisés par ELF sur le circuit Paul Ricard à la fin de la saison 1988 m'ont offert cette opportunité. L'expérience était d'autant plus intéressante qu'elle permettait de rouler aux côtés de Ron Haslam, l'homme qui mena le team français au succès en GP 500 lors des trois saisons précédentes.

Découverte

L'ELF5 reprend la dernière version du train avant à jambe de force et monobrasLes motos ELF se divisent en deux grandes familles : la gamme conçue par André De Cortanze jusqu'à l'ELF2, avec deux bras oscillants avant parallèles et la série conçue à partir de l'ELF3 avec son train avant inspiré par le système automobile MacPherson, imaginé par le chef d'équipe Serge Rosset et réalisé par Dan Trema. Ce dernier fut également responsable de tous les designs des ELF, y compris les premiers prototypes de De Cortanze. L'ELF5 est donc basée sur l'ELF3 propulsée par le NS500, avec un cadre séparé, un bras oscillant avant unique et une jambe de force verticale avec deux triangles articulés intégrant l'unique élément de suspension avant (un amortisseur Showa sur l'ELF5).

Rosset a appelé cette conception du train avant VGC, pour Variation Géométrique Contrôlée.

Sur l'ELF3, où le système fut initialement introduit, le châssis en alliage n'était que minime et l'avant vertical relativement petit. La puissance accrue du moteur quatre cylindres NSR500 a entraîné une augmentation considérable de la section du châssis et de la direction sur l'ELF4, toujours en aluminium, ce qui a eu pour conséquence de donner un poids inacceptable de 129 kg, soit environ 10 de plus que sur la conventionnelle Honda NSR500 propulsée par le même V4. Hormis les autres problèmes majeurs de freinage et de tenue de route rencontrés par l'ELF4, l'objectif principal lors de la conception de l'ELF5 était de réduire considérablement le poids. Cela a été réussi, de sorte que la moto que j'ai pu tester au Castellet pèse désormais 118 kg avec eau et huile, mais sans carburant, soit à peu près la même chose qu'une NSR500 "normale". Le résultat a été obtenu grâce à de nombreux petits changements, mais surtout un grand : l'utilisation de magnésium moulé pour la plupart des composants du châssis et des suspensions, y compris pour les triangles articulés du train avant.

L'utilisation du magnésium a permis de faire descendre le poids à 118 kg
L'utilisation du magnésium a permis de faire descendre le poids à 118 kg

De cette façon, on peut dire qu'ELF a bouclé la boucle puisque de Cortanze avait également largement utilisé des pièces moulées en magnésium sur la sportive d'endurance ELFe, en particulier pour les bras oscillants. Dans le même temps, ces changements ont également poussé à conserver le même moteur NSR500 de 1987, plutôt que le nouveau et plus puissant de 88 qu'Honda fournissait gratuitement. Le délai de réalisation des modèles pour les moulages de magnésium a poussé l'équipe à utiliser les moteurs qu'elle avait déjà, plutôt que d'attendre ceux qui n'arriveraient que peu de temps avant le début de la saison. Car ELF voulait être en mesure de concourir sur l'ensemble des Grands Prix. Cette saison étant déjà définie comme la dernière du projet. Cela a peut-être été une décision pragmatique, mais cela signifie aussi que la valeur réelle de l'ELF5 restera toujours un mystère en raison du handicap de ce moteur vieux d'un an et bien moins puissant que les derniers V4 d'usine.

Le moteur V4 de Honda NSR500 est le même que celui de l'ELF4
Le moteur V4 de Honda NSR500 est le même que celui de l'ELF4

Ce que l'on pouvait faire à la place était de modifier tous les réglages de suspension avant et arrière rapidement et facilement. Ca ainsi que l'angle de chasse, l'empattement, la traînée, la garde au sol ou encore la répartition du poids : tout était facilement modifiable selon les besoins du pilote.

L'ELF5 se distingue surtout par son système VGC et ses nombreuses possibilités de réglages
L'ELF5 se distingue surtout par son système VGC et ses nombreuses possibilités de réglages

Ron Haslam :

Rouler sur l'ELF pendant trois saisons m'a appris plus sur les réglages d'une moto que le reste de ma carrière en course. Quand vous allez sur un nouveau circuit, il y a tant de chose que vous pouvez faire essayer pour tirer le meilleur parti de la maniabilité de la moto ou des pneus et tout ça peut être fait très rapidement par rapport aux autres motos. Ca ressemble plus à une voiture de course à deux roues. Mais je pense qu'il y a un ou peut-être deux gros inconvénients. Premièrement, le châssis a toujours été conçu autour du moteur, au lieu d'avoir un moteur construit comme on le souhaiterait pour obtenir la configuration de châssis idéale. Deuxièmement, nous n'avons jamais fabriqué de pneus spécifiques pour l'ELF. Nous avons donc dû nous contenter de ce qui a été développé pour les motos ordinaires et c'était un gros problème. J'ai toujours dû utiliser un pneu diagonal à l'avant car le radial ne fournissait aucun avertissement en cas de glisse et cela nous a certainement beaucoup ralenti."

