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Histoire constructeur : Sanvenero

Une ascension aussi fulgurante que sa chute

Au cours des années 1970 et 1980, de très nombreuses et très petites structures italiennes se sont lancées à l'assaut des Grands Prix moto avec l'objectif de performer dans les petites catégories ou face aux ogres japonais. Parmi elles, Sanvenero a connu une ascension fulgurante vers le succès, allant même jusqu'à s'imposer dans la catégorie reine avant de disparaitre définitivement quelques mois plus tard. Retour sur une carrière éclair.

Histoire constructeur : Sanvenero
Histoire constructeur : Sanvenero

Le fondateur de l'équipe était le magnat de l'immobilier Emilio Sanvenero, un promoteur originaire de Ceparana, un village près de La Spezia où a grandi le champion du monde 500GP de 1981, Marco Lucchinelli. Sa société Sanvenero Construzioni était basée plus au sud à Follonica, près de Grosseto sur la côte ouest de l'Italie, d'où ce nom sur le badge de réservoir de ses premières motos.

Sanvenero recherchait la notoriété. Il participe ainsi au Grand Prix de France 1979 au Mans et devient principal sponsor pour la MBA 125 factory de Pier Paolo Bianchi, sacré en 1980. Mais avoir son nom sur un carénage ne suffisait pas à Emilio : il voulait imiter le créateur de MBA, Giancarlo Morbidelli, en remportant des courses avec sa propre moto et son nom dessus.

Bianchi sur la MBA 125 de 1980 sponsorisée par Sanvenero
Bianchi sur la MBA 125 de 1980 sponsorisée par Sanvenero

C'est ainsi que le 1er septembre 1980, avant même que Bianchi ne décroche son troisième titre mondial, le riche sponsor monte sa propre équipe sans regarder à la dépense. Il emmène avec lui une grande partie du staff de l'équipe MBA, dirigé par l'expert en moteurs Giancarlo Cecchini, un ancien mécano de Benelli qui avait accompagné Kel Carruthers dans la course au titre 250 en 1969 avant de passer aux deux-temps avec un certain succès. Bianchi et Paolo Pileri avaient tous deux remporté des titres sur les MBA préparées par Cecchini et, bien des années plus tard, c'est lui qui fut l'ingénieur de course d'Andrea Dovizioso lors de son sacre mondial en 125 de 2004 sur une Honda. Étant donné que toute l'équipe y vivait, Pesaro est un choix naturel pour l'installation de la nouvelle usine Sanvenero de 2.000 m² construite pour abriter le département de course, avec un atelier bien équipé, un bureau de design et un banc d'essai alors rare. La situation était en opposition totale avec les ateliers souvent exigus et les conditions relativement primitives dans lesquelles opéraient alors tant d'équipes italiennes.

Le premier choix d'Emilio pour le pilote de l'équipe portait sur Angel Nieto, mais il ne pouvait pas partir loin de Minarelli. Le choix suivant s'est donc porté sur Bianchi, mais MBA a égalé l'offre de Sanvenero et conservé son pilote.

Vainqueur des deux dernières courses de la saison 1980 et vice-champion du 125 GP cette année-là sur Motobécane, le Français Guy Bertin était le troisième sur la liste de course de Sanvenero et les millions de lires offerts, plus la chance de passer à la catégorie 250 lui ont suffi pour décliner une offre similaire de la part de la toute nouvelle équipe Pernod. À cet égard, Sanvenero se distinguait des autres propriétaires de teams italiens de l'époque qui mettaient pour la plupart l'accent sur des coureurs locaux. Lui a simplement choisi les meilleurs hommes pour cette mission.

