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Essai moto Chevallier Honda RS500

Contre toute attente

V3 à 90°, 499 cm3, 125 ch, 116 kg à sec

Battre les équipes factory japonaises en remportant des Grands Prix avec des motos que vous avez vous-mêmes construites dans l'atelier de votre maison, alimenté par la cuisine maison de votre épouse et les tasses de café fraîchement préparées dans la cuisine voisine, est un objectif chimérique qui serait impossible aujourd'hui. Mais au début des années 1980, c'est exactement ce que l'ingénieur Alain Chevallier est parvenu à faire. Sa disparition en octobre 2016 à l'âge de 68 ans des suites d'un cancer nous a fait perdre l'un des grands concepteurs de châssis de l'histoire moderne des GP.

Essai de la sportive Chevallier Honda RS500
Essai de la sportive Chevallier Honda RS500

Genèse

Quand une figure aussi emblématique que le patron du HRC (Honda Racing Corporation), Youichi Oguma, a prêté des moteurs d'usine à la petite équipe d'Alain Chevallier, c'était une marque de respect. C'était aussi une réponse à ce que ses motos étaient parvenues à accomplir avec un budget limité. C'était l'époque où les Japonais passaient à la construction de cadres en aluminium, dans la foulée d'Antonio Cobas. Chevallier, lui, restait fidèle aux cadres tubulaires en acier. Il faut dire que ce n'était pas n'importe quel acier, mais un acier étiré à froid qui, étant 20% plus résistant qu'avec un laminage à chaud, offre un rapport rigidité/poids accru, ainsi qu'un meilleur retour pour le pilote. Ducati suivra d'ailleurs ses traces plus tard dans cette décennie pour décrocher ses titres mondiaux de Superbike avec des sportives à cadre tubulaire et finalement, en Grand Prix avec le titre mondial MotoGP en 2007.

Alain Chevallier dans son atelier de Vendome travaillant sur la 500
Alain Chevallier dans son atelier de Vendome travaillant sur la 500

Mais Alain Chevallier ne s'est pas arrêté là. Sa volonté d'économiser du poids pour compenser le manque de puissance des moteurs de ses motos l'a poussé à être le premier à installer des freins à disque en carbone sur une 500 GP. C'est aussi lui qui a été le premier à équiper ses motos d'une induction d'air dynamique. Il fut également un pionnier dans le développement de suspensions entièrement réglables en fabriquant ses propres fourches et amortisseurs. C'est aussi lui qui a investi et développé la télémétrie. L'atelier Chevallier a été une source d'innovations sans égal.

L'atelier d'Alain Chevallier
L'atelier d'Alain Chevallier

Olivier Chevallier, le jeune frère d'Alain, était devenu un des meilleurs pilotes en remportant le Grand Prix de Yougoslavie 350 de 1976 avec une moto préparée par Alain, qui était également chef mécanicien de l'équipe financée par Pernod. En 1980, ce dernier avait d'ailleurs commencé à fabriquer ses propres Yamaha TZ250/350 pour Olivier. Mais en avril celui-ci décédait tragiquement au Paul Ricard sur une TZ750. Désemparé, Alain était prêt à tourner le dos à la course, avant que son ami Eric Saul ne le persuade du contraire. Six semaines seulement après le décès de son frère, Saul amenait pour la première fois une Chevallier Yamaha sur le podium du GP de France 350 au Castellet, réussissant à reprendre une troisième place à Silverstone plus tard dans la saison pour terminer 6e du championnat.

Malgré la mort de son frère, Alain Chevallier a donc continué la construction de motos. En 1982, c'est le Belge Didier De Radiguès qui conduit la Chevallier Yamaha 350 à la victoire en Yougoslavie et termine deuxième du championnat. Son coéquipier Eric Saul remporte le GP d'Autriche et termine 4e de la saison. En 1983, désormais parrainé par ELF, Didier est rejoint dans l'équipe Chevallier 250 par Jean-François Baldé qui réalise des débuts fracassants en s'imposant à Kyalami pour sa première course sur la Chevallier, juste devant de Radiguès. Mais Baldé se casse la jambe à Assen et malgré la satisfaction du sponsor du cigarettier local de l'époque après la victoire de De Radiguès à Spa-Francorchamps, Didier ne termine que troisième du championnat derrière les deux pilotes d'usine Yamaha Carlos Lavado et Christian Sarron.

De Radigues sur la Chevallier 500 à Kyalami en 1984
De Radigues sur la Chevallier 500 à Kyalami en 1984

Alain Chevallier :

Nous avons eu une excellente saison avec beaucoup de pole positions et moins de chutes, mais nous n'avions tout simplement pas assez pour remporter le titre. Mais pour 1984, nous avons commencé une nouvelle aventure.

