english

Histoires et vies de motards

Une journée à Brno

Où l'on assiste au MotoGP et à ce que se passe autour.

Il faut bien le reconnaître, en préparant mentalement mon épouse aux vacances en République Tchèque, j'avais bien une petite idée derrière la tête.

Je n'avais jamais vu de Grand Prix. Javais fait les 24h du Mans, j'avais passé des heures devant Eurosport, mais jamais je n'avais trainé mes gommards dans les parages d'un vrai Grand Prix.
Il a donc fallu finasser, trouver un prétexte culturel (la plaine d'Austerlitz n'est qu'à 20km), mais au final, je n'ai pas été déçu. Pensez donc ! De Puniet qui met une « branlé » à Poggiali, en direct ! C'est beau !

Cependant, un GP, c'est toute une journée. Et une journée c'est long. Ca peut même être très long. En l'occurrence, ça a commencé deux jours avant. En arrivant. Sur l'autoroute.

Entre Pragues et Brno, il y a environ 200 kms. Et bin ceux là, je ne vais pas les oublier !

A peine parti le matin, me voici, sur la deux fois deux voies, paisiblement installé à 120 sur la voie de droite (chui chargé comme un baudet et chui pas pressé). Un couple d'allemand, peinardement posé sur son Hayabusa se tient à mes côtés. La route est toujours mieux à plusieurs. Jusqu'au moment où un abruti déboule à 180 POUR PASSER ENTRE NOUS ! ! ! ! ! Une Skoda (je sais m'sieur l'agent, ça va pas aider à le retrouver ici), genre berline, qui, sans prévenir, passe entre nous, lançée comme une balle. Sans s'arrêter, sans un regard, sans un scrupule, sans prévenir. L'allemand a été aussi choqué que moi !

Mais ce n'est pas tout ! (je vous avais dis que c'était l'aventure). A un peu moins de 80kms de Brno, dans une belle courbe à gauche en légère descente, un bus au loin. Je le vois mettre son clikos (en haut à gauche) et déboiter d'un seul coup ! Comme le ferait une moto ! Sauf que lui, il fait 20 tonnes ! Il tente, dans une poussée titanesque de dépasser une pauvre camionnette de maçon.

Ca, c'est pour le décors.

Parce que l'attraction du jour, elle, arrive derrière moi, à 180 (facile), sous la forme d'un break wolkswagen qui ne freine pas ! ! !
Et le voilà en train de piler comme un forcené, au cul du bus, le cul chassant dans tous les sens ! !
Je vous laisse imaginer la taille de mes yeux au moment où je le voyais déjà se faufiler (sur deux roues, sur !) entre le bus et la camionnette, juste avant que le bus ne se rabatte (faisant une queue de poisson à la camionnette au passage) aussi vite qu'il avait déboité

Est-il nécessaire de dire que j'ai préféré garder mes distances ?

Le camping que l'on avait trouvé est à Pasholavky. Notre recommandation pour « ceusss » qui voudraient y aller l'été prochain : oubliez.

Palavas les Flots. Période fin 70' début 80', ça exprime quelque chose pour vous ? Les beaufs en marcels tachés, les R12 avec les auto radios hurlants, la vaiselle à la pompe à eaux, les chiottes sans PQ ? Et bein Pasohlavky, c'est pire.

Au bout d'un quart d'heure ma femme voulait qu'on plie bagage. Il faut dire que les 4 blondasses estudiantines qui ont débarqué à nos côtés avec leur ghettos blaster hurlant de la techno tchéque sans plus se soucier de leur environnement ont sérieusement ébranlé notre enthousiasme.
Dans les minutes suivantes les touristes ont pu voir madame trottiner avec tous nos sacs dans les bras pendant que je la suivais sur la bécane, la tente repliée en vrac sur la selle arrière avec les cables et les piquets trainant par terre. Direction un coin plus calme, près des pécheurs (ce sont normalement des gens relativement silencieux).

Pourquoi sommes nous venus ici me demanderez vous ? Et bien en France, il faisait chaud. Il n'y a pas eu de morts ici, mais tout de même. Nous avions pris la carte et trouvé un camping près d'un lac.
Et c'est là que, stratégiement, se situe l'erreur. Vu que les bords de mer sont assez rares en République Tchéque, TOUT le monde se rue sur les bords de lac Pas d'bol.