L'iconique livrée zébrée des premières Sanvenero
L'iconique livrée zébrée des premières Sanvenero

Sanvenero a décidé très tôt de développer son équipe dans deux catégories : une 125, grâce à l'expérience de son équipe chez MBA qui représentait sa meilleure chance de succès dans la catégorie et une 500. Pourquoi s'embêter à rivaliser avec la puissance de Yamaha, Honda, Suzuki et Kawasaki dans la catégorie reine des Grands Prix ? Parce qu'à l'époque, bien avant les chaînes sportives d'aujourd'hui, la télévision italienne ne diffusait que les GP 500 et Sanvenero voulait que son nom soit mis en lumière pour promouvoir son empire de l'immobilier. C'est l'une des raisons du choix des rayures zébrées du carénage de ses sportives. La plupart des Italiens n'avaient pas encore de télévision couleur à l'époque et ses motos se démarquaient davantage de cette façon ! L'autre raison était qu'Emilio était un grand fan de l'équipe de football de Turin, la Juventus, qui arbore des rayures noires et blanches. D'où aussi la tête de zèbre sur le logo de Sanvenero, car c'était l'emblème de la Juve dans les années 1980.

Les travaux ont d'abord commencé sur la 125 en utilisant un moteur MBA remanié créé en 1979 comme base de sa conception. Ce moteur avait été mis de côté par sa direction qui avait préféré conserver le bloc existant, croyant à juste titre pouvoir encore gagner des titres sans dépenser plus d'argent. Ceci a permis à Cecchini de faire tourner le moteur Sanvenero 125 dès janvier 1981. Deux mois plus tard, Guy Bertin prenait le départ du Grand Prix d'Argentine, le 22 mars, au guidon de cette toute nouvelle moto zébrée.

Malheureusement il a dû abandonner après deux tours suite à des problèmes de vilebrequin. Deux autres abandons suivront en Autriche puis en Allemagne. Mais le 10 mai, lors du Grand Prix d'Italie sur l'Autodrome de Monza, moins de deux mois après les débuts en GP, Bertin mène la Sanvenero 125 à la victoire dans une course flag-to-flag disputée sur le mouillé, terminant même 21 secondes devant la Minarelli de Loris Reggiani. Emilia Sanvenero n'était pas là pour le voir, parce que la Juventus jouait à domicile contre l'Inter Milan ce jour-là !

Bertin lors de sa victoire à Monza en 1981 sur la 125
Bertin lors de sa victoire à Monza en 1981 sur la 125

Dès la manche suivante au Mans, Bertin termine second à seulement cinq secondes d'Angel Nieto, une performance qui mettait en évidence le package très compétitif de la Sanvenero, permettant au Français de terminer 6e du championnat 125 de 1981. Pour les quatre dernières courses, il est rejoint par un ancien de MBA, le double Champion du Monde 50 cm3 fraîchement couronné Ricardo Tormo. Après avoir terminé devant Bertin en Espagne lors du doublé 1er/2e, il s'engage à plein temps pour la saison 1982 aux côtés de l'argentin Hugo Vignetti, 10e du classement 1981 et apportant avec lui un sac plein de pesos de sa fédération locale. Bertin se retrouve hors course en 125, mais avec son contrat de deux ans, est "promu" dans l'équipe de GP 500 pour 1982 aux côtés de la nouvelle recrue Michel Frutschi. A ce moment-là, le projet de 250 avait en effet mordu la poussière.

L'accent mis dès le début sur la compétitivité de la 125 avait poussé Sanvenero à mettre de côté l'aventure 500GP en 1981. Le pilote Carlo Perugini avait impressionné la saison précédente en terminant quatrième du GP d'Italie à Monza sur la RTM 350, une autre création Made in Pesaro à distribution rotative. Mais il a dû attendre avril 1981 avant que la toute nouvelle moto de Cecchini soit prête à rouler. Bien que les travaux de conception aient commencé en octobre précédent, le moteur carré à 4 soupapes n'a tourné sur le banc pour la première fois que le 1er avril, avant d'être finalement installé dans le châssis le 23 avril, la veille du début des essais pour le premier GP de la saison en Autriche. Après avoir démarré la moto complète pour la première fois à 5 heures du matin le jour des essais (je parie que c'était une décision populaire !), l'équipe Sanvenero n'est sans surprise pas parvenue à qualifier sa moto parmi les plus de 40 machines inscrites.