L'ELF5 n'aura roulé qu'une seule saison en Grands Prix 500
L'ELF5 n'aura roulé qu'une seule saison en Grands Prix 500

Un autre compromis s'est imposé lors de la conception du frein avant, après des problèmes de surchauffe sur l'ELF4 avec la position enveloppante du disque à l'intérieur de la roue avant. Cela a provoqué des déformations de disques et des performances loin d'être constantes. C'est à peu près la chose la plus terrifiante à laquelle on peut penser dans le monde des Grands Prix où il faut un engagement total et où l'on doit pouvoir freiner instinctivement et savoir que la réponse sera toujours constante et totalement effective. Les expérimentations avec la configuration des freins carbone d'AP-Lockheed n'ont pas solutionné le problème. Pour l'ELF5, l'équipe a eu recours à une paire de disques flottants en acier de 310 mm saisis chacun par un étrier à quatre pistons fabriqué spécialement par Nissin à la demande de Honda. Cela a assuré à Ron des freins fiables, tout en augmentant considérablement le poids non suspendu. Mais la morsure n'était toujours pas aussi forte que sur un bon frein de course moderne.

Après les problème de surchauffe de la version 4, Honda a commandé des freins spéciaux à Nissin pour l'ELF5
Après les problème de surchauffe de la version 4, Honda a commandé des freins spéciaux à Nissin pour l'ELF5

En selle

Construite autour du moteur V4 NSR qui amena Wayne Gardner au titre en 1987, l'ELF5 est néanmoins totalement différente de sa cousine Honda, pas seulement sur le plan visuel, mais aussi dans la position de conduite et la manière dont elle se pilote. Pour commencer, la position de conduite est plus extrême que celle de la NSR. On est conscient d'être installé bien plus en avant, avec le menton frottant pratiquement le moulage en magnésium du train directeur. Selon Ron Haslam, il s'agissait d'une évolution par rapport aux précédentes versions :

Sur l'ELF3 nous avons eu un problème de traction, même si elle se comportait bien. Cela faisait glisser la roue arrière trop facilement dans les virages. Mais sur l'ELF4, ils sont allés trop loin dans l'autre sens et on s'est retrouvé avec un problème de direction parce que le poids n'était pas au bon endroit. Donc sur l'ELF5 nous avons essayé d'équilibrer et à peu près réussi, même si cela signifiait déplacer la position de conduite plus en avant pour obtenir plus de mon propre poids sur la roue avant."

La position sur l'ELF5 est nettement plus en avant que sur la NSR500
La position sur l'ELF5 est nettement plus en avant que sur la NSR500

Ainsi, la répartition du poids statique est assez classique avec 53/47% sans le pilote. Le biais vers l'avant se montre bien plus important lorsque l'on chevauche l'ELF5.

Essai

Après un premier tour prudent, j'accélère un peu dans le second, mais pas assez pour que l'ELF se comporte comme je m'y attendais après avoir piloté autant de ses aînées. OK, si l'on n'est pas assez ferme ici, c'est la moto qui vous dit quoi faire. Ca ne se fera pas, a déclaré l'ELF qui m'a rapidement fait sous-virer hors de la courbe rapide de Signes à la sortie de la ligne droite du Mistral ! Heureusement, après avoir régulièrement couru au Paul Ricard au fil des ans, je savais que ce qui ressemblait à une surface lisse et peinte était en fait étonnamment adhérente. Donc pas besoin de paniquer pour l'instant, ce n'est qu'une surprise. La panique est venue quelques centaines de mètres plus loin, dans le gauche serré, après le Pif-Paf. Une trajectoire serrée est nécessaire ici. Il faut donc freiner tard et loin, faire basculer la moto et se préparer à ouvrir les gaz en grand. Seulement, l'ELF5 ne tournait pas correctement, m'envoyant à nouveau hors tracé avant que je ne réussisse à rattraper le coup et revenir sur la trajectoire normale. J'étais perplexe... et déçu.

L'ELF5 n'est pas facile a emmener dans les virages
L'ELF5 n'est pas facile a emmener dans les virages

Je retournais alors aux stands pour obtenir de précieux conseils de Ron Haslam :

Ne vous tracassez pas, elle sous-vire énormément. Vous ne pouvez pas vous précipiter dans un virage, aller loin, freiner tard et faire glisser la roue arrière pour vous aider dans un virage serré comme font aujourd'hui les autres motos de GP. C'est la façon dont les Américains roulent. Avec l'ELF5, vous devez la piloter à l'européenne et travailler sur l'angle d'inclinaison pour vous aider à prendre le virage. Car si vous essayez de la piloter comme une moto conventionnelle, elle semble lourde et ne répond pas. Vous devez prendre plus d'angle pour bien la faire tourner. Essayez de faire frotter le carénage et tout ira bien !