Je passerais sur l'état (proche de l'insalubrité) des batiments, des « mobile-home », des douches (collectives, un rideau pour 3 douches, eau chaude payante) et des toilettes (au choix : batiment dur ou tole ondulée, PQ parfois, mais portes qui ne ferment pas).

Le lendemain samedi, tentant de prendre les choses par leur bon côté (aprés tout, ce sont les vacances), direction l'alibi culturel.

Ne cherchez pas Austerlitz sur la carte. C'est le nom germanisé de Slavkov, à 20 km à l'est de Brno.

Nous y sommes allez sans vraiment nous attendre à voir quelque chose. Surtout histoire de dire que nous y sommes allés. Arrivés sur place, on gare la moto et on se balade dans le centre de la petite ville. Rue principale pavée, les mêmes façades que partout ailleurs. Tout en haut, un vieux chateaux 19e. Arrivé à l'entrée, ma femme lache : « Oh ! une Kermesse !» Et quelle kermesse : nous somme tombés au beau milieu du « Grand Prix d'Austerlitz » (en français dans le texte), tournoi majeur de pétanque en Cesky ! Ca ne s'invente pas ! Dans la cour du château où Napoléon a passé quelques nuits, une centaine de compétiteurs s'afffontent le plus sérieusement du monde.

Sur le coup de midi, une petite faim. Arrivé devant la camionnette du vendeur de poulets rotis, ma femme me demande benoitement : « Comment on dit quart-de-poulet en tchéque ?
- T'en as de ces questions toi !
- Mais j'ai faim !

Moi aussi, c'est pas pour autant que je sais commander deux quarts-de-poulet. T'as qu'a mimer la poule. » Je sors mon petit dico dans l'espoir d'y trouver une réponses sustentatoire. Et là, une voix à coté de moi : « Tu veux un coups de main ? » En bon français, avec un léger accent.

Le grand gaillard qui nous a aidé à commander notre pitance est tchèque. Banquier de son état, membre de l'équipe nationale tchéque de pétanque. Et s'il parle aussi bien le français, c'est qu'il est pote avec Jean, retraité de la RATP (30 ans de bus à la Bastille), corse d'origine, mais passant, depuis 10 ans, 6 mois de l'année Prague, « où il fait moins chaud qu'en Corse », à cause de son cœur
Et comme il est corse, la pétanque, pour lui, c'est dans les gênes. Et comme il a joué pendant très longtemps avec ladite équipe nationale, il a fini par y être intégré en tant que pointeur.
Au championnat du monde à Grenoble, ils ont fini 5eme

Pour en rajouter une couche, avec eux se trouvait un autre gars. Dans sa jeunesse, il avait été étudiant à Paris avec celle qui allait devenir la femme de l'actuel président tchéque Vaclav Avel. Un samedi, nous raconta-t-il, avec cette (future) dame et d'autre pote, ils ont fait, en side-car, la route de Paris à Prague, de nuit pour assister à un concert rock underground, puis rentrer.
J'étais aux anges.

Et il y a la deuxième grosse surprise de cette journée : la reconstition. A l'occasion du Grand Prix d'Austerlitz, une reconstitution napoléonienne avait été organisée. Une centaine de bonhommes en costumes, des grognards français au Coalisés autrichiens et russes se sont joyeusement tirés dessus pendant une heure et demie, à coup de fusil et de canon ! Et une canonade en centre ville, c'est puissant ! Je ne m'étalerais pas dessus. Il faut le vivre, être au milieu des Cosaques qui chargent, des artilleurs qui chargent (avec des ordres donnés en français pour les napoléonniens !) pour vraiment gouter ce moment là.

Je vous le recommande. Et d'ailleurs, pour le bi-centenaire de la bataille, autour du 2 décembre 2005, elle sera entierement reconstituée, avec plusieurs dizaines de milliers de soldats en costumes !

