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Essai Sanvenero 500

L'ancien zèbre des Grands Prix moto

4 cylindres carré, 499 cm3, 120 ch, 135 kg à sec et une victoire en GP 500

On compte aujourd'hui sur les doigts de la main les marques de moto italiennes. Et pourtant, il y en eu plein et en plus concourant au plus haut niveau en Grands Prix motos. Parmi tous ces constructeurs, on en retient particulièrement un, pour avoir connu une ascension fulgurante en MotoGP avant de faire faillite tout aussi rapidement : Sanvenero. Et on ne parle pas d'une marque ancienne, mais d'une marque relativement récente, puisqu'il suffit de remonter en 1981, il y a tout juste 40 ans, anniversaire.

L'entreprise est née sur la côte Adriatique à Pesaro, au coeur de l'un des principaux foyers de la moto italienne et également la terre natale de Benelli, Morbidelli, MBA, RTM, Ringhini, TM et bien d'autres. Et pendant sa courte durée de vie, elle a réussi à enregistrer pas moins de trois victoires en Grands Prix, dont une dans la prestigieuse classe des GP 500, une avec le doublé 1er/2e en 125 en terminant la saison avec deux pilotes dans le top 5 du Championnat du Monde à la fin de saison. Loin d'être minable !

Essai de la Sanvenero 500
Essai de la Sanvenero 500

Genèse

L’histoire de cette équipe repose sur la volonté de son fondateur Emilio Sanvenero de créer sa propre moto de Grand Prix pour mettre en avant son nom et celui de son entreprise de construction. Loin d’être un passionné, le promoteur immobilier ne regarde pas à la dépense en lançant son projet le 1er septembre 1981 et recrute une bonne partie du staff de l’équipe MBA, à commencer par l’ingénieur Giancarlo Cecchini qui avait travaillé pour Benelli et avec Kel Carruthers l’année de son titre 250.

En plus de la construction de son usine, très moderne comparée à celles des petites structures italiennes qui foisonnaient à l’époque, Sanvenero se lance dans la confection d’une 125 en s’appuyant sur l’expérience des hommes de MBA. Pour ce faire, Cecchini repart d’un moteur MBA qu’il avait mis au point en 79 mais qui avait été refusé par son employeur. La Sanvenero 125 est ainsi rapidement prête pour l’ouverture du champion en mars 1981 avec Guy Bertin aux commandes. Malgré plusieurs difficultés, le Français parvient à s’imposer dès le mois de mai, sur le mouillé à Monza.

Guy Bertin lors de victoire à Monza en 1981
Guy Bertin lors de victoire à Monza en 1981

En parallèle, le constructeur entreprend de se lancer en 500GP pour la simple et bonne raison que seule la catégorie reine bénéficiait d’une retransmission à la télévision italienne. C’est d’ailleurs parce que de nombreux postes étaient en noir et blanc que Sanvenero opte pour cette livrée zébrée noire et blanche. La première saison est une catastrophe, le travail de l’équipe étant d’abord focalisé sur le développement de la 125 qui représentait ses meilleures chances de victoire. Pour tout dire, la 500 n’est terminée que la veille de l’ouverture de la saison. Mais en 1982, l’équipe recrute Michel Frutschi, promeut Bertin en 500, enregistre l’arrivée de Francis Batta et surtout corrige bon nombre des problèmes. Forcément loin du niveau des modèles factory japonais, la Sanvenero connait son heure de gloire à Nogaro grâce à un heureux concours de circonstances qui voit les 15 pilotes d’usine faire grève et le leader de la course Jean Lafond chuter au guidon de sa Suzuki à cadre Fior pour laisser le champ libre à Frutschi qui inscrit le premier et unique succès de la marque au plus au niveau de la compétition moto. Ce jour-là, Emilio Sanvenero n’était pas présent, la Juventus accueillait l’Inter Milan à domicile. Chacun ses priorités.

Michel Frutschi sur la Sanvenero 500 at Assen 1982
Michel Frutschi sur la Sanvenero 500 at Assen 1982

Par la suite, la moto gagne progressivement en performance et en régularité. Mais les problèmes liés aux finances de Sanvenero prennent le dessus. Fournisseurs non payés, employés sans salaires… malgré une tentative de rachat avortée par Alessandro de Tomaso, Sanvenero disparaît à la fin de la saison aussi vite qu’elle était apparue, avec les huissiers venant saisir les deux motos de Frutschi durant l’ultime GP de la saison à Hockenheim, raison pour laquelle ces machines ont ensuite fini dans le musée du circuit.

