Kronik : Le Motard parfait

C'est quoi, un motard parfait ? C'est qui, le pote ultime, celui que tu rêves d'avoir ?

C'est quoi, un anti-Kéké ?

C'est quoi, un motard parfait ? LE Motard Parfait même ? C'est qui, le pote ultime, celui que tu rêves d'avoir ? C'est quoi, un anti-Kéké ?

Je peux dégoiser sur les Kékés, les Jean-Pierre et les blaireaux qui font vroum-vroum. Sur les concessionnaires princes de l'arnaque, sur les jouvencelles qui se prennent pour des motardes, sur les SDS pénibles. Mais l'inverse, c'est quoi ? C'est comment, ou qui, un motard parfait ?

Est-ce que le motard parfait, c'est ce motard en maxi-trail qui fait le tour du monde à moto, sapé comme un Homme des Sables, capable de déposer son moulin au milieu du désert rien qu'en le regardant et de quand même rejoindre l'étape sur un demi-cylindre ?

Est-ce que le motard parfait, c'est ce motard qui est monté à 5 ans sur la moto de papa, puis à 12 ans faisait des courses de Solex avant de passer au 103 SP kité, pour petit à petit monter en cylindrée et rouler aujourd'hui la dernière CBR 1000 RRRRR, avec sa combarde râpée, qu'il emmène à Carole chaque samedi, comme on va à la messe ?

Est-ce que le motard parfait, c'est ce disciple de Marlon Brando au guidon de son Indian 340-B dans son jus, qui exhibe ses tatouages et les cicatrices de ses duels au couteau ? Un vrai dur qui ne lâche rien, sa seule liberté entre les dents, détestant le salariat, vomissant le fisc et l’État, cet anar solitaire et tonitruant qui nous claque au visage la réalité de nos vies de singes d'élevage ?

Est-ce que c'est ce motard qui cherche, les mains dans le cambouis, courbé sur l'établi, l'essence de la moto, sans chichis, sans fioritures : deux-roues-un-moteur-une selle-un guidon-et basta ? Un de ceux qui retirent, enlèvent, découpent pour arriver à la définition la plus pure possible de la moto ? Trois fils électriques, bobine-rupteurs, culbus, kick et un bloc de bois sous la cadre berceau en guise de latérale ?

Ou bien est-ce celui qui construit sa machine à partir de zéro : tubes et blocs de métaux bruts -"attends, bouge pas, je pense qu'avec des bielles avec trois centièmes d'excentricité, je peux arriver encore à réduire les vibrations secondaires ; regarde : je tourne trois bagues en bronze vite fait (du bronze à 18 % de plomb c'est pas mal, plus une pincée de béryllium pour la dureté) montées à la presse (fais gaffe, les bagues vont se resserrer d'un pouième quand on va les emmancher, donc faut prévoir un pouième de jeu en plus, mais pas trop) ; pour les bloquer en rotation on va les frapper ici, tu vois ? et ensuite on va faire comme ils ont fait sur les embiellages Richardson dans les années 60 en décalant un chouia ici..." Enfin... tu vois le genre de type que c'est, non ?

Et là, céledrame©.

En effet, je peux multiplier les exemples, jamais aucune réponse ne sera satisfaisante. Comme tu n'es pas bête, je soupçonne que tu sais déjà depuis plusieurs paragraphes où le problème réside. Parce qu'il n'y a pas de réponse à la question. Il n'y a pas de motard parfait.

Pourtant, le sujet de l'idole, du héros, du modèle, recèle un potentiel fantastique. Des entreprises se font des bollocks en métal précieux en nous vendant du super-héros aux gonades agressives et aux pectoraux chiadés. Bon... en trois coups de cuillère à pot, n'importe quel psy te démontre qu'un super-héros est juste un pur sociopathe avec une touche de ridicule (rapport au costume), pendant qu'un juriste lèverait poliment l'index droit avant de susurrer, l'air chagrin : "oui, mais... non, pas du tout".

Des types en costard sur des plateaux télé te vendent de l'idole en short luisant à longueur de journée, au point que des mômes trouvent classe de porter des t-shirts avec des numéros dans le dos, comme au pénitencier. Pourtant, j'ai de sérieux doutes quant à la vertu de ces idoles, notoirement pourries par le fric, dopées en mode faux-derche et le plus souvent bêtes comme leurs crampons de chaussures.

En creusant un peu plus (parce que là, avouons-le, je fais dans la facilité) je pourrais décortiquer le pernicieux phénomène d'identification à un modèle qui devient, grâce à la magie de mon imagination, un être pur, exempt de tout reproche et qui partagerait avec moi toutes mes valeurs, alors que c'est en réalité un être humain, nécessairement bardé de défauts et de vices, comme tout un chacun. De ce modèle, que progressivement j'idéalise, je ne vois plus que ce qui me convient, en ignorant tout le reste.

Si demain j'apprends qu'Albert Einstein n'aimait pas les spaghetti-bolognaise, je me sens capable, sous le coup de la déception, d'aller déboulonner toutes ses statues -nanmého ! Fopadékoné ! Les spag-bolo c'est sacré !

D'où mon nez plissé de méfiance quand je vois un autocollant "46" sur un 50 ou une mille. D'où mon agacement à voir des casques "Machintruc Replica". J'admets que la construction sociale d'un être humain passe aussi par l'attachement à des personnalités dont les actions nous élèvent. Mais je ne suis pas sûr qu'acheter des chaussettes "mère Thérésa" va faire de moi un homme meilleur.

Reste que ça me fait très peur, les idoles. Les grands portraits en noir et blanc suspendus aux façades. Les manifs avec les foules qui hurlent. Les slogans. Les bastons parce qu'un Fan à Rossi™ s'est trompé de file d'attente et se retrouve au milieu d'une escouade de Fan à Quartararo™ (ou de n'importe quel type dont le nom est protégé par copyright).

Une fois de plus, des entreprises se font des bollocks en métal précieux à nous vendre des bidules à l'effigie de tel ou tel totem d'identité (Valentino Zidane, Albert Marquez, Zlatan Djokovic, etc) en jouant sur nos émotions après nous avoir laissés nous-mêmes inventer le bobard qui justifie l'achat, ce que je trouve particulièrement dégueulasse.

Hmmm... Je démarre cette Kronik sur le Motard Parfait et j'en viens à râler à propos de types qui tournent en rond très vite ou qui courent en short sur du gazon... Je crois que dans la vraie vie, ça s'appelle un travers et je commence à léchouiller le vibreur.

Revenons donc à ce motard parfait. Qui est-il ?

ou alors, en fait, LE motard parfait, c'est toi, c'est moi non ?

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