Le samedi soir, les motards étaient arrivés en masse. Un Slovaque, arrivé en voisin, me disait qu'il n'habitait qu'à 25O kilometres du circuit. Avec son pote, tout les deux sur la ZX9R, ils cherchaient un coin où poser leur sac de couchage. Tranquilles.
Sur l'autoroute qui va de Vienne à Brno, qui passe sur l'autre rive du lac au bord duquel nous étions, toute la nuit ce fut un défilé de machines, reconnaissablent aux fins pinceaux de leur phares et à leur échappements libres. Les twins grogneurs, les 4-pat' ronronnants. Même des mono en rages ! Quelque part, l'ambiance était en train de changer.

Dans le camping, en plus des traditionnels modèles locaux aux allures antédiluviennes, sont apparus des VFR, des R1100, des R1 Le GP commençait.

Le dimanche sur les coups de neufs heures, on attaque la nationale jusqu'à Brno. Un coup d'échangeur bizarre (à la mode tchéque quoi) et l'autoroute.

Là, il commence à y avoir du monde. Des voitures surtout. Mais en arrivant à un ou deux kilomètres de la sortie pour le circuit, c'est un vrai bouchon digne du périph' parisien. Ne sachant trop comment me comporter en telle circonstance (je ne suis pas chez moi), j'hésite à doubler jusqu'à ce que je vois un autrichien en Ducati passer devant tout le monde sans le moindre scrupule. Je lui colle immédiatement à la roue. Il est sans bagage. Donc, il ne doit pas venir de loin, donc, il doit connaître. D'autant plus qu'avec sa combarde capirossi réplica, il a l'air d'être un aficionado.
C'était le bon plan, il me conduit comme une fleur jusqu'au parking, slalommant tranquillement entre les files de voitures gracieusement stoppées par les forces de polices. Si en France, les uniformes sont plutot à craindre, ici, elles font en sorte que les motos puissent passer rapidement et sans risques dépaysement !

Le parking est payant et cher (déjà pour nous, alors pour les gens du coin) 100FF. Mais c'est l'assurance de retrouver sa machine en un seul morceau à la sortie. Puis, comme la direction n'est indiquée nulle part, nous suivons la foule au travers des bois pour rejoindre l'entrée du circuit. Dans ces bois, nous verrons des allemands, ayant planté leur tentes là, avec leur drapeau (1m sur 2) accroché aux arbres pour bien marquer leur territoire. Là, pour moi, ça coince un peu. Et rien au cours de cette journée ne pourra faire changer cette impression de malaise.

L'entrée du circuit ne fait pas particulierement riche. Mais on n'est pas venu pour admirer l'architecture bétonnière. Dans le bordel ambiant, nous prenons nos billets et nous longeons le grillage, par l'extérieur, toujours dans les bois, pour rejoindre nos places dans les « tribunes ». En fait de tribune, ce sera la pelouse brulée par le soleil du talus face à la sortie du « S ».

Il est à peine 10 heures passées et la foule s'avance tranquillement. Les gens se posent. Certains sont déjà là depuis un bon moment si l'on en juge par l'organisation mise en œuvre pour avoir leur minimum de confort. Les plus prévoyants, sont arrivés avec la chaise pliante de plage et la petite pelle militaire (pliable également) pour creuser la tranchée dans laquelle glisser les pieds arrières dudit siège, permettant ainsi de ne pas basculer vers l'avant en dépit de la pente sévère. Car même par temps sec, bon nombre se seront retrouvés les quatre fers en l'air pour avoir glissé sur cette herbe traitresse autant que pentue.

On est là, posés, assoupis, profitant de l'air du temps. Et autour de nous, ça se remplit. **1 En fait, les heures passent et de plus en plus de monde circule sur l'allée au dessus de nous.Il y a de tout. Des jeunes, des vieux, des hommes, mais aussi beaucoup de femmes, de tous âges. Des motards acharnés arrivés en combardes complètes, des automobilistes venus en famille (avec la grand mère !). une foule bigarrée qu'on ne se serait pas attendu, en France, à voir à un Grand Prix moto. Ici, plus que la moto, c'est la mécanique et la compétition que les gens sont venus célébrer. Toutes les nationalités se côtoient, avec plus ou moins de bonheur, plus ou moins de mélange. Des groupes se forment : les supporters des uns et des autres (le fan-club d'Olivier Jacques était présent), les groupies et clubs en tous genres, les groupes nationaux aussi.