Découverte

A première vue la 500 Sanvenero semblait être un clone de la Suzuki RG500, comme sa soeur 125 par rapport à la MBA. Mais il y avait en réalité plusieurs différences. La principale était les dimensions de 55x52.5 mm à course courte de son moteur de 499 cm3 (54 x 54 mm sur la RG), produisant 120 chevaux à 11.000 tours /minute, mais avec une puissance délivrée par étape qui rendait la Sanvenero très difficile à piloter. Les mesures correctives ont ensuite abouti à une courbe de puissance plus linéaire, mais aussi plus courte.

Le 4 cylindres de 499 cm3 délivre ici 120 chevaux à 11.000 tours/minute
Le 4 cylindres de 499 cm3 délivre ici 120 chevaux à 11.000 tours/minute

Contrairement aux quatre vilebrequins séparés de la Suzuki, le moteur Sanvenero à refroidissement liquide comportait deux vilebrequins Hoeckle à rotation vers l'avant, chacun fonctionnant avec des bielles forgées et des pistons Mahle pour délivrer un taux de compression de 14.1:1. L'allumage Kröber utilisé à l'origine a été abandonné au profit du même CDI Hitachi M400-03 que la compé-client Yamaha TZ500. Les quatre carburateurs Mikuni VM-34SS de 33 mm alimentaient le mélange et encore une fois, contrairement à la Suzuki, la boîte de vitesses CIMA à 6 rapports était de type cassette extractible, ce qui signifiait que ses rapports internes pouvaient être modifiés rapidement et facilement, avec un embrayage à sec à 14 disques.

La Sanvenero se dote d'une boîte de vitesse CIMA 6 rapports de type cassette
La Sanvenero se dote d'une boîte de vitesse CIMA 6 rapports de type cassette

Le cadre de la Sanvenero 500GP reposait sur le modèle créé par Cecchini dans leur propre usine, même si un cadre Nico Bakker a été utilisé pour les premiers tests, à l'origine avec un moteur de RG500, puis avec leur propre moteur à partir d'avril 1981. Les points de fixation étaient les mêmes sur les deux quatre cylindres. Emilio Sanvenero voulait cependant que l'ensemble de la moto soit de sa propre fabrication, donc pour ses débuts au Grand Prix d'Autriche, le cadre tubulaire en acier au chrome-molybdène de l'équipe a été mis au point, avec des tubes supérieurs supplémentaires de chaque côté pour plus de rigidité. L’empattement était assez réduit avec 1.390 mm, mais la géométrie très traditionnelle avec une fourche Forcella Italia ouverte à 27°. L’amortissement arrière était assuré par un élément Marzocchi et le freinage confié à des disques Zanzani. L'ensemble de la conception avait l'air assez solide, mais était inévitablement lourd pour l'époque, bien que le poids à sec revendiqué de 135 kg (identique à la RG500 d'usine !) était sûrement plus une expression d'espoir qu'un fait, alors que la vitesse de pointe était d'environ 260 km/h.

Après un cadre de Nico Bakker, l'équipe a développé son propre cadre
Après un cadre de Nico Bakker, l'équipe a développé son propre cadre

Pendant quelques années, les seules Sanvenero 500 connues qui existaient encore étaient les deux motos exposées côte à côte dans le musée d'Hockeheim. Mais en 2006, la troisième des trois motos de ce type construites en 1982 refait finalement surface au Mostrascambio d'Imola dans un état complet, mais usée et sans le carénage. Elle est alors acquise par le Britannique Chris Wilson pour rejoindre sa collection de 500 GP deux-temps d'usine qu'il a constituée au cours du dernier quart de siècle, motivé par la détermination de préserver l'héritage des Grands Prix des années 70 et 80 qui était jusqu'à récemment ignoré.

Les racines de la merveilleuse technologie que nous voyons aujourd'hui en MotoGP sont souvent considérées comme acquises et en cherchant à les préserver, il a été surprenant de voir combien de motos historiques se sont retrouvées dans un état déplorable après avoir été simplement mises dans un coin et oubliées. Grâce à Steve Griffiths de Racing and Investment Motorcycles, nous avons pu en retrouver plusieurs et les remettre en état de marche et la Sanvenero en est une autre qu'il m'a trouvé.

