Kronik : Pour enfin avoir mon propre atelier

C'est l'une des choses qui manque à ma vie : un atelier pour bricoler mes bécanes

Ça me vide la tête et me rend heureux.

C'est l'une des choses qui manque à ma vie : un atelier pour bricoler mes bécanes. Ça me vide la tête et me rend heureux.

J'ai une tendresse particulière pour les appentis, les dépendances, les remises, ces ajouts aux maisons où vient s'échouer le bric-à-brac du quotidien. J'ai de nets souvenirs de l'atelier de mon grand-père, un lieu rempli d'objets fantastiques et mortels : une scie à ruban, une perceuse à colonne, un tour, un poste à souder. Assis sur un petit tabouret en bois près du poêle, avec l'interdiction d'en descendre, je le regardais s'affairer dans un grand vacarme de marteaux et de meuleuse d'angle. Parfois, il me prenait dans ses bras pour me montrer le métal qui s'éteignait ou l'ajustement de deux pièces de bois qui -magie !- n'en faisaient plus qu'une quand il appuyait dessus.

Aujourd'hui, il me manque de ne rien faire de mes mains le dimanche venu. Les motos sont dans un box, mais ce n'est pas pareil : je suis surveillé de près par un grand immeuble qui renifle de tout son règlement de copropriété quand je sors seulement une pompe à pied pour faire la pression des pneus. Un bon atelier est un peu un sanctuaire, non ? Un lieu de retraite, assez masculin, tous unique.

J'y apporterai en premier un banc de levage, pour travailler debout. Je fabriquerai ensuite un solide établi de bois pour y fixer un étau chinois. Je sais l'effroyable fourbi que l'on peut accumuler dans des tiroirs et sur les étagères, donc je n'aurai que des boîtes, comme au grenier.

Il manque peu d'outils à ma panoplie au regard de mes capacités : une clef dynamo, une rallonge pour les écrous de roue et peut-être un pétard électrique. Ah, si ! Une bonne baladeuse. C'est toujours le problème dans les ateliers : avoir assez de lumière. Il faudra aussi que j'achète quelques glingues en double pour avoir le minimum vital à la maison. C'est casse-pied de ne jamais savoir si la boîte de clefs six pans est ici ou là-bas. Enfin, une douzaine de clefs de 10 d'avance pour pouvoir en perdre onze avant de commencer à les chercher : il y a une sérieuse malédiction de la clef de 10 qui plane sur cette planète.

Je ne me fais pas d'illusions : mon atelier se remplira inexorablement au fil du temps. Les pneus de rechange de la bagnole y finiront sûrement : ça m'évitera de descendre à la cave. Ce serait bien d'avoir une petite armoire pour y ranger mes vêtements de pluie et une patère pour les faire sécher. Une bouilloire, aussi. Une poubelle. Les horaires de la déchetterie près de la porte -je suis infoutu de me les rappeler. Quelques pots de confiture pour la petite visserie. Et puis après tout, autant y remiser mon matériel de camping, puisque j'ai de la place ici pour le suspendre quand je rentre, plutôt que de tout remonter au grenier.

Un atelier, c'est comme une chambre d'ado : un truc très personnel. Je me rappelle le fourbi immense chez Fifi, après trois décennies de capharnaüm accumulé dans son entresol. À l'opposé, le garage de Gérald est impeccable, avec des étiquettes sur les petits tiroirs à vis, quatre néons au plafond, le chauffage et même de la moquette près de la porte qui donne sur la maison.

Un atelier pour moi tout seul, ce serait un peu comme le Bouclard, mais sans le bruit des autres et les horaires à respecter. Un endroit où prendre mon temps pour arranger cette pétouille qui m'agace, enfin mettre un sérieux coup de propre dans le passage de roue et trouver un moyen que la serrure de la selle n'imite pas la mitrailleuse Hotchkiss quand la bécane tourne au ralenti sur la centrale -je suis sûr qu'un petit bout de mousse réglerait la question.

C'est surtout le banc de levage qui va faire la différence : j'en ai marre d'avoir les genoux en compote quand je bricole au ras du sol. Avec le moteur à hauteur, je pourrai me lancer dans des opérations plus complexes. On peut faire une vidange avec la moto par terre, oui, mais c'est quand même beaucoup plus confortable de la hisser d'un mètre. En outre, ça permet de jeter un oeil à des endroits d'ordinaire invisibles et de remédier à de petites anomalies comme des durits qui ont bougé ou des câbles qui frottent.

En fin d'après-midi, assis sur le seuil de l'atelier avec un thé tiède à la main, je pourrai goûter à quelques minutes de calme. J'aurai au coeur la satisfaction d'avoir bidouillé juste ce qu'il faut pour avoir l'impression d'un dimanche bien rempli.

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