A leur tête, d'ailleurs, avec une écrasante majorité, les Allemands. Je vous disais tout à l'heure que pour moi ça avait coincé en voyant leur « campement » dans les bois autour du parking. Rien au cours de cette journée ne viendra démentir cette impression. Au final, mon appréciation (toute personnelle et ne concernant que moi) de la population teutonne a été sérieusement revue à la baisse.
Déjà, au court de notre voyage, pas mal de gens ne nous en avait pas parlé en bien. Français (beaucoups), Italiens (quelques uns) nous ont tenu un discours peu flatteur de la population d'outre-rhin, ayant tendance à se considérer en territoire conquis en RépubliqueTchéque, à se montrer, si ce n'est raciste (et pourtant) du moins condescendant. En tout cas, ils ont fait preuve, durant tout notre séjour, d'un manque de respect des plus abjectes. On peut critiquer, à juste titre, le comportement des français à l'étranger. Mais rien, dans tout ce que j'ai pu en voir à ce jour (et je voyage beaucoup) ne ressemble à l'horreur que j'ai pu voir ce jour là sur le circuit. Des monceaux de détritus lancés dans l'herbe, des gobelets de bieres laissés à l'abandon n'importe où. Il en faut beaucoup pour me choquer, mais là, j'étais tout simplement outré ! Juste devant nous, trois bon gros germains rougeaux, la moustache, la casquette et les lunettes de vue qui s'assombrissent au soleil, ont picolé toue la journée. Dés que le gobelet de bière était fini (un demi litre ! et il y en eut beaucoup), ils les lançaient dans la foule devant eux, en s'en foutant royalement ! Pour l'alimentation c'était pareil. Les détritus étaient jetés dans l'herbe, pour s'en débarasser, sans un regard autour pour trouver une poubelle (il y en avait pourtant). Les Allemands passent pour être très propres et écologiques. La réflexion générale de tout ceux avec qui nous en avons parlé était qu'ils se donnaient cette image très propre. Que c'était peut être vrai chez eux, mais qu'à l'extérieur, ils se comportaient de la pire manière qui soit.
Une bien mauvaise image qu'il me sera difficile d'oublier tant j'ai été outré par leur comportement. Les camping des 24 heures du Mans ont l'air propres à côté de l'état dans lequel ils (et d'autres aussi, ne nous leurrons pas) ont laissé le circuit.

Et la course me direz vous ?

Et bin c'était chouette ! Certes on était un peu loin, certes, on ne voit pas tout (c'est pas eurosport), mais ça valait le déplacement.
Pour les 125, rien à dire de particulier. Il ne s'y est pas passé grand chose de véritablement notable (pour nous du moins). Un bruit de moustiques en cavales, des mobylettes bariolées dans le lointain. Le spectacle n'était pas vraiment là.

C'est avec les 250 que ça a commencé à être beau.

En 250, il y avait Poggiali et De Puniet. C'était beau, vous dis-je. Nous étions donc à la sortie du « S » et là, beaucoup de choses se passent. C'est juste après la « parabolique », juste avant le premier grand bout droit et là, ils passent limite au pas.
On n'a pas été déçus. Pendant 40mn, De Puniet et Poggiali ont joué au chat et à la souris. Un coup devant, un coup derrière, de la belle attaque genou par terre, la tête dans la bulle. De la hargne palpable, de l'adrénaline qui transpire, une envie furieuse de tourner soit même la poignet de gaz !
Mais il faut dire que nous avons été aidé. Devant nous, quatres italiens se sont posés, dont un avec le tee-shirt « joe bar team ». Avec eux, c'était Hollywood ! On les imagine brailleurs, parlant avec les mains, mauvais joueurs, bref, en tiffosi. Bingo, on n'a pas été déçus non plus !
Il y avait un petit teigneux (absent au moment de la photo). Torse nu, petit, basané, le point dressé, il harangait tout ce qu'il pouvait Poggiali ! Il fallait le voir hurlant ses encouragements, beuglant en italien, se retournant pour prendre ses comparses à témoins !