Disparue des écrans radars, la Sanvenero de Bertin a été totalement restaurée
Disparue des écrans radars, la Sanvenero de Bertin a été totalement restaurée

Pour ce faire, Chris fait en sorte que l'ingénieur allemand Matthias Farwick restaure entièrement la Sanvenero après avoir mis la main sur la restauration de la seule autre moto de Hockenheim, qu'il a lui-même piloté lors des Bikers Classic de Spa-Francorchamps en 2013.

Cela impliquait de prendre un moule pour la carrosserie manquante de cette moto et je ne peux pas remercier suffisamment la direction du musée d'Hockenheim pour avoir rendu cela possible - ils ont été très utiles.

Tous les carénage ont dû être refait en calquant ceux des deux machines du musée d'Hockenheim
Tous les carénage ont dû être refait en calquant ceux des deux machines du musée d'Hockenheim

Malheureusement, l'autre des deux motos a été détruite dans l'incendie du musée autrichien de Top Mountain en janvier 2021, ne laissant subsister que deux véritables machines de ce type. Une quatrième Sanvenero 500 est récemment apparue en Italie, mais il s'agit d'une réplique créée par un homme d'affaires local utilisant un moteur de rechange dans une copie du cadre de la moto de Wilson après que Chris lui ait prêté sa moto pendant deux ans pour en faciliter la création.

J'ai été plutôt surpris de voir ensuite la réplique être présentée comme l'ex-Frutschi vainqueur du Grand Prix de Nogaro ! C'est un non-sens, cette moto n'existait pas il y a quelques années et les seules motos de Frutschi sont/étaient les deux à Hockenheim. La mienne est celle de Guy Bertin et il suffit de s'asseoir dessus pour le confirmer !

Essai

Alors quand Chris m'a invité à venir essayer l'Italienne sur le circuit de Croix-en-Ternois dans le nord de la France, la longue journée d'essai m'a curieusement permis de clore un chapitre de ma carrière de pilote et d'écriture.

L'été 1981 était en effet l'une de mes premières sorties en tant que journaliste moto indépendant. J'avais alors visité l'usine Sanvenero à Pesaro et étudié de près la 500 GP zébrée. Mais je n'ai commencé à essayer sur piste les plus meilleures machines de la grille de GP que quelques années plus tard. A cette époque, Sanvenero était déjà mort et enterré. Du coup, c'était agréable de renouer avec la sportive de 499 cm3 en la pilotant enfin.

La 500 en pleine mise au point dans l'usine Sanvenero en 1981
La 500 en pleine mise au point dans l'usine Sanvenero en 1981

Par rapport à la petite taille de Guy Bertin, je mesure 15 cm de plus que lui avec mon 1.80m, ce qui implique de se recroqueviller bien plus à bord d'une moto très compacte. En plus la moto a des repose-pieds hauts et des bracelets fortement abaissés comme sur sa 125 donnant avec une position de conduite très en avant. Je suppose qu'il a choisi de piloter en mettant autant de poids que possible sur l'avant afin de charger la roue dans les virages. J'ai fini par faire exactement la même chose, mais à force d'être coincé, incapable de me suspendre plus que symboliquement dans les virages.

C'est à Croix-en-Ternois que nous avons pu prendre la mesure de la Sanvenero 500
C'est à Croix-en-Ternois que nous avons pu prendre la mesure de la Sanvenero 500

Cependant, comme à l'époque du pré-slider, cela n'avait pas trop d'importance. Car malgré ce qui est aujourd'hui considéré comme une géométrie de direction très conservatrice, j'ai trouvé une réactivité inattendue dans la direction de la Sanvenero. Il n'en reste pas moins que devoir effectuer des appuis renversés au guidon avec cette position exiguë est assez fatiguant sur une piste aussi étroite. Et session après session, on finit par souffrir sur la piste.

Michel Frutschi n'était que légèrement plus petit que moi et sa moto aurait été bien mieux adaptée. Je me demande si elle sous-virait autant que la Sanvenero Bertin, poussant sensiblement la roue avant en sortant du virage en S derrière le paddock, mais sans toucher le fond, comme je m'y attendais avec l'amortisseur arrière Marzocchi réglé pour le poids bien plus léger de Guy, ce qui pourrait expliquer le sous-virage.