En effet, car avec la disparition de la catégorie 350 et déjà habitué à courir dans deux courses exténuantes sur une seule journée, Didier de Radiguès avait entamé une carrière en 500 GP sur une Honda RS500 d'origine, l'une des 32 répliques client du trois cylindres NS500 que Freddie Spencer avait transformés en vainqueur de GP en 1982. Mais la maniabilité défectueuse de la Honda était une déception. Donc en 1984, Didier convainc Alain Chevallier de passer à la catégorie reine avec une toute nouvelle moto utilisant le moteur V3 de la RS500, toujours avec ELF et Johnson en sponsor et une seconde moto pour Christian Le Liard.

Christian le Liard lors de la saison 84
Christian le Liard lors de la saison 84

La Chevallier Honda RS500 à cadre tubulaire est testée lors d'un essai hivernal au Paul Ricard par Didier qui la déclare bonne dès le début. Il l'a ensuite prouvé en menant les quatre premiers tours de la première course de la saison un mois plus tard en Afrique du Sud, avant de terminer quatrième avec son coéquipier huitième. Avec trois autres tops dix, le Belge conclut le championnat en neuvième position. Un résultat satisfaisant pour lui et Chevallier, mais curieusement pas pour ELF qui part avec l'équipe de Serge Rosset en 1985. Politique !

La refonte de la Pernod 250GP a donné du travail aux quatre employés à plein temps de Chevallier en 1985, tandis que l'ex-de Radiguès 500 était prêtée au privé français Thierry Espié, qui a marqué deux points dessus avant de la rendre à Alain. Pendant ce temps, l'autre moto, l'ex-Le Liard, était testée deux fois par Randy Mamola qui souhaitait remédier aux problèmes de maniabilité qu'il rencontrait avec sa NS500 d'usine. Tout en exprimant sa satisfaction pour la moto française, il ne l'a finalement jamais utilisée en course, bien que le patron du HRC de l'époque ait autorisé son coéquipier Takazumy Katayama à piloter une telle machine à cadre Bakker, sur laquelle Honda a reproduit le design néerlandais pour sa MK2 de 1985 ! Elle aurait pu être une copie de Chevallier à la place...

En 1985, Thierry Espié récupère la 500 en tant que pilote privé
En 1985, Thierry Espié récupère la 500 en tant que pilote privé

Pour 1986, le trio De Radiguès / Chevallier / RS500 se reforme sous le sonsporing de Rollstar, ce qui aboutir à une saison encore plus réussie avec huit tops 10 en 12 courses et une septième place au championnat. C'était surtout la meilleure trois cylindres Honda, deux places devant Ron Haslam sur l'ELF 3 de Rosset ! L'année a surtout été marquée par cette magnifique deuxième place décrochée sous une pluie battante par De Radiguès à Silverstone, seulement 9 secondes derrière la NSR500 V4 de Wayne Gardner et devant tous les autres quatre cylindres d'usine, y compris la Yamaha du futur champion Eddie Lawson.

De Radiguès lors du GP de France 1986 au Paul Ricard
De Radiguès lors du GP de France 1986 au Paul Ricard

En 1987, de Radiguès est embauché par Cagiva avec Chevallier comme consultant châssis, permettant au constructeur italien de signer son meilleur résultat à ce jour avec une 4e place au Brésil. Mais les tensions au sein de l'équipe voient Alain se détourner complètement des Grands Prix, malgré l'offre de moteurs d'usine Honda d'Oguma-san qu'il a dû refuser, sans équipe pour faire courir la V4 Chevallier Honda. Il commence alors à travailler pour Sonauto Yamaha afin de développer leurs motos du Paris-Dakar et pour Yamaha sur le projet de la GTS à moyeu directeur qui fera ses débuts en 1993. Un an plus tard, il commence un nouveau travail en tant que directeur technique de la jeune marque française Voxan dont le propriétaire Jacques Gardette souhaitait qu'il développe le cadre et supervise le développement technique des motos. Mais c'est une autre histoire...

Découverte

Seules trois Chevallier Honda RS500 ont été construites : la moto initiale de de Radiguès Johnson de 1984, la copie de Le Liard/ELF de la même saison et la Rollstar de 1986, construite à neuf avec une géométrie de châssis modifiée et la possibilité d'ajuster cette dernière.