Carlo Perugini sur la Sanvenero 500 en 1981
Carlo Perugini sur la Sanvenero 500 en 1981

Par la suite, les progrès ont été très lents, car l'enchaînement rapide de Grands Prix accaparait le R&D. Mais peu à peu, les premiers problèmes, en particulier celui de l'allumage, ont été réglés et la nouvelle 500 italienne est parvenue à se qualifier régulièrement dès le GP de Belgique. Pourtant, Perugini n'a terminé que deux courses, avec une 19e place en Yougoslavie et une 23e place à Silverstone, bien que le quatre cylindres Sanvenero ait battu une autre nouvelle italienne 500, la première Cagiva C1 pilotée par Virginio Ferrari, avec son innovant (farfelu ?) quatre cylindres en ligne.

La Sanvenero 500 dans l'atelier de l'équipe en 1981
La Sanvenero 500 dans l'atelier de l'équipe en 1981

Proche de la Suzuki RG500, la Sanvenero 500 présente cependant des différences notables au niveau du moteur, de la transmission et bien sûr du châssis, avec un cadre spécialement concocté par Cecchini pour la saison 1982.

La signature du privé suisse Michel Frutschi pour 1982 a coïncidé avec l'arrivée de Francis Batta en tant que directeur d'équipe - oui, le même homme qui deviendra plus tard une figure de proue du World Superbike avec l'équipe Alstare. Batta avait auparavant dirigé l'équipe Suzuki en difficulté de son compatriote italo-belge Serge Zago, dont les anciens pilotes Virginio Ferrari et Mike Baldwin ont été laissés pour compte après l'échec d'un accord de sponsoring des casques Bieffe. Après la fermeture de l'équipe Zago à la fin de 1981, Batta s'est arrangé avec Emilio Sanvenero pour reprendre l'ensemble de ses activités moto, y compris la construction de ce qui devait être une 50 compé-client réplique du twin 125, même si seulement une vingtaine de ces motos à cadre en acier ont été fabriquées. Il n'y avait pas encore de plans pour une production 500, mais une autre année de développement et, espérons-le, le succès pourrait peut-être changer ça. Après tout, une douzaine de motos zébrées rendrait tellement mieux à la télévision qu'une seule... !

En 81, le développement de la 500 a été mis de côté
En 81, le développement de la 500 a été mis de côté

En fait, Batta a curieusement changé la livrée zébrée distinctive des motos en faveur d'un schéma de peinture technicolor plus banal, soi-disant en vue du sponsoring avorté de Bieffe, laissant Emilio Sanvenero continuer à financer le fonctionnement de l'équipe entière à partir des ressources de son entreprise de construction. Cette nouvelle livrée a habillé un modèle 125 très révisé, maintenant avec un cadre plus léger en aluminium à tubes carrés plus rigides, qui a permis à Tormo de prendre la deuxième place lors de ses débuts en Argentine, le premier de ses quatre podiums de la saison 1982, culminant avec une victoire à Spa-Francorchamps. Cela lui a permis de se classer cinquième au championnat, un point et un place derrière Pier Paolo Bianchi sur ce qui était à l'origine censée être une compé-client à cadre en acier, après que MBA se soit retiré de la course au dernier moment, le laissant avec un camping-car de luxe, mais sans moto pour la saison à venir. Batta l'a désigné comme un "client spécialement pris en charge", ce qui signifie qu'il a reçu dès le départ une nouvelle moto à cadre en alliage, sur laquelle il s'est offert 5 podiums, mais aucune victoire pour finir 4e de cette saison où Vignetti, 11e du général, n'est parvenu qu'à monter sur le podium du GP de France.

Cette fois-ci, l'accent mis sur les 125 n'a pas nui aux 500, avec trois motos, une pour chaque pilote plus une de rechange à partager, construites avec un tout nouveau cadre en chrome-molybdène visant à résoudre les problèmes d'adhérence et de stabilité dont Perugini s'était plaint tout au long de la saison précédente, tout en lui permettant de mieux piloter. Avec un angle de chasse de 27° alors serré pour la même fourche Forcella Italia et un empattement légèrement plus court de 1.390 mm, Frutschi préférait la maniabilité de la moto italienne que celle de la TZ500 Yamaha, bien qu'il trouvait un manque dans l'accélération, peut-être à cause du poids.