La position très étriquée rend la Sanvenero fatiguante à piloter
La position très étriquée rend la Sanvenero fatiguante à piloter

Le moteur présente une entrée nette dans la courbe de puissance, caractéristique de ces moteurs, lorsque le compteur Kröber indique 7.800 tours/minute, aussi brusquement que si l'on effleurait un commutateur. Au fil des tours je me suis habitué à la façon dont elle était relativement contrôlable.

Les pneus de course Avon de 18 que Chris Wilson a installé sur la moto, remplaçant l'avant de 16 pouces original, adhèrent bien et assurent un bon retour d'information lorsque l'arrière commence à glisser si la puissance délivrée est trop soudaine et que je suis encore sur l'angle. Mais dans l'ensemble, la Sanvenero se montre étonnamment attrayante à conduire. Et même si elle n'est pas aussi agile que la Honda NS500 contre laquelle elle a couru en 1982, son empattement court de 1.390 mm la rend beaucoup moins camionesque que la Kawasaki KR500 avec son empattement de 1.470 mm et son angle de chasse de 28°.

Il faut un peu de temps avant de réussir à doser convenablement l'arrivée de la puissance
Il faut un peu de temps avant de réussir à doser convenablement l'arrivée de la puissance

Initialement, à Croix, le moteur quatre cylindres tournait à 11.000 tr/min avec zéro surrégime. Mais comme il faisait plus frais en fin d'après-midi, cela a permis de le faire monter à 11.800 tr/min pour économiser quelques changements de vitesse. L'action de changement de rapport de la boîte de vitesse CIMA à six vitesses est nette et précise. L'embrayage à sec est léger et réactif. On peut ainsi embrayer dans la courbe de puissance de manière très contrôlable en sortant de l'une ou l'autre des épingles à cheveux aux deux extrémités de la ligne droite de 600 mètres de long. La moto a cependant des longs rapports et je n'ai que brièvement pu saisir un véritable cinquième rapport sur celle-ci.

La boite CIMA se montre nette et très précise
La boite CIMA se montre nette et très précise

Mais selon les normes de l'époque et j'ai la chance d'avoir monté toutes ses rivales japonaises contemporaines, ainsi que la Cagiva, l'accélération n'est pas le point fort de la Sanvenero et je soupçonne que la raison en est le poids.

Par contre, elle freine correctement, mais pas avec le même mordant initial des disques en acier Zanzani que celui livré par les disques en fonte Brembo plus lourds.

Le freinage manque un peu de mordant
Le freinage manque un peu de mordant

Conclusion

Croix-en-Ternois est une version légèrement plus courte de Nogaro, avec une ligne droite de moins. Piloter la Sanvenero ici s'est révélé être une fenêtre avec une vue directe sur l'une des victoires les plus improbables et les plus inattendues de l'ère moderne des Grands Prix moto. Dommage qu'Emilio Sanvenero n'ait pas été là pour le voir arriver - la Juventus jouait probablement à domicile ce jour-là !

La Sanvenero 500
La Sanvenero 500

Même 40 ans plus tard, il est difficile de comprendre ce qui a poussé Emilio Sanvenero à investir autant d'argent dans un sport pour lequel il avait apparemment si peu de passion. À coup sûr, c'était une erreur stratégique d'affronter à la fois ses rivaux italiens dans la catégorie 125GP ET les quatre constructeurs japonais dans la catégorie reine - quelque chose qu'aucun autre n'a été assez imprudent pour essayer ! Laissons au créateur de ces motos, Giancarlo Cecchini, le soin d'en évaluer les conséquences :

Nos motos étaient super compétitives dans la catégorie 125 et je crois vraiment que nous aurions pu remporter le championnat du monde en 1982 si nous avions été plus concentrés. Mais notre 500 n'était pas mal non plus, bien qu'elle ait été construite dans un petit atelier. C'était censé être une synthèse de ce qui était disponible à l'époque. Notre problème était qu'en 1982, il n'y avait pas moins de 15 motos d'usine, ce qui nous a imposé un dur combat pour être compétitif. Et à la fin de la saison, nous l'étions ! Et puis tout s'est effondré par manque d'argent. Un beau gâchis !

Oui, en effet ...

Points forts

  • Maniabilité
  • Transmission

Points faibles

  • Accélération
  • Poids

La fiche technique de la Sanvenero 500