Seules trois Chevallier Honda RS500 ont été construite
Seules trois Chevallier Honda RS500 ont été construite

La Johnson originale de 1984 a été conservée comme moto de secours en 1986, mais fut vendue par Chevallier en 88 au pilote privé Rachel Nicotte qui remporta cette année-là le titre national en 500, en s'imposant dans la plupart des courses avec sa moto aux couleurs de la marque de vêtements pour enfants Jacadi. Cette saison et la suivante, Nicotte participa également à plusieurs Grands Prix 500 et au Championnat d'Europe dont il termina second.

Le modèle d'origine a ensuite été utilisé par Rachel Nicotte
Le modèle d'origine a ensuite été utilisé par Rachel Nicotte

Le regretté Olivier 'Gull' Rietsch, décédé en février 2020, avait été le coordinateur de la petite équipe Chevallier Honda 500GP de Nicotte. Il a conservé l'ex-De Radiguès, ex-Espié, ex-Nicotte après le décès de Rachel en 2005. La moto arbore toujours les couleurs de la ville de Plaisir, où résidaient Gull et Rachel et dont le maire était fan de moto.

J'ai abandonné mon travail dans l'entretien des propriétés pour aller courir avec Rachel en 1988. J'ai fait tout ce qui n'impliquait pas de travailler sur la moto ou de la piloter, c'est-à-dire conduire le camion, nous nourrir, acheter du carburant, des pièces, des fournitures, des pneus et surtout réparer le carénage - Rachel avait l'habitude de beaucoup tomber. Je veux dire - BEAUCOUP !! Nous l'avons exploité avec très peu de ressources, car nous n'avions pas d'argent pour les pièces. Nous nous sommes liés d'amitié avec l'un des mécaniciens Honda et il nous a dit : "À exactement 21h ce soir, je vais jeter nos pièces usées dans cette poubelle là-bas". Alors nous nous assurés d'attendre au coin de la rue. Leur définition de l'usure était tout simplement du bon état pour nous !

Olivier Rietsch (à gauche) et son équipe ont remis la RS en état
Olivier Rietsch (à gauche) et son équipe ont remis la RS en état

Lorsque Nicotte a arrêté de piloter la Chevallier, il l'a confiée à Gull pour la garder, jusqu'à ce que ce dernier lui achète finalement la moto. Le décès tragique de Nicotte a ensuite poussé Gull à reconstruire la moto pour la faire courir à nouveau dans les événements historiques comme la Bikers Classic de Spa. C'est d'ailleurs là-bas, en 2014, que nous nous sommes retrouvés à partager le même box et... enfin, vous pouvez facilement deviner la suite.

La Chevallier Honda RS500 se met à nu
La Chevallier Honda RS500 se met à nu

Il m'aura quand même fallu attendre cinq ans pour que mon essai promis se concrétise, le temps que Gull réussisse à trouver de nouveaux pistons pour le V3 Honda. Un lot réalisé par Tech 3 Classic a permis à Emmanuel Laurentz de refaire le moteur, tandis qu'Yves Kerlo a entrepris une restauration du cadre achevée à peine quinze jours avant la Sunday Ride Classic, au Paul Ricard. Là, au cours des deux premières séances, je me suis retrouvé en train de roder le moteur restauré avec Freddie Spencer, Kevin Schwantz, Giacomo Agostini et son fils Giacomino et Christian Sarron me dépassant alors que j'y allais doucement. Oui, c'était mon excuse, bref...

Les pistons du trois cylindres en V Honda ont tous été changés juste avant le roulage
Les pistons du trois cylindres en V Honda ont tous été changés juste avant le roulage

La Johnson Chevallier est dotée d'un cadre à double berceau en acier tubulaire étiré à froid typique d'Alain Chevallier, avec un renforcement massif autour de la colonne de direction. Malgré ça, il ne pèse qu'un peu plus de 5 kg, moins le bras oscillant tubulaire en acier chrome-molybdène avec mono-amortisseur WP entièrement réglable. La fourche inversée Chevallier de 40 mm entièrement réglable est réglée sur une chasse de 23° plus raide que les 24°5' de la Honda d'origine alors que l'empattement est beaucoup plus long avec 1.420 mm contre 1.375 mm pour la RS 500, probablement pour une meilleure stabilité.

La fourche inversée Chevallier est entièrement réglable
La fourche inversée Chevallier est entièrement réglable

Cependant, au lieu du seul disque avant en carbone avec lequel de Radiguès a couru en 1984, on trouve aujourd'hui une paire de disques en acier AP-Lockheed de 310 mm équipés d'étriers à 4 pistons. C'est parce que Thierry Espié les a montés lorsqu'il a emprunté la moto en 1985 et qu'il n'avait pas les moyens de remplacer les disques carbone régulièrement usés. En contrepartie, la moto pèse aujourd'hui 116 kg contre les 111 kg de 1984, mais avec un biais de poids vers l'avant de 52/48% et les carburateurs à l'avant. Cette solution qui a résolu les problèmes de poids insuffisant sur la roue avant que connaissait la RS500 d'origine.