Guy Bertin sur la 500 lors GP d'Assen 1982
Guy Bertin sur la 500 lors GP d'Assen 1982

Après que lui et Bertin aient terminé leur premier GP en Argentine aux 16e et 19e places, la troisième manche du championnat les a amenés à Nogaro pour le Grand Prix de France. Là-bas, une manifestation de masse contre les conditions dans le paddock, ainsi que la surface cahoteuse de la courte piste de 3.120 mètres a vu les 15 pilotes d'usine du 500 GP refuser de courir, laissant 23 pilotes privés disputer le GP de France sans eux. Après s'être qualifié en première ligne, Frutschi a suivi le poleman Jean Lafond sur sa Suzuki à cadre Fior construite dans l'atelier de l'équipe à Nogaro jusqu'à sa chute dans le 11e tour. Par la suite, le Suisse a puisé dans ses compétences d'ancien coureur d'endurance pour franchir en premier le drapeau à damier avec neuf secondes d'avance sur le local Franck Gross sur Suzuki et Steve Parrish, troisième sur Yamaha. Il s'agissait de la première victoire d'une moto italienne dans la catégorie reine depuis 6 ans et la dernière victoire d'Agostini sur MV Agusta au GP d'Allemagne 1976. Bertin a quant à lui abandonné.

Cette heureuse victoire a marqué le début d'un cycle constant d'améliorations, Frutschi se qualifiant 13e pour le GP d'Espagne suivant, avant d'abandonner alors qu'il occupait la 11e place devant certaines motos d'usine japonaises. Une semaine plus tard, sur les terres de l'équipe à Misano, il s'est qualifié 12e pour le GP d'Italie, mais à chuté à mi-course alors qu'il était neuvième. Au Dutch TT d'Assen, il s'est qualifié 8e et à rouler en 10e position jusqu'à la mi-course avant de reculer pour finir 19e. Mais lors du GP de Belgique la semaine suivante à Spa, le pilote suisse a finalement obtenu le résultat qu'il méritait en terminant 9e devant la Yamaha d'usine de Marc Fontan et la Honda NS500 de Ron Haslam. Guy Bertain finissait 14e, lui aussi après une succession d'abandons.

Frutschi au GP d'Assen 1982
Frutschi au GP d'Assen 1982

Cependant, à présent, les nuages commençaient à s'étendre de plus en plus sur l'équipe Sanvenero, avec de plus en plus de discussions avec les fournisseurs non payés, ainsi que les salaires en attente de l'équipe, y compris des pilotes. Les problèmes de trésorerie découlaient d'un ralentissement de l'activité principale de construction d'Emilio Sanvenero, ce qui l'a amené à rechercher un acheteur pour son équipe de course. Les discussions de rachat prolongées avec nul autre qu'Alessandro de Tomaso, alors propriétaire du voisin de Sanvenero à Pesaro, Benelli, ainsi que de Moto Guzzi, ont échoué.

Après ce qui s'est avéré être sa dernière course pour l'équipe en Suède, durant laquelle il a abandonné quand Frutschi a terminé 12e, Guy Bertin a obtenu du tribunal de Pesaro de mettre la main sur le camion de l'équipe. Pour assister à la dernière manche de la saison en Allemagne, Frutschi a donc été contraint d'emprunter le petit camion de Pier Paolo Bianchi, dans lequel il a installé deux de ses trois Sanvenero 500 GP et suffisamment de matériel pour le week-end d'Hosckenheim. Mais bien que Michel ait pu terminer la course, dans laquelle il s'est classé 11e, l'ensemble du matériel a ensuite été saisi par les huissiers agissant au nom des fournisseurs allemands impayés tels que Mahle, Hoeckle et Kröber.

Les deux Sanvenero Frutschi du musée d'Hockenheim
Les deux Sanvenero Frutschi du musée d'Hockenheim

C'est ainsi que deux des trois Sanvenero 500GP construites se sont retrouvées au musée du circuit d'Hockenheim, où l'une d'elles réside toujours. La deuxième 500 d'Hockenheim est partie en fumée dans l'incendie du musée autrichien Top Moutain Crosspoint de Hochgurgl début 2021. Enfin, la troisième moto, celle de Bertin, a refait surface en piteux état dans une bourse italienne. Elle a depuis été restaurée par le collectionneur britannique Chris Wilson.

La Sanvenero 500 ex-Bertin restaurée par Chris Wilson
La Sanvenero 500 ex-Bertin restaurée par Chris Wilson

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