J'envie ceux qui partent sans but

Il fut un temps où je partais sans but, tout un samedi, sur les routes. Ce n'est plus le cas ; mais j'ai un espoir :

trouver la moto qui va réveiller le motard qui sommeille

Il fut un temps où je partais sans but, tout un samedi, sur les routes. Ce n'est plus le cas ; mais j'ai un espoir : trouver la moto qui va réveiller le motard qui sommeille.

Entre le moment où j'ai flashé sur ma première moto et le permis, il s'est écoulé plus de huit ans. Je me souviens fort bien de la GS-E blanche et rouge devant laquelle je suis tombé en arrêt, au croisement de la rue de Turin et de la rue Clapeyron, Paris 8e. C'est elle qui a tout lancé. Sans elle, ma vie aurait été bien différente. Sans elle, y aurait-il seulement un KPOK ?

Huit ans d'attente : tu imagines bien que j'ai passé du temps en selle sur cette première moto. À filer en douce dès les premières lueurs du matin, une carte routière glissée sous la selle, en direction de la mer -ou du moins l'espérais-je. Je faisais un énorme festin de liberté, de vent et de vitesse. Je rentrais à la nuit tombante, crevé, vidé, les oreilles sifflantes, des moucherons plein le casque.

Le samedi suivant, je repartais, cherchant à repasser par tel ou tel endroit, me perdant, traversant dans un sens puis dans l'autre des bleds inconnus, naviguant au pif en surveillant le trip partiel, rebroussant chemin dans les faubourgs de Rouen, poussant vers le nord en direction d'Amiens puis d'Arras. Reims ? Houlah, non ! Il est déjà seize heures : rentrons. J'ai mal au cul. J'ai mal aux jambes. Je suis gelé. Je n'en peux plus ; une douche et au lit ; Paris : 80 kilomètres ; je suis merveilleusement épuisé et libre.

Aujourd'hui ? Berzingue n'est pas sorti du box depuis août.

Voilà.

Mouais.

Secouons tout ça.

Je louche du côté des petites Royal Enfield, 350 ou 411. Les premières sont plus élégantes -j'aime tout particulièrement la version blanche et bleue de la Hunter. Les secondes tiendront mieux le 110 : parfois, il est difficile d'éviter la quatre voies.

J'espère leur moteur comme je les aime : avec une trépidation volontaire à la remise des gaz après avoir tombé la quatre en entrée de virage ; assez souple pour garder la quatre quand je traverse un bled, avant d'ouvrir sans me presser, la dernière maison dépassée ; assez puissant pour ne pas rester collé, mais pas trop pour que j'aie encore besoin de l'encourager pour franchir une bosse -les moteurs inépuisables ne sont pas attachants.

Mais je me méfie : ceux qui, ayant essayé l'une ou l'autre, concluent souvent que ça passe "quand même" dans la circulation actuelle me laissent dans le doute. On n'est pas très éloigné du "ça passe pas", façon Monkey et sa vitesse de pointe tout juste suffisante pour doubler péniblement un poids lourd -même une Deuche lui colle 20 km/h en pointe.

Ducati, à une date que j'ignore, a ressorti des twins 400. Je ne me suis pas renseigné, mais je parie toutefois que ces modèles ont fait un bide, alors qu'ils sont probablement agréables à rouler et proposent des performances tout à fait correctes dans la circulation -à l'inverse des Royal Enfield "quand même". Le tarif doit être himalayesque, mais pour celui qui a les sous, c'est plus reposant qu'une Duke et moins banal qu'une CB, alors pourquoi pas ? Ainsi, j'aurai moins de regrets de n'avoir jamais roulé en 400 SS HF 1993 -jaune, de préférence, avec le kit de réchauffe carbu et le deuxième Brembo à l'avant -ça ne sert à rien à part alourdir les masses non suspendues, mais sur une Ducati l'important c'est d'avoir la classe, tant pis pour le reste.

Enfin, il reste la petite brochette de 300 : CBR, G310 et Duke, toutes trois dans des registres différents (surtout la Katoche) et qui viennent proposer une alternative plus moderne, plus véloce et plus énervée que les Enfield. Moins pratiques, plus difficiles à charger d'un baluchon, un tantinet plus pousse-au-crime, j'aime bien ce type de machines qui, selon l'humeur, peuvent être menées à un rythme placide, le nez en l'air, ou plus exubérant, le pif dans le té de fourche.

Ainsi, j'ai bon espoir de recouvrer une forme d'enthousiasme -oh, pas celui du début, c'est sûr. L'utilitaire écartée, je peux chercher cette fameuse "petite moto sympa" que je sortirai sans raison particulière, pour le plaisir de la vitesse et du vent.

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