Contrairement au carbone d'origine, la Chevallier est désormais équipée de disques en acier
Contrairement au carbone d'origine, la Chevallier est désormais équipée de disques en acier

Essai

On se rend immédiatement compte à quel point la Chevallier est "petite" lorsqu'on la pilote. Par rapport à la douzaine de Honda NS / RS500 que j'ai eu la chance de piloter au fil des ans, celle-ci ressemble plus à une 350 qu'à une 500. En fait, Rachel Nicotte était beaucoup plus petit que moi. Donc j'ai trouvé la position de conduite rapprochée beaucoup trop exiguë pour me sentir à l'aise sur la moto. Je ne pouvais pas me déplacer facilement sur la selle et c'était impossible de me cacher derrière la bulle. C'est dommage, car Didier de Radiguès et moi sommes de la même taille et ça aurait été sympa de l'essayer sous sa configuration. Mais cela donne aussi une très bonne idée de la vivacité de la moto à sa façon de changer si facilement de direction dans les nombreuses chicanes du Paul Ricard sans avoir à ralentir.

Très compacte, la motot se rapproche plus de l'agilité d'une 350
Très compacte, la motot se rapproche plus de l'agilité d'une 350

La Chevallier reste très stable dans les courbes rapides, comme celle à droite des Signes, qu'on aborde en quatrième à la sortie de la ligne droite du Mistral et où le long empattement entre surement en jeu pour compenser la géométrie très fermée de la direction. La direction n'est pas nerveuse ou saccadée, mais très stable et offrant beaucoup de sérénité.

La Chevallier Honda reste cependant très stable dans les courbes rapides
La Chevallier Honda reste cependant très stable dans les courbes rapides

La moto freine également bien, sa légèreté est surement un facteur clé, comme j'ai pu le constater lors de cette fascinante "bataille" face à Eric Beurlys sur une RS500 stock lors de l'événement principal du dimanche. Grâce à sa légèreté et à l'ensemble de freins AP-Lockheed très efficace, la Chevallier permet de gagner de nombreux mètres en freinant dans les chicanes ou plus tard après Signes. Mais ensuite, il accélérait plus fort que moi en sortie de courbe et rattrapait l'écart alors que j'étais plafonné à 11.000 tours/min le temps que les nouveaux pistons Tech3 soient rodés. C'est à ce moment-là que le moteur Honda décolle vraiment, après une accélération plus vive dès 9.500 tr/min, mais sans les valves ATAC qui furent par la suite installées sur les trois cylindres Honda pour obtenir une réponse plus lisse.

La légèreté de la machine permet un freinage tardif
La légèreté de la machine permet un freinage tardif

Sur mes quatre derniers tours, j'ai fait grimper les régimes jusqu'à 11.800 tr/min et j'ai constaté une énorme différence dans l'accélération de la Honda, tout en facilitant encore plus la conduite. C'est parce que je passe maintenant les rapports quand il le faut en restant toujours sur la plage de puissance au lieu de devoir jouer avec l'embrayage. Ce couple plus élevé n'a pas non plus perturbé l'équilibre du cadre de la Chevallier ni sa facilité de conduite.

J'ai du attendre un peu avant de pouvoir pousser le moteur dans les tours
J'ai du attendre un peu avant de pouvoir pousser le moteur dans les tours

Conclusion

Quelle jolie petite moto - enfin, avec 125 chevaux livrés à 11.500 tr/min, on pourrait dire que celle-ci boxe dans la catégorie supérieure.

Le seul regret, c'est qu'Alain Chevallier ne soit plus parmi nous. Il n'a donc pas pu admirer le merveilleux travail que Gull & Co. ont accompli en restaurant la première Chevallier Honda 500. Et si Olivier Rietsch est désormais parti aussi, je suis convaincu que voir et entendre à nouveau la moto à laquelle il avait consacré une si grande partie de sa vie a dû lui donner une grande satisfaction. Adieu, Gull et merci pour la balade !

Roulage au Paul Ricard en compagnie de l'ancienne TZ750 de Cecotto et de la Tech-3 Classic Yamaha
Roulage au Paul Ricard en compagnie de l'ancienne TZ750 de Cecotto et de la Tech-3 Classic Yamaha

Points forts

  • Moteur
  • Agilité
  • Stabilité
  • Freinage

Points faibles

  • Pour les petits gabarits

La fiche technique de la Chevallier Honda RS500