Roadtrip : ma moto-école préparée rallye-raid

Le feuilleton de l'été Dijon-Camargue - Episode 2

Je prépare l'ER-5 pour rejoindre la mer par les Parcs nationaux. Jura-Vercors-Luberon-Camargue en une semaine. 700 bornes de routes à bonheur sur ma moto-école préparée "rallye-raid manouche".

J'aime beaucoup cette idée de partir sur une petite bécane à tout faire que je retape une semaine avant. Je m'amuse à imaginer coller sur le réservoir de l'ER-5 le nom de mon sponsor : les Huiles Decoude et leur célèbre slogan : "On n'est jamais mieux servi que par soi-même".

Je commence par une bonne toilette : eau chaude, savon et brosse. Vidange-filtre, huile de fourche -il était plus que temps- purge du réservoir d'essence pour éliminer les crassouilles boucheuses de gicleurs, du dégrippant dans les câbles pour récupérer un embrayage souple et une poignée de gaz légère, un coup de nettoyant dans les carbus (les câbles sont pénibles à dégrafer), une petite synchro -pas eu besoin de refaire le réglage. J'en profite pour changer le pneu avant à mes frais, une manière de remercier mon mécano pour le prêt de la moto.

Chasse aux trésors !

Je parcours la remise du bouclard à la recherche de pièces utiles. Une vraie chasse aux trésors, poussiéreux et souvent rouillés. Je m'amuse comme un petit fou : j'adore les casses. J'ai récupéré au fond de l'atelier un top-case qui a encore sa clef (!) et que je fixe au rack à l'aide de quatre vis après un coup de mèche à bois.

C'est un sacré privilège -en voie de disparition- d'entendre un patron de concession te répondre : "les joints sont dans ce tiroir. Tu notes les références de ce que tu prends, ok ? C'est pour mes stocks. Tu me régleras quand tu auras fini". Ou quand ce même patron se pointe par-dessus ton épaule pour regarder ce que tu fabriques et te dit : "tu t'emmerdes à faire ça comme ça. Attends, je vais te montrer".

J'ai bricolé un saute-vent "manouche" : deux supports de pare-brise chipés sur une épave de NTV, vissés sur les embases de rétros et trois mètres de film alimentaire renforcés par un flanc de bidon d'huile et du scotch. C'est moche, mais ça m'a coûté 80 centimes et ça soulage de la pression de l'air à peu près jusqu'au menton. J'ai presque envie d'y tracer au marqueur un "49" pour faire couiner les fans : mouarf !

Je fignole avec un coup de cire à carrosserie sur les plastiques et le réservoir, ce qui n'a pas dû lui arriver depuis au moins quinze ans ! La voilà (presque) toute pimpante après trois jours de bricolage à l'atelier. Je suis ravi. Un vrai môme le matin de Noël.

GSX-F "concours" contre ER-5 "truand"

Gérald, de son côté, se contente de quelques coups de clefs à droite à gauche par acquit de conscience sur sa GSX-F 750 '96. Autant l'ER-5 n'a pas été choyée, autant sa moto fait l'objet de soins attentifs. J'en veux pour preuve le renflement du carénage côté alternateur, très exposé en cas de chute même à l'arrêt sur les 4 en ligne air-huile de Suzuki : sur sa machine, pas un pet. Rarissime.

Motos et motards ne se choisissent pas par hasard : la GSX-F est à l'image de son propriétaire : fiable, simple et sans esbroufe. Moins énervée qu'une Gex', moins chic qu'une VFR, moins rare qu'une FZR, moins sérieuse qu'une K, moins exotique qu'une Paso : la Gixèfe est un juste milieu, avec ce double visage caractéristique des moteurs à carbus qui se conduisent soit jusqu'à 8.000 tours, soit jusqu'au rupteur.

Le Monorack, d'origine (!), ne présente qu'une soudure plus grossière que les autres, souvenir d'une casse de patte de support du côté de la Croatie il y a vingt ans. Le barda de Gérald tient à l'aise dans les trois valises : il ne s'encombre pas d'une sacoche de selle. La seule touche de modernité vient du support de GPS vissé sur le guidon à l'aide de rehausses. Au compteur, elle a 19.800 kilomètres, mais il y a un truc, bien sûr : il n'y a que cinq rouleaux, donc il faut ajouter un "1" devant.

Côte à côte, nos deux motos font les deux tiers d'un titre de film : le Bon et le Truand -je te laisse deviner lequel est lequel, entre sa GSX-F "je purge l'essence et elle rentre au musée historique Suzuki" et mon ER-5 "vous êtes venus dans cette casserole ?"

Un gamin pousse sa MT-07 dans l'atelier : il vient pour la révision des 12.000. Je me demande comment il nous voit, nous, les vieux ronchons et nos antiquités perchées sur des pneus de 130, avec nos freins sans ABS et nos compteurs à aiguilles.

Quelle sont celles, aujourd'hui, qui seront les ER-5 et les GSX-F de demain ? Quelles motos passeront l'épreuve du temps et perdureront au-delà des espérances des ingénieurs, au grand désespoir des vendeurs de motos neuves ? Dans trente ans, verra-t-on encore des MT-09 avec 160.000 bornes au compteur, des Z 650 "état concours" ou des GSX-S dont on s'étonnera qu'elles aient encore leurs pots d'origine ?

Mais trêve de mélancolie : demain matin, nous partons ! Première journée : traversée du Jura du nord au sud par les routes "blanches". Comme d'habitude, je sens que je vais mettre du temps à m'endormir ce soir, en repassant le film de mes préparatifs.

Cette pensée, la veille d'un départ, m'a toujours interloqué : demain, je dors ailleurs, dans un endroit que je ne connais pas.

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