A coté de moi, Madame avait les yeux écarquillés. « J'vais m'le faire l'italien !! », me lançe-t-elle avec un sourir à faire pleurer les anges. Au tour suivant, Une tache jaune pointe en tête à l'entrée du « S ». C'est De Puniet ! Madame se lève et hurle : « Vas-y Randy ! Fout la branlée à Poggiali !! » Stupeur dans le rang de devant
Au tour suivant Poggiali a repris la tête. Notre quatre latins répondent en hurlant de plus belle, motivant leur idole, pendant que Madame en rajoute une couche. Le petit teigneux se rassoit, content de lui, fier comme un coq.
Au tour suivant, nouvelle révolution en tête. De Puniet ne lâche pas l'affaire. Nous non plus. Avec madame je me lève et encourage encore et toujours le petit français. Autour de nous, les gens, de toute nationalités, ont compris l'enjeu du mini-drame qui se joue sur les quelques mètres carrés que nous occupons, les italiens et nous. Quelques regards soulignés par des sourires, quelques rires et tout le monde autour de nous se joint à nous pour encourager le petit « privé » qui dame le pion au pilote « usine ». C'est une vague qui se soulève et applaudit à la performance de De Puniet. Devant nous, c'est la catastrophe, l'apocalypse, un drame nationale ! Ils sont tous les quatre debout, agonisant, hurlant leur incrédulité devant cet affront ! Le petit teigneux se lâche : gueulant après la Madonne, le voilà tapant du poing par terre, faisant de grands gestes en direction du circuit, prenant ses comparses à témoins et tapant derechef par terre, au comble de la rage !
On en aurait pleuré de rire.
La fin de la course fut sur le même thême. De Puniet ne céda rien. Nous non plus. Autour de nous, la foule suivait nos encouragements et nos applaudissements.
De Puniet passe pour son tour d'honneur et s'arrête devant nous. Un drapeau tricolore lui est confié, toute la tribune est debout. Toute ? Oui, toute. Même nos quatres ialiens sont debouts. Car ce fut une belle course. Il y avait de la sueur, de la rage, de la poignet dans le coin, de la grosse attaque et on était tous venus pour ça.
En se rasseyant, l'un des quatres se retourne vers nous et nous fait un immense sourire. Lui aussi s'est bien amusé. Ce n'était qu'une course et nous avons tous joué le jeu. Rien de grave au fond, aucune animosité. Juste le plaisir d'avoir participé ensemble à un grand moment de sport,d'avoir communié aux sons des mégaphones turgescents.
C'était une belle course. Un grand moment.

A coté de cette course là, celle des motoGP a paru un peu fade. Et pourtant.

Et pourtant, Il y a de quoi être marqué. Qui n'a jamais été voir les gros 1000 4-temps tourner n'a aucune idée du son de ces machines.