Ron Haslam (à gauche) était présent au Castellet pour prodiguer ses conseils
Ron Haslam (à gauche) était présent au Castellet pour prodiguer ses conseils

L'approche unique de M. Haslam semblait un peu intimidante. Mais je suis retrouvé à la suivre, au moins partiellement, sur quelques tours suivants. Et, bien sûr, ça a marché.

Il faut alors prendre son courage à deux mains pour attaquer cette courbe rapide à droite plus incliné et utiliser toute la piste pour entrer et sortir de manière très classique pour atteindre le point de corde comme l'aurait fait John Surtees. La direction de l'ELF devient alors neutre, bien que toujours lourde. En revanche, malgré l'empattement très court de 1.375 mm (pour un V4 !), l'ELF n'aime pas changer de trajectoire une fois engagée dans la courbe, ce qui dût faire souffrir Ron Haslam cette année-là lorsqu'il rattrapait les retardataires. Elle est stable, mais pas du tout agile, contrairement à l'ELF3 plus lourde mais à la direction plus légère qui semblait bien plus réactive et maniable. Cela explique le style unique que Ron Haslam a adopté cette saison là pour répondre aux exigences de la moto, prenant de longues trajectoires fluides et inclinant la moto plus que quiconque dans la catégorie 500 GP.

Même si la maniabilité s'améliore avec la bonne technique, la direction reste lourde
Même si la maniabilité s'améliore avec la bonne technique, la direction reste lourde

Ce que l'on obtient en échange de ce manque de maniabilité est une hyper-stabilité au freinage, un atout qui avait par le passé entraîné des problèmes dans son sillage. En raison de la géométrie de direction constante de cette conception à moyeu central, on peut freiner plus fort et plus tard avec l'ELF5 par rapport à n'importe quelle moto conventionnelle. Il suffit juste de se persuader que c'est vraiment possible. Ayant déjà piloté et couru de nombreuses machines de ce type, je n'ai pas eu besoin de me persuader autant que le gars qui m'a suivi, bien que je ne puisse pas prétendre avoir exploité les avantages de l'ELF aussi bien que Rocket Ron l'ait fait. Mais une fois que j'ai compris comment piloter l'ELF5, j'ai constaté que mettre la moto sur l'angle plus tôt qu'on le ferait avec une autre machine ne compromettait pas les performances de freinage, pour la simple et bonne raison que l'on peut freiner très fort tout en continuant à tourner, sans que la suspension ne cesse de fonctionner. J'ai remarqué comment Ron avait laissé une petite, mais notable, quantité de plongée avant au freinage pour se donner la "sensation" qui aurait autrement été manquante. Les motos à moyeu central ont une sensation de freinage curieusement absente si on ne le fait pas, donnant l'impression que les freins ne fonctionnent pas alors qu'ils agissent vraiment. Sur l'ELF5, ce "problème" a été éradiqué via une petite modification de la géométrie de direction (d'où le nom VGC).

Si le freinage est très stable, il manque d'un peu de mordant en comparaison des motos concurrentes de l'époque
Si le freinage est très stable, il manque d'un peu de mordant en comparaison des motos concurrentes de l'époque

Conclusion

Le rêve de créer ce que Serge Rosset appelait une "moto à la carte", une moto qui peut être facilement modifiée pour convenir aux goûts de tous ceux qui la chevauchent, a été réalisé avec cette moto. Il convient de noter qu'en 1988, l'ELF5 à moteur NSR de 1987 et Ron Haslam ont battu les temps au tour des NSR500 conventionnelles de 87 en utilisant le même moteur et les même pneus sur chaque circuit. En soi, cela justifiait l'affirmation de Rosset selon laquelle l'ELF5 était maintenant en mesure d'améliorer les performances des motos conventionnelles comparables. Dommage que le projet ELF se soit terminé au moment même où cet objectif était atteint !

L'ELF5 est la dernière d'une lignée qui sera finalement parvenu à atteindre ses objectifs
L'ELF5 est la dernière d'une lignée qui sera finalement parvenu à atteindre ses objectifs

Points forts

  • Stabilité au freinage
  • Réglages de la géométrie

Points faibles

  • Sous-vire
  • Agilité

La technique des motos ELF

Commentaires

kernel62

Toujours aussi fascinants ces tests de ces curiosités technologiques de l'époque. Merci.

19-06-2020 20:51 
 

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