Si avec les 250, le bruit de moustique des 125 s'était mué en un hurlement transpirant les watts, en motoGP une frontière a été franchie. Là, on vit avec le moteur. Son souffle est votre souffle. Vous ravalez votre salive à chaque fois qu'il grogne, change de rapport et puis, à l'entrée de la ligne droite vous inspirez avec lui, instinctivement. Vous aspirez de l'air autant que lui, vous le sentez déclencer un cataclysme de puissance déferlante. Car là, il hurle tout ce que ses bieles lui permettent. Vous montez avec lui en zone rouge, vous sentez le grondement des multicylindres en pleine fureur, catapultant leur pilote à l'autre bout de la ligne droite dans un vacarme de décollage de fusée.
Et c'est bien de ça dont il s'agit : des fusées en plein décollage ! Des missiles propulsés par un débordement de colère mécanique. Les vibrations sont omniprésentes, dans l'air, sur le sol ! il faut hurler encore plus fort pour se faire entendre de ses voisins.
Il n'y a plus de tensions dans la foule, elle est carrément obnubilée. Subjuguée par ces quelques secondes sysmiques du passage de ces hordes de mustangs enragés sous nos fenêtres. Mais la passion est toujours là.
Les rôles ont changé. A qui reconnaît-ont les allemands sur les grands prix ? Ils sont, majoritairement pour le meilleur (c'est plus facile), donc pour Rossi, à l'image de ce jeune couple devant nous. Les alliances changent. Nous prenons le parti, avec les quatres italiens bien esseulés, de Ducati contre Rossi. Car là encore tout y est pour un grand moment, un superbe drame antique : le vainqueur habituel, écrasant tout le monde de son arrogante supériorité : Rossi et sa Honda ; et les petits résistants, les petits derniers dans le milieu : les Ducat' ! Les cœurs palpitent, les regards se fixent pour ne pas en manquer une seconde. Et il n'y a, là encore, pas de quoi être déçu.
Je ne sais plus qui a gagné ce jour là et je m'en moque. Moi, j'ai vu une Honda à la peine, une Ducat' enfiévrée, un Rossi qui se dépouillait pour recoller et un Capîrossi qui mettait gros gaz sur gros gaz. Ok Rossi est limite un dieu vivant du pilotage. Mais au final, c'est si facile pour lui. Alors, que vaut-il pour nous face à la hargne et l'attaque d'un Capirex qui ne veut rien lâcher ? Ok, les RCV sont plus rapides. Mais les Ducat' sont tellement plus puissantes ! Il fallait la voir coller un boulevard à la japonaise à la sortie du « S » ! Une puissance à arracher le bitume, une accélération implacable, un raz de marée que rien ne peut arrêter !Une légende en marche ! Et derrière, une Honda qui ne peut pas garder l'aspi', qui soudain semble aussi fluette et anémique que feu les 500 faces à elle-même !
Je sais bien qu'au final, au bout de la ligne droite, la RCV a regagné le terrain perdu. Mais ce grondement sourd de tremblement de terre à chaque fois que la Ducat' remettait les gaz à enterré la Honda. Aussi performante soit-elle, c'est le cœur qui parle. Pour tout le monde ce jour là, La Moto était rouge.
Ou verte. Car même si les Kawa ne brillent pas par leur résultat, entendre ce moulbif là devenir hystérique à la lumite du rupteur ça fait toujours plaisir.

Vous dire comment on se ressent après ça serait difficile. Il avait fait très chaud toute la journée (mais alors TRES chaud). Nous autres, pauvres franchouillards étions les seuls à nous enduire de crème solaire (tout le tube y est passé). Il y avait autant d'ombre que d'indulgence au pied d'un radar automatique. On avait la tête farcie de décibels, le cœur tremblant encore des vibrations de l'air. Bref, on était claqués. Mais on était bien.

La remontée le long de la piste fut moins joyeuse. Les allemands, je vous l'ai dit, étaient arrivés en masse. J'ai eu honte de ce que j'ai vu. De l'état dans lequel ils ont laissé le circuit, de les voir arracher le grillage pour sortir sans avoir à faire de détour. Bref, de tout un comportement incompatible avec l'esprit sportif, incompatible avec l'image de la moto telle que nous nous l'avons dans l'hexagone. Vous voyez dans quel état est le circuit Buggati et ses environs au bout des trois jours de concentration pour les 24heures ? Et bien là, c'est la même chose. Sauf qu'il ne leur aura fallu que quelques heures pour en arriver au même résultat

Pour repartir, même topo que pour arriver. Des hordes de voitures encombrantes canalisées par des policiers bienveillants pour permettre aux deux roues de s'échapper par paquets de la petite forêt qui borde le circuit. Tout le monde est calme. Personne ne crie ou s'impatiente. Des voies sont coupées. Même sans parler la langue, les policiers nous font comprendre que l'on peut prendre telle ou telle voie à contre sens pour rejoindre plus vite l'autoroute et ainsi dégager au plus vite les lieux. J'étais tellement sur mon nuage, qu'on s'est tiré la bourre avec un CBR sur une dizaine de bornes, jusqu'à Brno. Juste comme ça, juste pour rouler, juste pour profiter du vent et du peu de marge de liberté qu'il reste encore dans ce pays.

Demain nous reprenons la route.

Papy dit R-One - 2004

Vous avez aussi une aventure à raconter ? Ecrivez la moi et je la publierai :-)